Sénégal : pourquoi Karim Wade a pris la plume

Karim Wade l’a écrit : il refuse toute transmission dynastique du pouvoir. Une mise au point nécessaire face à la colère de la rue. Pas sûr que cela suffise.

Le fils du président sénégalais et « super-ministre » Karim Wade. © AFP

Le fils du président sénégalais et « super-ministre » Karim Wade. © AFP

Christophe Boisbouvier

Publié le 18 juillet 2011 Lecture : 3 minutes.

Jamais lettre ouverte n’a fait autant jaser à Dakar. Le 3 juillet, Karim Wade annonce par écrit : « Je combats toute idée de dévolution monarchique du pouvoir. Chez nous, il n’y a qu’un seul et unique chemin pour accéder au pouvoir : celui des urnes. » Aussitôt, tout le monde réagit. Mame Mactar Gueye, Cap 21, majorité : « Il nous enlève une épine du pied. » Alioune Tine, Rencontre africaine pour la défense des droits de l’homme (Raddho), société civile : « C’est une sortie tardive mais salutaire. » Ousmane Tanor Dieng, Parti socialiste, opposition : « C’est de la communication. Personne n’y croit. » Un diplomate français de haut rang : « Ce n’est pas mauvais qu’il dise non à la succession dynastique, mais ses lamentations sur les attaques qu’il essuie sont maladroites. »

Pourquoi le fils du président sénégalais n’a-t-il pas donné de conférence de presse ? « Peut-être parce qu’il n’est pas à l’aise en wolof », explique un conseiller de son père. De fait, le ministre d’État aux quatre portefeuilles parle peu en public, sauf sur les sujets techniques dont il a la charge. Mais à la fin juin, les événements se sont précipités. La volte-face politique de son père, les grondements de la rue… Karim Wade devait réagir. Il l’a fait.

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À l’origine de cette lettre, il y a évidemment les émeutes des 23 et 27 juin. La première visait son père et sa tentative de réformer la Constitution avant la présidentielle de février 2012. Beaucoup ont vu dans ce texte un tour de passe-passe pour assurer la succession entre le père, Abdoulaye, 85 ans, et le fils, Karim, 42 ans. La seconde visait la Senelec, la Société nationale d’électricité, et ses délestages. Mais les manifestants s’en sont pris aussi au ministre de l’Énergie, qui n’est autre que Karim Wade. Le Mouvement du 23 juin en a même profité pour réclamer la démission du « ministre du Ciel et de la Terre ». Karim Wade était dans le viseur.

Un homme blessé ?

Outre ces manifestations, un article de presse a dû le toucher personnellement. Au lendemain des émeutes de l’électricité, le site internet du journal français L’Express a affirmé que, dans la nuit du 27 au 28, le ministre d’État avait appelé son ami français Robert Bourgi pour lui demander le soutien de l’armée française contre les manifestants. « Karim m’a appelé au milieu de la nuit. Il semblait paniqué. Je lui ai dit que ce n’était pas possible de faire sortir les soldats français mais, le lendemain, j’ai transmis sa requête à Claude Guéant [le ministre de l’Intérieur, NDLR] », précise l’avocat à Jeune Afrique. Dès le 28, Karim Wade a réagi par communiqué : « Je démens avec la dernière énergie. C’est vraiment irrespectueux pour nos forces armées sénégalaises. C’est faux et archifaux. »

Cette lettre ouverte est-elle le cri d’un homme blessé ? « Elle sort de ses tripes, lance un de ses conseillers. Pour lui, c’est même une délivrance. » L’a-t-il rédigée lui-même ? « Bien sûr, c’est son langage. J’ai juste jeté un coup d’œil. » De fait, quand Karim Wade s’indigne de « la haine envers le modeste passant sur terre [qu’il est] », on sent que les mots viennent de lui. A-t-il tout écrit ? « Je m’étonne que cette lettre alterne le “je” de la première personne, et le “nous” de majesté », glisse un universitaire de Dakar.

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Au final, cette lettre, pour quoi faire ? « Quand on écrit de tels mots, ça veut dire qu’on n’est pas partant pour l’élection de l’an prochain et qu’on met de côté ses ambitions », confie un proche du « super-ministre », qui ajoute : « Il se ferme la porte aujourd’hui, mais peut-être qu’il la rouvrira plus tard. Cette lettre peut être un retrait comme un nouveau départ. Wait and see… » En attendant, Karim Wade conserve ses quatre ministères. C’est : « J’y suis, j’y reste. »

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