Avec Manko, Société générale cible le secteur informel
Dans la banlieue de Dakar, la nouvelle filiale du groupe français Société Général offre désormais des services financiers à des milliers de petits entrepreneurs sans compte bancaire.
Depuis quelques années, les banques sénégalaises rivalisent d’ardeur et d’imagination afin de mettre la main sur l’énorme gisement des microentrepreneurs du secteur informel. Ces derniers se tournaient jusqu’ici vers les institutions de microfinance (IMF) pour bénéficier de produits et services financiers. En lançant la Société d’appui à l’inclusion financière (Saif) – également appelée Manko (« union » en wolof) -, Société générale, propriétaire à 100 % de cette filiale, a décidé de frapper un grand coup. Objectif ? Conquérir les quincailliers, petits tailleurs, mécaniciens, ferrailleurs, boulangers, marchands qui opèrent au coeur de la grande et populeuse banlieue dakaroise… La première agence Manko implantée à Pikine, opérationnelle depuis le 29 avril et officiellement inaugurée un mois plus tard, ne désemplit plus. Les femmes sont visiblement les plus assidues. « Tous les secteurs sont représentés : poissonnières, vendeuses de légumes, transformatrices de céréales », observe Gaëtan Debuchy, directeur général de Manko et qui a notamment été directeur d’agence en France par le passé.
Nous sommes un intermédiaire en opération de banque, le premier en Afrique de l’Ouest. Cela nous permet de distribuer des produits bancaires à une cible de la microfinance. Déthié Ndiaye, directeur de l’agence de Pikine
CRÉDITS. Même s’il ressemble en partie à ce qui peut se passer dans d’autres contrées du continent, comme au Kenya ou en Afrique du Sud, le concept de Manko sonne comme une révolution en Afrique occidentale. « Nous sommes un IOB [intermédiaire en opération de banque], précise Déthié Ndiaye, directeur de l’agence de Pikine. Le premier en Afrique de l’Ouest. Cela nous permet de distribuer des produits bancaires à une cible de la microfinance. » Simple vendeur de produits bancaires, Manko a passé une convention commerciale avec l’autre filiale sénégalaise du groupe Société générale, la Société générale de banques au Sénégal (SGBS), qui conçoit pour Manko les produits adaptés à sa cible de clientèle. « Ce statut nous permet d’avoir des structures beaucoup plus légères et donc de baisser les coûts, de faire bénéficier nos clients de frais de tenue de compte moins élevés que dans une banque traditionnelle », souligne Gaëtan Debuchy. Manko offre des crédits – de 100 000 F CFA à 10 millions de F CFA (de 150 à 15 000 euros), pour des durées allant de six à vingt-quatre mois – à un coût inférieur à celui pratiqué par les IMF, ses concurrentes. « Avec les mêmes types de clientèle et de garantie, nous sommes à un niveau inférieur, à 17,9 % maximum taux effectif global [TEG]. Tandis que le taux d’usure des SFD [structures financières décentralisées, le nom juridique des IMF] est à 27,5 %. Nous tirons donc les tarifs vers le bas », détaille le directeur général. C’est plus cher qu’une banque, certes, mais les garanties demandées sont bien moindres. Manko n’exige en effet aucune caution physique, mais un simple « garant moral », ce qui permet à un grand nombre de travailleurs de l’informel d’obtenir un crédit qu’ils ne pourraient pas avoir auprès d’une banque traditionnelle. Pour limiter les risques, les dix-huit employés de l’agence effectuent également une enquête de réputation et se rendent sur le lieu de travail du client, jaugeant l’activité et observant les factures comptables.
SANS FRAIS. La filiale de Société générale, qui espère atteindre l’équilibre dans trois ou quatre ans, ne donne pas d’objectifs commerciaux détaillés, mais le démarrage n’est pas mauvais. « Plus de 150 comptes courants ont été ouverts », assure Déthié Ndiaye. Les crédits restent cependant encore rares : « Il y a un effort à faire pour expliquer comment fonctionne Manko, comment utiliser son mobile qui est relié au compte », précise le directeur d’agence. Car Manko repose totalement sur Yoban’tel, l’outil de paiement par mobile de la SGBS. Le client, qui n’a ni carte ni chéquier, utilise en effet son téléphone portable pour effectuer des opérations courantes. Une quinzaine de commerçants partenaires font office de relais, y compris les dimanches, pour ouvrir un compte ou opérer des dépôts et des retraits. Une quinzaine d’agents de crédit munis de deux-roues, tous de jeunes locaux, sillonnent le périmètre dont ils ont chacun la charge, afin de proposer aux éventuels adhérents l’ouverture de comptes à domicile et sans frais !
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SUSPENS. Pour Société générale, qui réfléchit au projet depuis près de cinq ans, le risque est élevé. Mais dans un pays qui ne compte que 300 000 salariés formels, il fallait développer une véritable stratégie de bancarisation massive. Mansour Ndiaye, expert en microfinance pour la Banque mondiale et le Bureau international du travail (BIT), estime l’initiative fort louable. « D’abord, elle matérialise la mission de responsabilité sociale vis-à-vis des populations démunies d’une banque qui a la réputation d’être assez éloignée des préoccupations des Sénégalais. Ensuite, elle contribue à rendre le système financier davantage intégré, varié et équilibré en matière d’offres de services et de produits financiers. » Avant d’ouvrir de nouvelles agences, voire de dupliquer le modèle ailleurs en Afrique, la jeune équipe de Manko attend de pouvoir tirer un premier bilan d’activité dans un domaine où des questions essentielles restent en suspens : combien de clients vont venir ? pourront-ils rembourser leurs crédits ? quand l’agence sera-t-elle rentable ?, etc. Il est certain que la concurrence surveillera le sujet de près.
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