Le FLN au temps des grandes manœuvres
Le Front de libération nationale ne parvient pas à sortir de la crise qui le mine depuis plus d’un an. Une lutte de clans que le parti va pourtant devoir régler rapidement pour affronter les élections législatives et locales de l’an prochain. Et se choisir un candidat qui fasse le poids dans la course à la succession d’Abdelaziz Bouteflika, en 2014.
Rue du Stade. Les habitants de cette petite artère étroite de Hydra, quartier des hauteurs d’Alger, cohabitent avec un voisin peu ordinaire : le Front de libération nationale (FLN). De l’extérieur, on a du mal à croire que le petit immeuble aux murs jaunes abrite El-Djihaz, le siège de la première force politique d’Algérie. Il suffit pourtant de passer la porte d’entrée pour se retrouver face aux personnes les plus influentes du pays. Des ministres, des parlementaires, des notables, des hommes d’affaires. Mais, ces derniers mois, le siège national du FLN est surtout pris d’assaut par une foule de militants. Souvent des mécontents.
Depuis la tenue du 9e congrès ordinaire, en mars 2010, la colère n’a cessé d’enfler et de gronder. Une situation inextricable que le secrétaire général, Abdelaziz Belkhadem, ne parvient pas à gérer. L’homme, proche du président, Abdelaziz Bouteflika, est aujourd’hui la cible de ses propres compagnons. Comment en est-il arrivé là ?
Les « redresseurs 2004 »
Abdelaziz Belkhadem, alors ministre des Affaires étrangères et membre éminent du bureau politique du FLN, est chargé en 2003 d’organiser et de conduire le Mouvement de redressement. L’objectif des « redresseurs » est très simple : empêcher Ali Benflis, alors secrétaire général du parti, de se présenter en tant que candidat officiel du FLN au scrutin présidentiel du 8 avril 2004. Ils mènent une offensive sur plusieurs fronts : politique, organique, judiciaire et médiatique. La course au pouvoir provoque une véritable fracture entre les militants. « Redresseurs » contre « légalistes ». Benflis obtient l’aval du comité central, l’instance suprême du FLN, et parvient à se présenter à la présidentielle. Mais, pour lui et l’ensemble des militants qui l’ont soutenu, le 8 avril 2004 sera le jour de toutes les désillusions. Les résultats du ministère de l’Intérieur tombent. Ils ne lui créditent que 6,4 % des voix, contre 85,1 % à son adversaire, Abdelaziz Bouteflika. Benflis démissionne le 19 avril, lors d’une session extraordinaire du comité central. Il cède sa place à une instance collégiale, chargée de gérer les affaires courantes du parti.
Les « redresseurs » prennent finalement les rênes du Front de libération nationale lors du 8e congrès, qui se veut « rassembleur ». Abdelaziz Belkhadem est désigné secrétaire général en février 2005.
Une alliance présidentielle en sursis
Le secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND) – et actuel Premier ministre – ne cache plus sa volonté de se présenter à la présidentielle de 2014. Fin mars, sur le plateau de Hiwar essaâ (Débat de l’heure), en prime time sur la télévision publique, Ahmed Ouyahia lâche : « Cette question avait été posée au président Giscard d’Estaing. Il avait dit que son élection était la rencontre d’un homme avec son destin. » Une petite phrase qui fait l’effet d’une bombe dans les états-majors. À commencer par celui du Front de libération nationale, partenaire du RND au sein de l’Alliance présidentielle.
En 2004 et en 2009, Ouyahia n’avait pas le moins du monde inquiété le FLN, puisque le patron du RND s’était engagé publiquement à ne pas se présenter contre Abdelaziz Bouteflika. Désormais quasi certain que le chef de l’État ne briguera pas un quatrième mandat, le Premier ministre compte bien mettre un terme à cette trêve unilatérale. Les alliés d’aujourd’hui pourraient alors devenir les ennemis de demain. Reste à savoir qui d’Abdelaziz Belkhadem, d’Ali Benflis ou de Mouloud Hamrouche se présentera au nom du FLN ? Ahmed Ouyahia devra organiser sa stratégie en fonction du profil de son futur adversaire.
Le plus étonnant dans ce nouveau mouvement, c’est qu’il est composé de nombreux ex-redresseurs, des cadres et des militants qui ont lutté aux côtés d’Abdelaziz Belkhadem entre 2003 et 2004. Pour eux, cette histoire de postes au sein des instances n’est qu’un argument inventé par le clan Belkhadem pour les décrédibiliser. Ils accusent le secrétaire général d’avoir violé les textes du parti pour imposer certaines personnes au sein des instances dirigeantes. Et de citer, notamment, les noms d’hommes d’affaires. Belkhadem aurait fait fi de tous les principes de collégialité en se comportant comme un zaïm (« chef suprême »). La principale exigence du mouvement de redressement est à la fois simple et complexe : organiser un congrès extraordinaire pour réviser la composante du comité central. Les « fautes » commises durant le 9e congrès seront ainsi réparées.
D’importants changements sont introduits aux statuts du FLN. L’un des plus importants concerne l’institution du poste de président d’honneur du parti. Poste qui, bien entendu, revient à Abdelaziz Bouteflika. Dans les faits, ce statut n’a rien d’honorifique puisqu’il permet au président de convoquer un congrès extraordinaire.
Autre nouveauté, le FLN abandonne, momentanément, le comité central et le bureau politique, et crée trois structures : un conseil national composé de 550 membres, une instance exécutive de 121 membres et, au sommet, un secrétariat exécutif, au sein duquel siègent 7 dirigeants du parti. Pour Abdelhamid Si Affif, député et haut responsable du FLN, l’adoption de ce nouvel organigramme répondait à des objectifs très précis. « Le FLN sortait de la crise la plus grave qu’il ait connue depuis sa création. Pour éviter tout phénomène d’exclusion, nous devions donc élargir la composante des structures dirigeantes. Les deux tendances (redresseurs et légalistes) ont eu des représentants à tous les niveaux », explique-t-il. Selon lui, cette stratégie a sauvé le parti de l’implosion.
Retour de boomerang
Alors, comment expliquer la crise actuelle ? « Une crise ? C’est loin d’être le cas, affirme Abdelhamid Si Affif. Le 9e congrès nous a permis de revenir à l’organigramme traditionnel, avec le comité central et le bureau politique. Un nombre important de postes a disparu. Il y a donc nécessairement des mécontents. Les personnes qui, aujourd’hui, crient au complot ont participé activement à la préparation et à l’organisation de ce congrès. On ne peut pas cautionner un jour et dénoncer le lendemain… »
Ces « personnes » dont parle Si Affif ne sont autres que les membres du nouveau mouvement de redressement. Et, à y regarder de plus près, ces derniers sont loin d’être de simples « mécontents ». Ces néoredresseurs ont réussi à mettre en place une véritable organisation parallèle, avec des bureaux dans l’ensemble des wilayas du pays. À sa tête, on trouve deux ministres, El Hadi Khaldi (ministre de la Formation et de l’Enseignement professionnels) et Mahmoud Khoudri (ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement), ainsi que des parlementaires très influents : Salah Goudjil, Abdelkrim Abada, Mohamed Séghir Kara et Saïd Bouhadja.
Chaises musicales
« Il est hors de question de revoir la composante du comité central : ce mouvement de redressement a été créé dans la perspective de l’élection présidentielle de 2014, c’est son unique but, rectifie Si Affif. Voilà pourquoi les redresseurs appellent à la tenue d’un congrès extraordinaire », qui, selon lui, n’a aucune relation avec des considérations d’ordre organique. Dans ce cas, qui est censé profiter de la manœuvre ? Si Affif ne cite aucun nom. « Ce sont des personnes qui ne sont pas membres des instances et qui veulent se présenter au nom du parti, elles savent que seul le comité central a le pouvoir de désigner le candidat à la présidentielle », se contente-t-il de faire remarquer. En effet, si l’on s’en tient aux textes du FLN, seuls le président d’honneur, en l’occurrence Abdelaziz Bouteflika, et le comité central ont le pouvoir de convoquer un congrès extraordinaire.
L’approche des élections législatives et locales, prévues pour le courant de l’année 2012, devrait exacerber les tensions au cours des prochains mois. Ces échéances électorales seront de véritables tests pour toutes les tendances.
Le politologue Rachid Grim estime que cette lutte interne provoquera nécessairement des bouleversements au niveau de la direction du Front de libération nationale. « Il faut s’attendre à des changements, mais il ne faut pas croire qu’il y aura un renouvellement de l’élite. Le FLN fonctionne selon le principe des chaises musicales. Le personnel politique est le même, il ne fait que tourner. Le plus important pour chacun des protagonistes étant de garder sa place », explique-t-il. Selon lui, le FLN dispose encore de capacités de mobilisation considérables. « Il reste le parti de l’État. Le processus de réformes qui est engagé depuis quelques semaines ne pourra que lui profiter. » Les prochains mois s’annoncent donc mouvementés pour Abdelaziz Belkhadem et ses partisans. En face, ses adversaires ne lui passeront rien. Rue du Stade, la compétition est désormais ouverte.
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Ahmed Bey, à Alger.
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