Messaoud Ould Boulkheir : « les démagogues ne font pas des révolutionnaires »
En campagne pour les législatives en Mauritanie, le président de l’Assemblée nationale et de l’Alliance populaire progressiste (APP) achève une tournée à l’intérieur du pays. Que lui inspire le « printemps arabe » ? Quelles sont ses relations avec le chef de l’État et avec les autres leaders de l’opposition ? Entretien.
Quand le coup d’État du général Mohamed Ould Abdelaziz chasse Sidi Ould Cheikh Abdallahi du pouvoir, le 6 août 2008, Messaoud Ould Boulkheir devient l’un des principaux animateurs du front d’opposition au putsch. Il se présente à la présidentielle de 2009 et en sort deuxième. Loin derrière Aziz. Pendant un an, avec la Coordination de l’opposition démocratique (COD), il critique le refus du nouveau chef de l’État d’ouvrir le dialogue, pourtant prévu par l’accord de Dakar en 2009, sur les grands sujets nationaux. C’est le bras de fer. Mais le dialogue finit par se nouer. À l’ouverture de la session parlementaire, en novembre 2010, Ould Boulkheir déclare que « le temps n’est plus à la surenchère politique ». À trois mois des législatives, qui remettent en jeu sa place au perchoir, il semble maintenir la trêve. Au sein de la COD, comme avec le chef de l’État. Avec tout de même quelques réserves.
Jeune Afrique : Le Maghreb vit des scènes inédites. Était-ce prévisible ?
MESSAOUD OULD BOULKHEIR : Je pense que oui, tant les déficits en tout genre jouaient et jouent encore en la défaveur des régimes arabes. Notamment l’absence de démocratie et de libertés publiques.
Selon vous, les régimes qui résistent, au Moyen-Orient, tiendront-ils longtemps ?
Les mouvements populaires semblent assujettis à de fortes influences, notamment européennes et américaines. On sent cependant que ces dernières hésitent à réellement s’engager au Yémen. Si le président Saleh a tenu malgré la forte mobilisation de son opposition, c’est parce qu’on continue de le soutenir en coulisses. Personne n’est dupe.
Comment avez-vous vécu la chute de Laurent Gbagbo ?
Avec une grande tristesse et sans grand enthousiasme. Tout a été fait avec la bénédiction de l’ONU et des Occidentaux. Comme à chaque fois qu’il s’agit de l’Afrique, on s’empresse et on tranche dans le vif. On profite du moindre drame pour investir le continent de sa superpuissance. Mais il faut reconnaître que nos institutions africaines n’ont jamais su ou pu se mettre au niveau des ambitions du continent.
Comme Gbagbo en son temps, Kadhafi reste sourd aux appels de la communauté internationale. A-t-il raison ?
Je ne pense pas qu’il ait raison de résister. Mais je crois qu’il a raison d’espérer un retournement de situation. Tout est possible. Quant aux chefs d’État africains, ils ont le devoir de le lâcher. L’intérêt général des populations doit passer avant celui d’un homme ou de sa famille. Quelle que soit l’étroitesse des liens qu’on peut avoir avec lui. Aucun regret à cela.
En Mauritanie, c’est le mouvement de la « Jeunesse du 25 février » qui attise la fronde. Quel crédit lui accordez-vous ?
Je ne lui accorde aucun crédit ! La situation chez nous et ce qui se voit ailleurs ne peuvent en rien être comparés.
On dit que vous vous êtes aligné sur le chef de l’État dans le seul but de parer une contagion du « printemps arabe »…
C’est ce qu’on dit souvent, en effet. Que ce soit clair : bien que descendant d’esclaves, je demande qu’on me reconnaisse le droit et la capacité d’agir par moi-même sans être tenu de m’aligner sur qui que ce soit. Je ne suis le pourfendeur des révolutions ni d’ici ni d’ailleurs. J’ai simplement horreur de la démagogie de bas étage. Les démagogues ne font pas des révolutionnaires. Je ne crois pas aux vendeurs de révolutions que n’ont pas révoltés l’esclavage et les crimes les plus odieux commis envers leur propre communauté nationale.
Quel bilan faites-vous des deux ans au pouvoir du président Ould Abdelaziz ?
Hormis les efforts visibles en matière d’infrastructures et d’aménagements, et la main tendue en faveur du dialogue, le bilan est à mon avis tout à fait négatif. Sur le plan économique, social, des droits de l’homme, de la bonne gouvernance, de la sécurité, il reste beaucoup à faire.
Il a bien dû vous convaincre sur quelque chose…
Je ne me suis rapproché de lui que parce qu’il a appelé l’opposition au dialogue. Comme je l’avais sans cesse personnellement exigé. Cette exigence comblée, je ne vois plus de raison de le bouder.
Vous le rencontrez même régulièrement. Quelles garanties avez-vous obtenues ?
Des garanties à propos de quoi ? Si vous parlez du dialogue et de la feuille de route que la COD m’a chargé de lui remettre en mains propres, ma mission a été accomplie au vu et au su de tous. Et elle n’avait besoin pour s’accomplir d’aucune garantie de mon interlocuteur, sauf celle, bien évidemment, d’accepter de me recevoir.
L’APP n’est donc pas devenue un parti de la majorité ?
Si nous l’étions devenu, il n’aurait subsisté aucun doute là-dessus, puisqu’il n’est ni lâche ni honteux d’appartenir à une majorité démocratique.
L’union sacrée au sein de la COD ne risque-t-elle pas de se briser ?
C’était mon langage à une étape de nos rapports tumultueux. Aujourd’hui, le ton est différent. Parce que, à présent, tout le monde accepte le dialogue comme moyen privilégié de sortie de crise.
Comment sentez-vous les législatives et les municipales prévues en octobre ?
Improbables ! Parce que nullement préparées, ni politiquement ni matériellement.
Un phénomène s’invite dans le débat mauritanien : Al-Qaïda au Maghreb islamique. Comment l’appréhendez-vous ?
Aqmi s’est en effet immiscée dans le fragile tissu mauritanien. La religion sous cette forme, nous ne la connaissions pas. Pour nous, la foi a toujours été accompagnée de recueillement et de culture de la paix. C’est pourquoi, de quelque bord que l’on soit, j’exhorte à faire front commun pour préserver notre pays.
La Mauritanie seule ne pourra pas venir à bout d’un ennemi difficilement visible et qui étend ses tentacules sur plusieurs territoires. Pour lutter contre le terrorisme, nous devons sécuriser l’intérieur de nos frontières et avoir une excellente stratégie d’échanges d’informations avec nos voisins, voire coordonner certaines actions avec eux, sans faire pour autant de nos troupes un corps expéditionnaire en terres étrangères.
Avez-vous des nouvelles de l’ancien président Sidi Ould Cheikh Abdallahi ?
Je l’ai vu dernièrement, lors de son passage à Nouakchott. Nous avons pris un thé. Il allait bien. Nos rapports demeurent cordiaux, emprunts de beaucoup de respect. Je n’en dirai pas plus.
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Propos recueillis à Nouakchott par Bios Diallo.
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