Tunisie : la révolution permanente

Liberté d’expression, pluralisme, débats sur les futures réformes… Les Tunisiens ont fait bouger bien des choses en six mois. Et ils restent vigilants. En attendant l’élection de la Constituante, le flou qui règne sur la scène politique favorise l’émergence des islamistes et inquiète la société civile.

Manifestation à Tunis le 6 mai 2011. © AFP

Manifestation à Tunis le 6 mai 2011. © AFP

Publié le 27 juillet 2011 Lecture : 4 minutes.

Tunisie : Six mois après… La révolution continue
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Tunisie : Six mois après… La révolution continue

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Personne n’en a jamais douté, la révolution n’est pas un long fleuve tranquille. Elle a fait surgir toutes les contradictions d’un pays sortant de vingt-trois ans de dictature. Pourtant, depuis qu’ils ont bouté l’occupant du palais de Carthage hors du pouvoir, le 14 janvier, les Tunisiens vivent la période la plus intense, la plus excitante et la plus fertile de leur histoire. Une mutation profonde et une incontournable confusion qui les éreintent et les déboussolent, mais que beaucoup de pays leur envient.

Remettre de l’ordre dans la maison Tunisie ne veut pas dire faire table rase de son identité, de ses acquis socioculturels ou de ses atouts économiques, mais séparer le bon grain de l’ivraie et redistribuer les cartes, en veillant à écarter les pratiques de l’ex-clan au pouvoir. Et avant tout à bannir de l’espace public son parti, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). « RCD dégage ! » scandait la foule venue soutenir les mouvements populaires qui ont, à deux reprises, fait de la place de la Kasbah leur épicentre. Et c’est sur cet écueil qu’ont sombré les deux premiers gouvernements de transition dirigés par Mohamed Ghannouchi.

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L’étendue de la mainmise du clan Ben Ali-Trabelsi sur les affaires publiques et économiques a suscité une extrême méfiance dans l’opinion. « Les Tunisiens ne croient plus en leurs institutions, en leurs médias, en l’impartialité de l’État, en une justice indépendante, en une police au service du peuple. Tout avait été instrumentalisé », souligne Kamel Jendoubi, président de l’Instance supérieure indépendante pour les élections.

Parer au plus pressé

L’exécutif provisoire, piloté depuis le 27 février par Béji Caïd Essebsi, veille, pendant cette phase de transition, à la gestion quotidienne du pays. S’il n’a pas la légitimité nécessaire pour entamer des réformes de fond – de la justice et de la police en particulier –, les prémices du changement sont bien là. Les actions et les conclusions des deux commissions nationales d’établissement des faits, portant sur les affaires de malversations et de corruption ainsi que sur les dépassements et abus commis durant la révolution, permettent déjà d’assainir l’atmosphère.

L’urgence est de réduire les deux grands facteurs d’inégalité qui ont conduit à la révolution : le chômage, notamment des jeunes diplômés, et le manque de développement des régions de l’intérieur. Pour parer au plus pressé, une série de mesures sociales ont été mises en place. Mais si les Tunisiens ont conduit une révolution propre, sans trop dégâts, et s’ils ont respecté, dans l’ensemble, leurs outils de travail, ils n’ont guère fait preuve de patience par la suite. Instrumentalisés par une centrale syndicale (l’Union générale tunisienne du travail, UGTT) dont les objectifs deviennent, pour beaucoup, de plus en plus obscurs, ils ont durci le ton, quitte à mettre en danger leurs emplois et une économie rudement éprouvée. Désormais, les grèves et les sit-in sont monnaie courante, même si certains secteurs, comme le textile et les industries mécaniques, tirent leur épingle du jeu.

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Consensus minimum

Passé la dissolution du RCD et de la Chambre des députés, et avant le grand changement de décor qui doit naître avec la IIe République, la préparation des élections de l’Assemblée constituante, fixées au 23 octobre, a été confiée à la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique. Au départ, une simple commission de réforme politique avait été chargée d’élaborer l’architecture juridique de la transition. Mais sous la pression du mouvement contestataire dit Kasbah II, en mars, elle a été élargie pour former la Haute Instance, qui rassemble 155 personnalités, dont les membres de l’autoproclamé Comité de défense de la révolution, les représentants de certains partis et syndicats et de la société civile, ainsi que des indépendants.

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Les propositions de décrets-lois, élaborées par des juristes au sein de sous-commissions thématiques, sont relatives à tous les aspects liés au scrutin, à commencer par le financement des partis (projet qui interdit, notamment, tout financement étranger et que les islamistes d’Ennahdha ont refusé de signer), mais aussi l’organisation des médias et l’élaboration d’un pacte républicain. Ces propositions sont soumises au vote de l’instance, puis à l’approbation du gouvernement.

Très critiquée, la Haute Instance n’en est pas moins indispensable pour établir les bases législatives nécessaires à la préparation des élections. Elle n’est certes pas représentative des Tunisiens – ce devra être l’apanage de l’Assemblée constituante –, mais c’est, en attendant, la moins mauvaise solution pour marquer une rupture avec le passé et déblayer le chemin vers la démocratie.

Extrême vigilance

L’étape est cruciale, d’autant que le pluralisme politique crée un flou, entretenu par nombre de partis et micromouvements qui tâtent le terrain sans vraiment vouloir l’occuper, plutôt que de mettre en avant des propositions. La menace islamiste se profile. Les membres du parti Ennahdha ne tiennent plus le même discours démocratique qu’au printemps, ils affichent leur intention de graduellement mettre en place un État islamique et de reléguer les femmes hors de la sphère publique. Cette émergence d’Ennahdha, associée aux actions répressives menées par les salafistes à l’encontre des femmes et des artistes, pousse les démocrates à s’unir pour résister. D’autant que, ces dernières semaines, différents sondages donnent le parti islamiste en tête des intentions de vote, avec 14 %, devant les sociaux-démocrates du Parti démocrate progressiste (PDP), crédités de 5 %, alors que près de 70 % des Tunisiens se disent indécis, à tel point que la Haute Instance a lancé, le 12 juillet, une campagne contre l’abstention.

Quand il s’agit de faire front, la société civile, dynamique et réactive, prend le pas sur les discours des partis politiques comme sur les médias, accusés d’être trop partisans ou pas assez professionnels et qui ont du mal à trouver leurs marques. Omniprésente et citoyenne, elle s’active à reconstruire les infrastructures sanitaires et les écoles, sensibilise les citoyens aux enjeux électoraux et les incite à la plus extrême vigilance. Pour ne pas céder des libertés douloureusement conquises.

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Frida Dahmani, à Tunis

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