Un Premier ministre grec en pénitence
Il est quand même assez rare d’être témoin en direct de l’Histoire – ou plutôt de la petite Histoire. C’est pourtant ce qui m’est arrivé jeudi dernier. Je me trouvais à Bruxelles, à l’hôtel Sofitel de la place Jourdan – je donne cette précision pour ceux qui ont vécu ou qui connaissent la capitale de la Belgique. Ceux-là savent que les frites les plus délicieuses de Belgique se vendent sur cette même place Jourdan, à l’enseigne de la maison Antoine – publicité gratuite.
Mais je m’égare. Donc je débarque au Sofitel, et là je remarque une agitation exceptionnelle : un ballet de voitures officielles – des berlines allemandes –, quelques motards de gendarmerie, des gardes du corps, enfin, vous voyez le topo… Que se passe-t-il ? Dans le hall, je pose la question à un employé qui me répond que pas moins de cinq Premiers ministres vont passer la nuit dans cet hôtel idéalement situé – une simple rue en ligne droite emmène jusqu’au siège du Conseil européen, sur la place Schuman. Effectivement, au moment même où l’employé est en train de m’expliquer tout cela, je vois passer à quelques mètres Zapatero, le chef du gouvernement espagnol, en grande discussion avec le chancelier autrichien. Mon interlocuteur m’assure que le Premier ministre grec, Georges Papandréou, est aussi dans l’hôtel.
Mais la scène la plus amusante – ou la plus révélatrice – reste à venir. Le soir même, en revenant à l’hôtel, je tombe sur le chef du gouvernement néerlandais, Mark Rutte, en train de faire bombance dans le très chic restaurant-bar de l’hôtel. Ce restau étant complet, je ressors sur la place Jourdan, je fais quelques pas et, là, je tombe sur un spectacle ahurissant. Le Premier ministre grec, Georges Papandréou, est assis avec trois de ses collaborateurs à la terrasse d’un petit boui-boui, une sorte de fausse pizzeria gérée par des Marocains ou des Tunisiens, comme il y en a tant en Europe. Les quatre Grecs ne sont pas au pain sec et à l’eau, quand même, mais ils sont en train de grignoter, ou plutôt de mâchouiller, des trucs grisâtres qui ont l’air peu ragoûtant. Pour faire passer cela, il y a sur la table non pas un saint-émilion ou un Château-Lafite, mais – je le jure – une simple carafe d’eau.
La scène prend tout son sens (et son sel…) quand on sait que le chef du gouvernement néerlandais n’a pas cessé d’exiger des Grecs qu’ils prennent des mesures d’austérité – qu’ils se serrent la ceinture – au cours de la journée de travail qui vient de s’achever au Conseil de l’Europe. C’est à ce prix qu’ils auront de nouveaux crédits européens.
Je ne sais pas si Papandréou l’a fait exprès ou bien s’il avait simplement envie de manger dehors puisque c’était une douce soirée d’été, mais en voyant le Premier ministre du pays qui a donné la philosophie et la démocratie au monde assis comme un modeste employé à la table d’un petit troquet, on avait envie de lui dire : bravo, vous prêchez par l’exemple, la Grèce est en bonnes mains…
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