Aqmi : comment l’Algérie se protège des kamikazes
Attaques à l’explosif contre des convois de l’armée, attentats-suicides… Depuis trois mois, on assiste à une recrudescence de la violence terroriste. Les trafics d’armes en provenance de Libye n’y sont pas étrangers et les autorités redoutent le pire pendant le ramadan. L’Algérie est sous haute surveillance…
À la veille du ramadan, mois au cours duquel les djihadistes d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) ont pour mission de multiplier les coups d’éclat, Abou Moussab Abdelwadoud – Abdelmalek Droukdel de son vrai nom –, émir national de l’organisation terroriste, a confirmé à sa manière, toujours aussi sinistre, que ses troupes ont bien récupéré, en juin, près de 1 tonne de Semtex provenant des arsenaux libyens.
Le 16 juillet, en effet, un double attentat-suicide a visé le commissariat de police de Bordj Menaïl, à 60 km à l’est d’Alger. Bilan : deux morts, dont un civil, et une dizaine de blessés. Neuf jours plus tard, à Thénia, en Kabylie, une Atos – un véhicule bas de gamme du constructeur sud-coréen Hyundai très prisé en Algérie – est interceptée à un barrage routier. À son bord, trois kamikazes, parmi lesquels Abdelqahar Benhadj (voir encadré ci-dessous). Lorsque les forces de l’ordre lui ordonnent de s’arrêter, le chauffeur refuse et fonce. L’un des gendarmes dégaine et tire une seule balle. Le véhicule explose. La violence de la déflagration est telle qu’une source policière estime que les trois hommes transportaient plusieurs centaines de kilogrammes d’explosifs. Se rendaient-ils à Alger pour commettre leur forfait ? « Peu probable, indique un commissaire divisionnaire. Les terroristes savent qu’ils n’ont aucune chance avec el-fnek. »
Alger verrouillée
Abdelqahar Benhadj, "mort pour Allah"
Depuis qu’il a rejoint les maquis islamistes en Kabylie, en octobre 2006, Abdelqahar Benhadj, fils d’Ali Benhadj, ex-numéro deux du Front islamique du salut (FIS) et père spirituel des djihadistes algériens, défraie la chronique. Plusieurs fois donné pour mort, Abdelqahar (alias Mouaouia), faisait partie du groupe de kamikazes intercepté le 25 juillet sur un barrage routier à Thénia. Une source gouvernementale a confirmé l’information après qu’une analyse ADN a été pratiquée. Du fait de son ascendance, Mouaouia jouissait de la confiance de l’émir Droukdel, qui l’avait désigné comme numéro deux de la cellule El-Andalous, chargée de l’information et de la propagande d’Aqmi. À des journalistes qui lui demandaient s’il avait été averti du décès de son fils, Ali Benhadj a rétorqué : « Depuis quand l’armée informe-t-elle les pères de la mort de leurs enfants qui ont choisi de mourir pour Allah ? »
Autrement dit, « le Fennec », un détecteur de matière explosive de la taille d’une télécommande, doté d’une antenne, qui équipe tous les barrages contrôlant les accès à la capitale. « Depuis que nous disposons de ce matériel, acquis en 2008 auprès d’une firme américaine, aucun véhicule piégé ou contenant des explosifs n’a pu entrer dans Alger, poursuit le commissaire. C’est pourquoi les kamikazes évitent la ville, mais ce n’est pas l’envie qui leur manque. » De fait, le dernier attentat-suicide qui a frappé la capitale remonte à décembre 2007. Un djihadiste avait jeté son camion contre le siège des Nations unies, sur les hauteurs d’Alger, tuant 67 personnes, parmi lesquelles 10 employés de l’ONU.
Depuis, ce type d’attaque se concentre sur la Kabylie, dont les maquis abritent le QG d’Abdelmalek Droukdel. « Il est bien plus facile de sécuriser la capitale en établissant tout autour des barrages filtrants que la Kabylie avec son dense réseau routier », explique un officier supérieur (depuis juin dernier, un décret présidentiel a placé l’ensemble des forces chargées de la lutte antiterroriste sous les ordres de l’armée). Il n’en demeure pas moins que le dispositif de sécurité a encore été renforcé à Alger.
Le regain d’activité d’Aqmi ne se limite pas aux attaques kamikazes ; l’organisation mène des opérations coup-de-poing contre les forces de l’ordre. « Depuis la mi-avril, nous avons perdu une cinquantaine de soldats, policiers et gendarmes, précise l’officier. Le bilan de ces trois derniers mois dépasse à lui seul celui de l’année 2010. » Pour le gouvernement d’Ahmed Ouyahia, cette recrudescence de la violence n’est pas due au hasard. « Le conflit en Libye a transformé ce pays voisin en dépôt d’armes à ciel ouvert, souligne Abdelkader Messahel, le ministre délégué aux Affaires maghrébines et africaines. Des pans entiers des arsenaux libyens ont été transférés vers l’Algérie et les pays de la bande sahélienne. »
Détonateurs
Les récentes attaques à l’explosif contre des convois de l’armée ont été déclenchées par des détonateurs. Or ce type de matériel a été intercepté par les Groupements de gardes-frontières (GGF) basés à Debdeb (sud-est), limitrophe de la ville libyenne de Ghadamès. Soldats loyalistes à Mouammar Kadhafi ou insurgés de Benghazi commercent avec les trafiquants d’armes qui fournissent Aqmi. Autre preuve irréfutable : des terroristes abattus récemment en Kabylie et à la frontière avec le Mali étaient équipés d’armes légères de fabrication occidentale provenant des arsenaux libyens. Plus de deux cents fusils-mitrailleurs et des caisses de munitions (des dizaines de milliers d’unités) ont également été saisis à Debdeb.
L’arrivée massive d’armes libyennes ne constitue pas l’unique source d’inquiétude de l’armée algérienne. L’un des deux kamikazes de Bordj Menaïl était âgé de 16 ans à peine, et les deux candidats au martyre qui accompagnaient Abdelqahar Benhadj à Thénia sont des recrues récentes d’Aqmi. Selon les premiers éléments de l’enquête, ils auraient rejoint le maquis en 2010. « La question n’est plus de savoir combien de kilos de Semtex libyen sont entre les mains de Droukdel, conclut l’officier, mais plutôt combien il compte de kamikazes parmi ses ouailles. »
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