Cameroun : les silences de Paul Biya

Le temps s’est-il arrêté au Cameroun ? À trois mois de l’élection présidentielle, rien n’est encore décidé. Ni la date du scrutin ni celle à laquelle doit se tenir le congrès du parti au pouvoir. Paul Biya lui-même n’a pas officiellement dit qu’il serait candidat… Enquête sur une énigme.

En jullet, sept millions de personnes étaient inscrites sur les listes électorales. © Pierre Andrieu/AFP

En jullet, sept millions de personnes étaient inscrites sur les listes électorales. © Pierre Andrieu/AFP

GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 8 août 2011 Lecture : 5 minutes.

Ni fièvre électorale ni choc des ambitions. La présidentielle doit se tenir en octobre, au Cameroun, mais seuls les orages de la grande saison des pluies grondent sur les collines boisées de Yaoundé, la capitale. Le chef de l’État est le seul maître du temps et il a, tout au long de cette périlleuse année électorale, joué du suspense comme mode de gouvernement. Suspense sur la date du scrutin, qui n’a pas été arrêtée. Suspense sur la date à laquelle se tiendra le congrès du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC). Suspense, enfin, sur le moment que choisira Paul Biya pour annoncer sa candidature à sa propre succession – puisqu’il ne fait aucun doute qu’il se relancera dans la course. À trois mois de l’élection, le Cameroun est incertain. Et se perd en spéculations sur l’identité d’un éventuel dauphin.

« Les gens n’ont pas l’air concernés », note Martial B., patron quadragénaire d’une agence de communication, installé à Yaoundé. Comme plusieurs de ses amis, ce jeune chef d’entreprise tout juste rentré de l’étranger assure qu’il ne votera pas. « Je n’ai pas confiance dans ce système électoral qu’on met en place un peu dans la précipitation », se justifie-t-il.

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Soupçons de partialité

À l’origine de sa méfiance, Elections Cameroon (Elecam), l’instance chargée d’organiser le scrutin et soupçonnée de partialité par l’opposition. Le 6 mai, le nombre de ses membres est passé de 12 à 18. Le 7 juillet, 6 nouveaux membres au profil plus consensuel ont été nommés (5 membres de la société civile et 1 évêque). Mais cela n’a pas suffi à rassurer Martial B. D’autant que, dans le même temps, Elecam s’est vu retirer l’autorisation de publier les tendances du scrutin (les chiffres doivent être transmis au Conseil constitutionnel) et qu’une loi sur le vote des Camerounais résidant à l’étranger a été votée à l’Assemblée nationale, ajoutant à la confusion. Surtout, le Cameroun en est encore à parler décrets, lois et textes réglementaires, alors qu’il devrait faire la connaissance des candidats et débattre des programmes.

Fidèle à son habitude, Paul Biya se tait. Accompagné d’une brochette de ministres, il a d’abord quitté Yaoundé, le 17 juillet, pour s’envoler pour la Chine (l’occasion de signer d’importants contrats). Pour un proche du Palais, il préfère donner l’image d’un président au travail plutôt que celle d’un chef d’État en campagne. Mais au Cameroun, jamais absent n’aura été aussi présent. La parole, les actes, le moindre signal du chef, sont attendus, analysés, décryptés. On s’agace de devoir guetter l’annonce de sa candidature. Au sein du RDPC, on s’est écharpé sur l’opportunité de tenir un congrès du parti avant le scrutin. Le silence du président a mis au jour des guerres de clans de moins en moins feutrées. Dans l’ombre du chef de l’État, qui n’a pourtant pas dit qu’il était prêt à passer la main, les baronnies s’affrontent pour sa succession.

Depuis plusieurs semaines, l’entourage du secrétaire général du Comité central du RDPC, René Emmanuel Sadi, essaie d’organiser la grand-messe pour donner une impulsion à la campagne de Paul Biya. Mais au palais d’Etoudi, quelques influents conseillers ont pesé de tout leur poids pour empêcher la tenue du congrès. Tenir une simple session du bureau politique du parti aurait suffi, estimaient-ils. Problème : ledit bureau politique ne se réunit que très rarement, et n’a pas été renouvelé depuis quinze ans. Sur les 22 membres qui le constituaient à l’origine, 12 seulement sont en activité. Cinq d’entre eux sont décédés ; certains, à l’instar de Dorothy Njeuma ou de Cécile Bomba Nkolo, font partie du collège électoral d’Elecam, une fonction incompatible avec une activité au sein du RDPC. Depuis 1999, Pierre Désiré Engo purge une peine de prison pour des infractions liées à des détournements de deniers publics. Quant à Joseph Charles Doumba, ancien tout-puissant secrétaire général du parti, il s’est retiré de la vie publique pour cause de maladie.

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Certains, au bureau politique, craignent que René Sadi, le fidèle lieutenant de Paul Biya, n’en profite pour placer ses hommes à tous les étages du munificent Palais des congrès de Yaoundé, où siège le parti au pouvoir, et agitent le spectre d’une candidature concurrente (improbable) au sein du RDPC.

Disgrâce

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« Au gré des entrées et des sorties au Comité central et dans le saint des saints, le bureau politique, on pourra juger des disgrâces et des ascensions vers les sommets », conclut le politologue Manassé Aboya Endong. Pour l’instant, rien ne filtre sur les noms des prétendants. En revanche, assure-t-on, gare aux ambitieux. Une disgrâce pourrait bien présager du déclenchement de poursuites judiciaires dans le cadre d’Épervier, opération de lutte contre la corruption qui a déjà conduit des dizaines de dignitaires du parti en prison.

La presse évoque l’éventualité d’un report de l’élection. Les ambassades du Cameroun à l’étranger ont été prises de court par l’adoption de la loi sur le vote des nationaux résidant à l’étranger. Aucun recensement ne permet d’établir le nombre exact des expatriés. Dans certaines représentations diplomatiques, on a même évoqué la possibilité de demander l’aide de l’administration des pays d’accueil, avant d’abandonner l’idée. Il est désormais question de recourir à des études démographiques effectuées par des chercheurs camerounais pour localiser les plus importants foyers de la population expatriée et choisir où installer les bureaux de vote.

Ces derniers mois, Paul Biya est parvenu à apprivoiser son éternel rival, John Fru Ndi, fondateur du Social Democratic Front (SDF), principal parti d’opposition. Les deux hommes affichent une entente cordiale qui contraste avec l’hostilité des années 1990. Il n’a pas non plus de raisons de redouter des candidatures issues du reste de l’opposition. Trop usés, sans argent pour battre campagne, dépourvus de soutiens extérieurs pour donner de l’écho à leurs discours, fragilisés par des querelles intestines… La plupart iront à la bataille sans espoir de l’emporter.

Finalement, la grande incertitude concerne la gestion du contentieux postélectoral, qui ne manquera pas de se poser. Peut-on éviter que la contestation ne dérape ? Peut-on aussi éviter que la communauté internationale ne s’en mêle, comme cela s’est vu ailleurs ? Dans les milieux proches du pouvoir, on répète que l’on est prêt à faire barrage à toute forme d’ingérence dans les affaires intérieures. Et pour que le message soit bien clair, les évêques du Cameroun ont, dans une lettre rendue publique le 25 juillet, demandé aux chrétiens de ne pas céder aux « effets de mode » qui exposent le pays aux « ingérences extérieures ».

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