Algérie : brainstorming général
En réponse au mécontentement populaire, le président a promis une ouverture démocratique. Depuis, les consultations s’enchaînent, sur tous les fronts. Si certains les boycottent, la mobilisation, inédite, laisse espérer de réels changements.
Révolutions arabes : l’exception algérienne
Après la levée de l’état d’urgence, le processus de profondes réformes politiques annoncé par le président Abdelaziz Bouteflika le 15 avril – et dont les modalités ont été précisées le 2 mai en Conseil des ministres – s’est transformé en thérapie de groupe à l’échelle nationale, avec des concertations tous azimuts et un gouvernement développant d’insoupçonnables capacités d’écoute. Les délais sont serrés, l’objectif étant que les réformes (hormis celle de la Constitution) soient adoptées et lancées avant les prochaines législatives, prévues en mai 2012.
Consultations politiques, états généraux de la société civile, assises de l’urbanisme, de l’environnement, de la jeunesse en formation, dialogue social avec une réactivation de la tripartite (gouvernement, syndicats et patronat), colloques et séminaires régionaux autour de questions économiques ou sociétales… Une véritable frénésie de parole s’est emparée des Algériens ces dernières semaines.
Des absents remarqués. Pendant un mois, du 21 mai au 21 juin, l’instance des consultations sur les réformes politiques – dirigée par le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, assisté de deux conseillers d’Abdelaziz Bouteflika, le général à la retraite Mohamed Touati et Mohamed Ali Boughazi – a enchaîné les rendez-vous. Représentants de partis politiques, syndicats autonomes, organisations patronales et estudiantines, fédérations et associations, universitaires et artistes, journalistes et sportifs, religieux et féministes… Plus de deux cent cinquante personnalités ont été reçues. Et autant de mémorandums et plateformes de revendications ou de propositions ont été recueillis à propos de la « mère des réformes » : la révision de la Constitution.
De nombreuses personnalités ont décliné l’invitation d’Abdelkader Bensalah. Parmi les partis l’ayant boudée, les deux frères ennemis : le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) de Saïd Sadi et le Front des forces socialistes (FFS) de Hocine Aït Ahmed, au grand dam du courant démocratique dont tous deux se réclament. Convaincus que le changement politique ne peut être l’œuvre du régime en place, ils refusent de cautionner une démarche qu’ils estiment « peu crédible », car engagée à la demande du chef de l’État et assimilée à une manœuvre du pouvoir.
Présenté par Mohamed Ali Boughazi, porte-parole de l’instance, comme étant inclusif, le dialogue a toutefois exclu le courant islamiste radical incarné par les vestiges du Front islamique du salut (FIS), dissous, en mars 1992, pour avoir appelé au djihad en Algérie. La seule personnalité à évoquer devant l’instance de Bensalah le « déficit démocratique de la démarche » est Abdelhamid Mehri, ancien secrétaire général du Front de libération nationale (FLN) et farouche partisan de la réhabilitation du FIS. Incarné par Hachemi Sahnouni, prédicateur aveugle comptant parmi ses quinze fondateurs, le FIS n’a d’ailleurs pas attendu d’invitation officielle pour s’incruster dans le débat. Il a envoyé une lettre ouverte au chef de l’État pour revendiquer une amnistie générale, la reconnaissance de la charia comme source unique du droit ainsi qu’une décision de justice annulant la dissolution du FIS. Rien de moins.
La question qui revient le plus souvent dans les revendications et propositions des « consultés » tourne autour de la nature du régime : présidentiel, semi-présidentiel ou parlementaire ? Si aucun parti n’a suggéré de donner davantage de prérogatives au chef de l’État, la grande majorité de la classe politique penche pour un système semi-présidentiel avec un exécutif bicéphale (avec un Premier ministre), un rééquilibrage entre les trois pouvoirs et une plus grande indépendance de la justice, dont les dysfonctionnements ont été déplorés par la quasi-totalité des contributeurs du débat.
Sans surprise, les islamistes, sûrs de leur poids électoral, suggèrent un régime parlementaire avec un Premier ministre chef du gouvernement, choisi par le parti capitalisant le plus de suffrages lors des législatives. Frères musulmans du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas de Bouguerra Soltani), réformistes d’El-Islah ou rigoristes d’Ennahda, tous plaident pour une importante réduction des prérogatives présidentielles au profit d’un Premier ministre responsable devant le Parlement. Ils suggèrent de réduire celui-ci à la seule Assemblée populaire nationale (APN), supprimant le Conseil de la nation (Chambre haute).
Une question centrale revient dans les débats : la nature du régime.
Les tabous tombent. Nombre d’autres questions ont été abordées, parmi lesquelles certaines considérées jusque-là comme taboues : le statut de l’armée (populaire ou professionnelle), son rôle et ses rapports avec les autres institutions de la République, la tutelle (civile ou militaire) des services de renseignements, présentés par certains comme une véritable police politique, omniprésente et jouissant d’une influence considérable dans les sphères politique et économique.
L’ensemble des contributions est consigné dans un rapport que l’instance remettra le 4 juillet à Abdelaziz Bouteflika – et que le gouvernement devra utiliser pour élaborer, pendant l’été, des projets de loi à soumettre à l’APN en septembre. Le lendemain, jour du 49e anniversaire de l’indépendance du pays, le chef de l’État recevra deux autres documents : le rapport des états généraux de la société civile (lire pp. 66-67) et les cent propositions de Notre Algérie bâtie sur de nouvelles idées, ou Nabni.
Le processus de concertation ne sera pas pour autant achevé. Au cours du mois de juillet, et après les états généraux de la société civile, le Conseil national économique et social (Cnes de Mohamed Seghir Babès) organise des assises régionales dédiées au développement local.
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Par Cherif Ouazani, envoyé spécial à Alger
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