Maroc : A qui appartient l’espace public ?
C’est les vacances et c’est donc le moment de faire provision de livres, ces fameux « livres de plage », ces gros pavés qu’on va tourner d’un œil à moitié fermé, étendu mollement sur le sable chaud, une boisson fraîche à portée de main. Bien sûr, on peut choisir des romans policiers ou d’aventures, de ceux qu’on lit puis qu’on oublie aussitôt. On peut aussi choisir de s’instruire en lisant, de réfléchir, de s’étonner.
Un nouveau Maroc
Dans ce cas, je vous recommande un petit livre, tout mince, sans prétentions, qui s’intitule Shamablanca, écrit par une certaine Sonia Terrab. Pourquoi ce livre-là ? Eh bien parce qu’il exprime une idée forte, une idée qui vous fait soudain considérer les choses d’une façon différente. Cette idée, la voici : au Maroc, l’espace public appartient aux hommes. Les femmes y sont comme étrangères. Elles ne font que passer, sous surveillance, parfois sous les lazzis et les remarques désobligeantes, et de nombreux endroits de cet espace public leur sont tout bonnement interdits : essayez donc, quand vous êtes femme, de vous promener le soir dans certains quartiers de Casablanca ou de Tanger…
Chères lectrices, vous êtes en train de secouer la tête en vous disant : « Il se réveille, ce benêt ! Moi, je sais cela depuis ma naissance, hélas. » Certes, mais si j’enfonce des portes ouvertes, c’est justement parce que je fais amende honorable : il m’a fallu la lecture de ce petit livre pour comprendre, pour saisir physiquement ce que cela signifie.
Bien sûr, d’autres auteurs arabes avaient exprimé cette idée, à commencer par l’illustre Fatema Mernissi. Mais dans le cas de Mernissi, elle a toujours insisté sur une idée complémentaire : si l’espace public est interdit aux femmes, en revanche elles règnent sur l’espace privé. Or les nouvelles générations ne se satisfont plus de régner sur quelques centaines de mètres carrés comme Napoléon qui, bien qu’exilé, était souverain de l’île d’Elbe. De plus, adieu les grands riads d’antan, aujourd’hui c’est sur un F2 de 40 m2 que les Marocaines doivent exercer leur empire. On conçoit qu’elles fassent la grimace.
C’est peut-être pour cela que tant de jeunes filles et de jeunes femmes ont participé aux diverses manifestations qui se sont déroulées cette année au Maroc : c’était l’occasion de reconquérir l’espace public. Elles auraient pu scander : « Macho, t’es foutu, les femmes sont dans la rue ! » On a l’air de rigoler comme ça, mais au fond, c’est triste. Pourquoi les rues, les places, les boulevards n’appartiennent-ils qu’aux hommes, et encore plus dès la nuit tombée ? En tout cas, à la prochaine révision de la Constitution, il faudra ajouter cette petite phrase décisive : « L’espace public appartient autant aux femmes qu’aux hommes. »
Shamablanca, de Sonia Terrab, Editions Séguier, 128 pages, 15 euros.
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