Parlement : l’exception koweïtienne
Puissant contre-pouvoir, le Majlis al-Umma koweïtien est un cas unique au Moyen-Orient. Mais, entre échauffourées et motions de défiance à la chaîne, les députés négligent leur travail législatif.
C’est avec leurs poings et leur iqaal, le cordon qui retient leur turban, que Hussein al-Qallaf, 53 ans, et Jamaan Harbash, 41 ans, se sont affrontés, le 18 mai, dans l’hémicycle du Parlement koweïtien. Plusieurs élus sunnites n’ont pas apprécié que Qallaf, un chiite, qualifie les prisonniers koweïtiens de Guantánamo de « membres d’Al-Qaïda ». Bilan : plusieurs blessés. Que l’émir, Cheikh Sabah al-Ahmad al-Sabah, a dissuadés de porter plainte les uns contre les autres. « Je me suis trompé, ironise le lendemain l’éditorialiste du Kuwait Times. Les députés ne sont pas bons à rien : dans le secteur du divertissement, ils rapportent de l’argent. »
Cet épisode est exceptionnel, mais il en dit long sur le dynamisme du Parlement monocaméral du petit émirat. Même si elle a ravivé dans la presse le débat sur une institution en crise, cette échauffourée n’a pas affaibli la force du modèle koweïtien dans la région. Créé en 1963, deux ans après l’indépendance, le Majlis al-Umma (le « Conseil de la nation ») représente un contre-pouvoir unique et croissant à la famille Al-Sabah, qui règne depuis 1756. Les députés sont habilités à rejeter les lois émanant de l’émir ou à soumettre un ministre à un vote de confiance, ce qu’ils ont fait une trentaine de fois en presque cinquante ans. En février dernier, ils ont ainsi obtenu la démission du ministre de l’Intérieur après la mort d’un citoyen torturé en prison.
Rôle pionnier
Depuis 1963, les émirs successifs ont dissous le Majlis à cinq reprises. Mais le Parlement le leur a bien rendu : en 2006, après la mort de l’émir Jaber, il s’est opposé avec succès à l’intronisation du prince héritier, Saad, auquel il lui a préféré un autre prétendant, l’actuel émir. Enfin, les élus ne se privent pas d’interpeller le gouvernement sur sa politique étrangère, comme ils l’ont fait en 2011 à propos de la situation en Syrie ou de la participation de leur pays à la répression du soulèvement bahreïni. Le Majlis a aussi joué un rôle pionnier en octroyant aux femmes, en 2005, le droit de vote et d’éligibilité : quatre ont été élues pour la première fois aux législatives de 2009. « Les femmes ont apporté de la discipline au Parlement », assure la députée Rola Dashti. Elle évoquait surtout l’assiduité aux travaux en commission…
Mais le système parlementaire est en crise. Le Premier ministre, Cheikh Nasser al-Mohamed al-Sabah, nommé par l’émir, son oncle, a démissionné à six reprises depuis 2006 à l’approche d’un vote de confiance. Mais il a été à chaque fois réinstallé à son poste. Les partis n’existant pas au Koweït, les députés changent parfois d’allégeance. « Certains membres de l’Assemblée semblent incapables d’échapper aux manipulations du gouvernement, analyse Greg Power pour l’Arab Reform Bulletin. Elle a plus de pouvoirs, mais moins d’influence. » Les élus sont aussi la cible des hommes d’affaires, qui leur attribuent la stagnation économique du pays car ils ont refusé de renflouer des compagnies publiques et multiplié les entraves à l’investissement étranger.
Au Koweït, le « printemps arabe » a pris la forme de manifestations de jeunes relayées, voire récupérées par les députés. Lesquels ont, naturellement, réclamé la démission de Cheikh Nasser al-Mohamed, et l’ont obtenue en mai. Cette troisième année de la treizième législature a été très chaude : le 23 juin, le Premier ministre, à peine réinstallé, a été soumis à un nouveau vote de confiance. Il y a « survécu », comme l’on dit au Koweït, par 25 voix contre 18. Au menu des débats, qui reprendront le 25 octobre : une audition du Premier ministre ! Il faudra donc patienter avant que les députés n’examinent des textes proposant d’octroyer une prime aux travailleurs étrangers ou d’interdire les tenues féminines indécentes à la plage.
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