Lina Ben Mhanni : « Chacun doit faire son autocritique »
Professeure d’anglais de 28 ans, elle est l’une des blogueuses emblématiques de la révolution. Impatiente de voir les vraies réformes, inquiète de la menace islamiste, optimiste malgré tout, elle témoigne.
Tunisie : Six mois après… La révolution continue
Jeune Afrique : Pensez-vous que la révolution soit finie ?
LINA BEN MHENNI : Non, elle vient juste de commencer. Le départ de Ben Ali a simplement été un pas sur un long chemin. Il était une petite partie d’un grand système qui est toujours en place. Il faut combattre ce système et s’en débarrasser. Il faut aussi qu’on travaille sur nous-mêmes pour prendre conscience de nos erreurs et y remédier. Une autocritique s’impose pour chaque Tunisien et chaque Tunisienne. Une fois que tout cela sera fait, on pourra parler d’une révolution accomplie.
Ces derniers mois, vous avez dit être déçue par l’évolution de la situation, mais optimiste pour l’avenir. Quel est votre sentiment aujourd’hui ?
Mon sentiment est toujours le même. Six mois après la révolution, la situation n’a pas vraiment changé. C’est vrai, les gens se sont débarrassés de leur peur et sont libres de s’exprimer, mais je considère que l’indépendance de la justice, des médias, la dissolution effective de la police politique sont les signes les plus importants pour parler d’un vrai changement. Or on en est encore très loin.
Aujourd’hui, je suis amère quand je vois le comportement de certains de mes compatriotes qui ne font pas la différence entre liberté et anarchie. Je suis amère de constater que les partis politiques se sont lancés dans une course pour le pouvoir sans se soucier des attentes du peuple.
Cependant, je reste optimiste puisque je rencontre souvent des jeunes qui suivent l’évolution de la situation et qui se disent prêts à changer les choses. Des jeunes qui continuent la lutte…
Vous avez été traquée par la police politique. Pensez-vous être encore surveillée ?
Je ne pense plus être traquée, mais il m’arrive de sentir une présence quand je suis dans un café avec d’autres blogueurs et cyberactivistes.
Les islamistes font partie de vos cibles, surtout depuis l’attaque, le 26 juin, du CinemAfricArt par un groupe tentant d’empêcher la projection du film Ni Allah, ni maître ! de Nadia el-Fani…
Je pense que les islamistes – je ne désigne bien évidemment pas les pratiquants, mais les groupes qui mêlent religion et politique – présentent aujourd’hui un vrai danger pour la Tunisie. Ils constituent une réelle menace pour la liberté et la démocratie. Je ne sais pas s’ils sont les seuls responsables dans des événements comme ceux du CinemAfricArt, mais je sais qu’ils y sont impliqués ou, du moins, que ces actes ont été commis au nom de l’islam. Hier, j’étais à Kairouan, et j’ai été choquée en voyant les slogans tagués un peu partout dans la ville : « Laïcité dégage, la Tunisie est un pays islamique », etc. Donc les islamistes font partie de mes cibles et, forcément, je suis l’une de leurs cibles. Je reçois souvent des menaces de mort et de viol au nom de l’islam.
Radio Kalima, à laquelle vous collaborez, a obtenu une licence FM après de longs mois d’attente. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Je suis heureuse, parce que les journalistes de Kalima luttaient depuis des années pour donner aux Tunisiens une bonne information. Leur voix ne parvenait qu’à une minorité connectée à internet. Maintenant, ils seront plus largement écoutés.
Votre livre témoignage est paru le mois dernier. Quel en est le bénéfice pour vos idées et pour celles de la révolution ?
Ce livre – ce tout petit livre – est un témoignage et un appel d’espoir. Je pense qu’internet peut réaliser des miracles et j’appelle à l’utiliser. La publication de cet ouvrage a permis de propager ces idées et de partager cette expérience avec une audience plus large.
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Propos recueillis par Laurent de Saint Périer
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