Musique : les nouvelles soul sisters

Dans le sillage d’Ayo, de jeunes Africaines retournent aux sources de la soul et de la folk. Découverte.

De g. à d. : Irma, Imany, Mariama et Inna Modja. © Montage J.A.

De g. à d. : Irma, Imany, Mariama et Inna Modja. © Montage J.A.

Publié le 18 juillet 2011 Lecture : 4 minutes.

Jambes interminables, taille étranglée dans sa ceinture, foulard vintage savamment noué dans les cheveux, visage aux traits presque trop réguliers… Imany aurait du mal à cacher son passé de mannequin, qui l’a conduite pendant sept ans à New York. Puis la Française d’origine comorienne promène le timbre grave de sa voix au grain légèrement brisé le long de l’entretien et l’on se dit que, oui, il y a derrière cette travailleuse acharnée de 31 ans, fatiguée de « faire le cintre » pour les grands couturiers, une chanteuse à la Tracy Chapman qui pourrait s’accrocher durablement aux ondes. Reste à ne pas la confondre avec d’autres perles apparues sur les scènes européennes et qui font de plus en plus parler d’elles : l’Allemande Mariama (née à Freetown, en Sierra Leone), la Camerounaise Irma, et Inna Modja, née au Mali et installée en France. Ces mousquetaires de la musique soul défendent chacune un univers singulier… mais partagent plus qu’il n’y paraît.

Il y a d’abord un goût évident pour la sape. Pain bénit pour les magazines féminins, elles impriment leurs courbes sur papier glacé entre les rubriques mode et culture. L’ancienne mannequin Inna Modja affublée de son inimitable coupe afro, égérie d’une marque de soins pour cheveux crépus, a par exemple déjà fait la couverture de Vogue. La belle tient d’ailleurs un blog fashion (rocknlovedoll.wordpress.com). Sa musique métissée est peut-être le produit de sa jeunesse nomade. Après une enfance passée entre Bamako, Accra, Lagos, Lomé, New York et Paris (pour suivre les déplacements professionnels de son père), elle est repérée par Salif Keita et chante dans le Rail Band de Bamako à peine ses 15 premières bougies soufflées. Aujourd’hui signée sur un label de Warner, elle a déjà défendu un premier album, Everyday Is a New World, au style pop-folk requinquant, sorti en 2010, sorte de compromis commercial entre Ayo et Lily Allen. Dernière actualité en date, le single French Cancan (au texte creux ou léger, selon les goûts) extrait de son prochain opus à venir à l’automne 2011.

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Cocktail efficace

Populaires en peu de temps, ces « soul sisters » ont « explosé » très rapidement. Trop peut-être dans le cas d’Irma. Née à Douala et originaire de Bangangté, dans l’ouest du Cameroun, l’étudiante débarque à Paris en 2003, à l’âge de 15 ans, pour poursuivre ses études secondaires. Ce sont de simples vidéos « maison », postées en 2007 sur YouTube, dans lesquelles elle chante en s’accompagnant à la guitare, qui déclenchent un retentissant bouche à oreille et alertent My Major Company. Grâce aux dons des internautes, le label français réussit à rassembler en quarante-huit heures les 70 000 euros nécessaires à un enregistrement à New York avec Henry Hirsch, producteur de Lenny Kravitz. Mais le produit fini est selon les propres termes de la chanteuse… « une grosse désillusion ». Manque de feeling, de prise de risque… Déçue par un opus trop lisse, Irma décide, culottée, de tout réenregistrer seule ! Résultat, l’album Letter to the Lord (sorti en février), sur lequel plane l’ombre d’Eric Clapton. Sa musique dépouillée est un cocktail efficace alliant la voix soul de l’autodidacte, l’accompagnement guitare très folk, ainsi que des textes où point une inébranlable foi et des passages chorals évoquant l’univers du gospel.

« Enfants, ces nouveaux talents ont été influencés par Michael Jackson, Prince, Marvin Gaye… », souligne Chet Samoy, directeur artistique chez Cinq 7, le label qui s’occupe de Mariama. À cette liste, la jeune chanteuse ajoute Ella Fitzgerald, Miriam Makeba, Bob Dylan ou, plus récemment, son compatriote allemand Patrice, né d’un père originaire comme elle de Sierra Leone. Mariama a grandi à Cologne (Allemagne). C’est là-bas que ses parents se sont rencontrés, se sont plu… mais n’ont pas pu s’y marier. « Les autorités publiques ont refusé, pensant qu’il s’agissait d’un mariage blanc », précise-t-elle. Le couple part donc en Sierra Leone avant de se rendre compte que la situation sur place n’est pas tenable et de retourner en Allemagne. Entre-temps, une petite fille s’est jointe à eux. Ses racines africaines sont peu flagrantes dans le CD 4 titres sorti en mars : émaillé de ballades rythmées et efficaces mixant soul, reggae et country, il n’est pas sans évoquer l’univers de Ben Harper. Pourtant, elle se tient activement informée de ce qui se passe dans son pays d’origine depuis l’éclatement de la guerre civile au début des années 1990. « Ce qui me choque le plus, explique-t-elle, c’est le peu d’intérêt des médias occidentaux pour couvrir cet horrible conflit et pour l’ensemble des événements qui se déroulent dans les pays africains, considérés comme moins importants d’un point de vue eurocentré. »

Cœur brisé

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Pour Imany, les origines remontent plus naturellement à la surface de la musique. Le nom même de son album, The Shape of a Broken Heart (ThinkZik !), renvoie à l’Afrique et à sa forme de cœur brisé. Fille d’un pompier de l’armée de l’air française qui s’est installé dans l’Hexagone au moment de l’indépendance des Comores, elle retourne régulièrement « au pays ». Elle dédicace d’ailleurs une chanson à sa grand-mère, mariée à l’âge de 9 ans, qui a perdu la plupart de ses enfants et est restée sur l’archipel. Repérée par le producteur d’origine sénégalaise Malick Ndiaye (celui-là même qui a découvert Ayo), elle a enregistré ses percussions au Sénégal. Sur le dernier morceau de l’album, l’ex-mannequin, qui chante habituellement en anglais, a choisi le comorien. Elle est accompagnée de ses sœurs, de ses nièces et de ses cousines. « Mes parents me tannaient depuis tellement longtemps pour faire un titre dans leur langue d’origine…, reconnaît-elle. C’est mon père, érudit, qui m’a aidée à traduire. C’est une belle langue, qui se prête parfaitement à la chanson, et le résultat sonne plutôt bien. » Jusque dans ses costumes de scène, signés Sakina M’sa, créatrice de mode comorienne, le continent filtre partout. 

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