Fatéma Hal : « L’art culinaire dépend de la culture. Pas du tourisme »
Passionnée, la restauratrice est l’une des meilleures ambassadrices de la cuisine marocaine. En l’absence de formation de haut niveau, elle craint cependant que la gastronomie ne disparaisse du royaume.
Un nouveau Maroc
On ne présente plus Fatéma Hal, dont le restaurant Le Mansouria, à Paris, est le rendez-vous des gourmets amateurs de (bonne) cuisine marocaine. Auteure d’une vingtaine de livres consacrés à sa passion et traduits dans le monde entier, conférencière très demandée, décorée à plusieurs reprises, la « patronne » pourrait se contenter de gérer sa notoriété sans faire de vagues. Ce serait mal la connaître. Aujourd’hui, elle pousse un cri pour « sauver » la cuisine marocaine. Rien que ça !
Jeune Afrique : Pourquoi ce « coup de gueule », vous qui êtes adulée ?
FATÉMA HAL : Les compliments nous font parfois plus de mal que de bien. J’ai aimé qu’on me flatte… C’est humain. Mais dans la pratique, qu’est-ce qui reste ? Où sont les institutions qui sauvegarderaient la cuisine de notre pays ? Où est l’académie de la gastronomie marocaine dont je ne cesse de réclamer la création ?
Pourtant il y a de plus en plus de grands restaurants au Maroc…
Et l’on est tout content d’y faire venir de grands chefs européens alors que nous avons une cuisine millénaire… On invite un grand critique gastronomique qui s’extasie sur la cuisine française qu’on peut désormais goûter à Marrakech et, pour finir, il consacre une ligne – une ligne ! – à ce qu’il appelle la cuisine « locale ». C’est triste.
Notre cuisine se porte donc si mal ?
Oui, elle devrait entrer au patrimoine de l’Unesco. Beaucoup de Marocains le pensent. Mais que fait-on concrètement pour réaliser cet objectif ? Il n’y a même plus d’école hôtelière digne de ce nom pour assurer la relève.
D’autre part, regardez où se positionne la cuisine française, qui mérite plus que toute autre d’être intégrée dans le patrimoine mondial. Dans la culture ! Nous, on a une cuisine qui dépend… du tourisme. C’est idiot ! On oublie parfois que Ziryab, à Cordoue, a codifié la musique et la cuisine. C’est dire si on la plaçait au plus haut, comme expression culturelle d’un peuple. Et ça s’est passé il y a plus de mille ans ! Notre cuisine est familiale, avec une forte dimension historique… Avec cette particularité qu’elle est faite par les femmes.
L’académie que vous appelez de vos vœux devrait être réservée aux femmes ?
Pendant les trois premiers siècles. Ensuite elle pourra s’ouvrir aux hommes… Sérieusement, mon plus grand souhait est que l’on se consacre enfin à la formation de très haut niveau de chefs marocains, spécialistes de la cuisine marocaine, que ce soient des hommes ou des femmes. Il faut donner les moyens aux gens qui savent faire, qui sont passionnés. Commençons par mettre en place une commission, des formateurs, des gens qui iraient partout, dans toutes les régions du royaume, pour recueillir les recettes, pour comparer, noter les variantes, codifier en préservant l’extraordinaire diversité de nos traditions… Diversité, c’est le mot clé. Pourtant, il semble nous faire peur. Comment réduire toute la cuisine du Maroc à une région, voire à une seule ville ? C’est indécent.
Et pourquoi pas une académie Fatéma Hal ?
À titre personnel, je ne veux rien, je ne demande rien. Le problème que je décris, c’est celui de tous les Marocains. Il dépasse complètement ma personne. Et il est urgent !
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