Royaume-Uni : l’empire Murdoch vacille

Fleuron du groupe de presse ultraconservateur, News of the World a été contraint de fermer, le 11 juillet. Depuis des années, ses enquêteurs interceptaient en toute illégalité les mails et les conversations téléphoniques d’innombrables Britanniques, célèbres ou non.

Le Tycoon australo-américain à son arrivée à Londres, le 10 Juillet. © SIPA

Le Tycoon australo-américain à son arrivée à Londres, le 10 Juillet. © SIPA

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 19 juillet 2011 Lecture : 4 minutes.

Quand la presse d’investigation dérape et que ses turpitudes lui reviennent à la figure comme un boomerang, ça fait forcément des dégâts. Au Royaume-Uni, un journal, News of the World, en est mort, et son propriétaire, le milliardaire australo-américain Rupert Murdoch, va devoir renoncer à ses mirifiques projets audiovisuels. Le Premier ministre est en difficulté et Scotland Yard, la plus célèbre police du monde, est mis en accusation. Pas mal, non ?

Tout avait pourtant très bien commencé. En 1969, Murdoch pose la première pierre de son futur empire de presse en rachetant l’hebdomadaire News of the World (« NoW »). Il y adjoindra peu à peu The Sun, The Times, puis, aux États-Unis, la chaîne conservatrice Fox News, The New York Post et même le prestigieux Wall Street Journal.

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NoW est le prototype de ce qu’au Royaume-Uni on appelle « la presse de caniveau ». Sous prétexte de traquer les tricheries, ce journal révèle les frasques de la famille royale, des hommes politiques, des footballeurs, des top-modèles, etc. Avec une telle fixation sur les affaires de sexe qu’il s’est vu décerner le sobriquet « News of the Screws » (le journal de « la baise »). Et en recourant à des méthodes de basse police.

Membres de la famille royale, hommes politiques, stars du foot, acteurs ou top-modèles, tout le monde y passait!

En 2007, Glenn Mulcaire, un détective privé qu’il emploie, et Clive Goodman, son spécialiste de la famille royale, sont condamnés pour avoir espionné et divulgué conversations téléphoniques et e-mails de hautes personnalités. L’affaire semble devoir en rester là, Murdoch ayant créé un fonds de 15 millions de livres (17 millions d’euros) pour indemniser les victimes. Mais le quotidien The Guardian enquête. Mois après mois, il divulgue l’étendue des atteintes à la vie privée auxquelles NoW s’est laissé aller.

Tant qu’il s’agissait de la liaison extraconjugale du footballeur David Beckham, l’espionnage semblait véniel. Mais voilà qu’on découvre qu’entre 2004 et 2006 les limiers de NoW ont violé les messageries téléphoniques de 3 870 personnes. La colère de l’opinion monte d’un cran quand elle apprend qu’un détective de l’hebdomadaire avait, en 2002, perturbé une enquête policière en effaçant certains messages reçus par Milly Dowler, une adolescente disparue dont le corps ne sera retrouvé que six mois plus tard.

Fronde parlementaire. Un cap supplémentaire est franchi avec la découverte que les familles des victimes de l’attentat du métro de Londres, en 2005, avaient, elles aussi, été espionnées, tout comme certains proches de soldats tués en Irak. Puis un autre, avec la confirmation, le 12 juillet, que les journalistes de NoW avaient eu accès au compte bancaire de Gordon Brown, alors chancelier (travailliste) de l’Échiquier, et, surtout, au dossier médical de sa famille et de son fils, atteint d’une maladie mortelle, la mucoviscidose.

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La chute de la maison Murdoch commence. Le 11 juillet, Murdoch demande à James, son fils, de fermer NoW, en dépit de ses 168 ans d’âge et ses 2,6 millions d’exemplaires vendus. Le 13, il est contraint, la mort dans l’âme, de renoncer à l’acquisition de British Sky Broadcasting (BSkyB), un très lucratif bouquet de chaînes payantes dont il détient déjà 38,9 % du capital.

Au départ, le gouvernement Cameron était pourtant favorable au rachat. Il a été contraint de changer d’avis sous la pression des parlementaires de tous bords. Le 12 juillet, ces derniers avaient estimé dans une motion qu’il était « dans l’intérêt du public que Rupert Murdoch et son groupe, News Corp, retirent leur offre sur BSkyB ». On ne sait si l’ire des élus visait l’atteinte au pluralisme de la presse. Ou s’ils refusaient de confier à des voyous un nouveau pan des médias britanniques.

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Les joyaux de la couronne

Sun 3 millions d’exemplaires par jour
The Times 618 000 exemplaires
New York Post 525 000 exemplaires
The Wall Street Journal 2,1 millions d’exemplaires
Fox News 2,1 millions de téléspectateurs (en moyenne)
 

Très vite, Lloyds, Ford et Renault décident de ne plus confier leur publicité aux publications du groupe. Le même jour, The Wall Street Journal révèle que son propriétaire cherche à vendre ses journaux britanniques. Aux États-Unis, certains de ses actionnaires commencent à trouver ses méthodes de direction décidément bien bizarres. À Wall Street, le titre dévisse. L’empire Murdoch vacille.

Car, devant la gravité des faits, David Cameron, le Premier ministre conservateur, a été contraint à un spectaculaire exercice de rétropédalage. En janvier, il avait déjà dû se séparer d’Andy Coulson, son conseiller en communication – et ancien rédacteur en chef de NoW au moment des écoutes délictueuses. Cette fois, il doit concéder que le comportement du journal est tout bonnement « répugnant ». Et que Rebekah Brooks, la flamboyante rousse qui dirige la filiale britannique de News Corp, serait bien inspirée de démissionner (ce qui est chose faite depuis dimanche).

Liens « toxiques ». Quoique grand ami de Murdoch, Cameron annonce la création d’une commission d’enquête sur la presse et d’une autre sur la police. Pour ne plus être accusé de collusion avec le magnat ultraconservateur qui contribua largement à son accession à Downing Street. Un proche de Tony Blair ne disait-il pas que le tycoon était « le vingt-quatrième membre du gouvernement » britannique ?

Scotland Yard est, lui aussi, sur la sellette. Il apparaît que sa branche londonienne a d’abord enquêté sur les accusations de hacking (« piratage ») des portables de personnalités avec un enthousiasme très, très tempéré : seules 170 victimes, sur 3 870, ont été interrogées. À en croire The Guardian, plusieurs officiers de police (entre trois et cinq) auraient reçu des journalistes de NoW 100 000 livres, au total. Pour qu’ils acceptent, par exemple, de leur communiquer les numéros de téléphone de certains membres de l­a famille royale. Ou qu’ils les préviennent de scoops possibles sur certaines enquêtes en cours. Après avoir quitté la police, l’un des officiers est même devenu chroniqueur au Times !

Bref, comme le dit le leader travailliste, Ed Miliband, il est urgent de mettre un terme aux liens « toxiques » unissant le groupe Murdoch aux membres des gouvernements de Sa Majesté. D’autant que Rebekah Brooks n’en fait pas mystère : on comprendra, dit-elle, « dans un an » pourquoi il fallait fermer NoW et mettre ses journalistes au chômage. Le pire serait-il à venir ?

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