Méziane Azaïche, chef de cabaret

Cet Algérien arrivé en France il y a trente-trois ans dirige aujourd’hui l’une des salles de spectacle les plus actives dans la promotion des musiciens maghrébins. Un engagement culturel et politique.

« Une fois que ça marche, je m’emmerde! », confie Azaïche. © Camille Millerand pour JA.

« Une fois que ça marche, je m’emmerde! », confie Azaïche. © Camille Millerand pour JA.

Publié le 25 juillet 2011 Lecture : 4 minutes.

Taille moyenne, corps rond, chemise ouverte, regard brillant de l’enfant heureux, tutoiement instinctif, Méziane Azaïche n’a pas un profil de patron. Injoignable à l’heure du rendez-vous, parti en promenade méditative dans le vaste parc de La Villette (Paris), il est pourtant à la tête de la populaire salle de spectacle Le Cabaret sauvage. « Méziane a toujours un milliard d’idées… et il faut qu’on les réalise ! » soutient Barbara Augier, qui a longtemps travaillé à la communication de la salle. « Il dirige le Cabaret d’une main de maître… et de fer ! » reconnaît un collaborateur. Azaïche suit tout, donne son avis sur tout. « Homme de la nuit nul en musique », selon ses mots, il se promène parfois dans Paris pour mesurer l’effet de l’affichage du Cabaret. « Il bosse énormément sans en avoir l’air, confirme Mohamed Ali Allalou, le coordinateur de Barbès Café, dernier grand spectacle du Cabaret. Je ne l’ai jamais vu en train d’écrire, ou derrière un ordinateur, mais il a tout en tête. C’est l’école des chibanis ! [vieux Maghrébins, NDLR] »

« Pas très branché Maghreb », pourtant, lors de son arrivée à Paris en 1978 ! Azaïche, né en Algérie vingt-trois ans plus tôt, alors sans formation, participe rapidement à la création d’un réseau de promotion d’artistes locaux. « C’est sur la tombe de Jim Morrison, au cimetière du Père-Lachaise, que j’ai rencontré les amis avec qui on a monté l’association Culture au quotidien. On cherchait des bistrots où les artistes pourraient jouer. Je n’avais aucune idée de qui était ce gars enterré là, mais l’ambiance était sympa ! »

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Azaïche crée successivement deux petits cafés-restaurants populaires qui donnent des soirées musicales. D’abord le Baladin, acheté aux enchères, avec l’aide de subventions, puis le Zéphyr, en 1988, avec son épouse. En 1993, il loue le chapiteau Magic Mirror avant de faire bâtir Le Cabaret sauvage sur le même modèle quatre ans plus tard dans l’idée de développer une vie nocturne parisienne qui le déçoit. La programmation est chargée, diverse, exigeante. « Ce qu’on fait est toujours engagé, pour les minorités, les travailleurs, contre un système, contre les injustices », rappelle le gérant de salle qui fut un temps sans papiers.

Sous ses airs nonchalants, Azaïche est une personne très sensible. De celles qui achètent une radio neuve pour une vieille villageoise algérienne dont le poste est à l’agonie. De celles qui renvoient leurs employés chez eux quand leurs enfants sont malades. De celles qui n’arrivent plus à travailler pendant un mois quand elles se sentent trahies par un groupe qu’elles ont lancé – le litige juridique qui l’oppose à l’Orchestre national de Barbès pour les droits du titre Barbès Café l’a profondément affecté. De celles, enfin, qui se rapprochent de leur père dans ses derniers moments, après une relation difficile entravée par la fierté. « Depuis qu’il est mort, je l’aime de plus en plus, jour après jour. » Lui-même est père de quatre enfants.

Né en Kabylie, Azaïche a largement contribué, depuis une dizaine d’années, à donner une visibilité à la scène musicale maghrébine. « Lors de mon premier spectacle dans cet Olympia d’Afrique du Nord, je n’avais jamais vu autant d’Algériens au mètre carré ! » s’amuse Allalou. Le Cabaret joue Les Folles Nuits berbères chaque année depuis 2006. Il a aussi invité cinquante chanteuses algériennes pendant la guerre civile, et lancé la jeune Souad Massi. Pour son dernier spectacle, Barbès Café, Azaïche a écrit lui-même le scénario d’une soirée qui retrace l’histoire de l’Algérie depuis les années 1950 à travers sa musique. Excellente critique et grand succès public. « C’est son engagement artistique le plus profond, estime Barbara Augier. Il circulait, fou de joie, parmi les spectateurs. Ces derniers temps, il se tourne de plus en plus vers ses origines. » On sent qu’Azaïche, après une tournée en France, aimerait jouer Barbès Café en Algérie pour le cinquantenaire de l’indépendance, en 2012. Mais cela nécessite patience et relations… « J’ai quitté l’Algérie à cause de ce genre de choses, alors je ne vais pas les supplier maintenant. »

Il n’empêche. Méziane Azaïche retourne régulièrement au pays pour voir sa mère, Farma, qui l’a élevé alors que son père travaillait en France. « C’est un pays extraordinaire, les Algériens individuellement sont magnifiques ! Mais en groupe, aïe aïe aïe ! » Là-bas aussi, il a la bougeotte au bout de quelques jours… Enfant, il étouffait au village et partait souvent grimper dans les montagnes. Aujourd’hui encore, n’avoir qu’un projet en cours l’angoisse.

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« Une fois que ça marche, je m’emmerde ! » reconnaît-il dans un sourire aussi large que communicatif. Malgré trente-trois années en France, l’homme n’a guère perdu son fort accent algérien. L’emploi d’un terme pour un autre fait parfois dériver certaines expressions vers un autre sens. « Méziane a toujours des histoires extraordinaires et utilise des mots inattendus ! » se réjouit Allalou. Le Cabaret sauvage, depuis quatorze ans, n’a ni aseptisé son discours ni calmé son ardeur au travail, mais a visiblement réussi à le fixer. D’habitude, il quitte un lieu quand il fonctionne bien pour en créer un autre. « Ici, c’est le seul endroit où j’ai l’impression qu’il y aura encore des choses à faire quand je serai mort ! »

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