Les grandes familles du Cameroun
Des ascendants charismatiques, quelques réussites flamboyantes, une puissance économique et une certaine proximité avec le pouvoir… Ces lignées patriciennes du Cameroun suscitent bien des fantasmes, mais se défendent d’être omnipotentes. Enquête exclusive.
Le Cameroun leur appartient
La maison est un véritable bijou patiemment ciselé, qui marie harmonieusement matières et couleurs. Dans le grand séjour en L, tout a été pensé dans le moindre détail, témoignant du bon goût du maître des lieux. Nous sommes chez le dernier des sept frères Mukete, Ekoko, 46 ans, promoteur immobilier et directeur général de Spectrum, le groupe de communication créé par le plus connu de la fratrie, le discret Colin Ebarko Mukete, 56 ans, également président du conseil d’administration (PCA) de MTN Cameroun.
En l’absence du porte-parole habituel de la famille, Jacob Diko Mukete, 57 ans, chef de la division réformes économiques et financières de la Banque africaine de développement (BAD), Ekoko a accepté de nous recevoir. Les Mukete appartiennent au cercle très restreint des grandes familles camerounaises : des réussites individuelles, une puissance économique, une certaine proximité avec le pouvoir et un patriarche qui en impose. Nfon Victor E. Mukete, 93 ans, est le paramount chief (chef suprême) d’un groupe ethnique du Sud-Ouest, les Bafaw, et le PCA du groupe public de télécommunications Camtel.
Parole parcimonieuse. L’amabilité et la liberté de ton de notre hôte surprennent car, pour pénétrer dans l’antre, mieux vaut être chaudement recommandé. Parfois, d’ailleurs, cela ne suffit pas : la parole des Mukete est parcimonieuse, fortement réglementée. Davantage peut-être depuis le coup porté au prestige des grandes familles par la bruyante arrestation d’Yves Michel Fotso, 50 ans, 65 milliards de F CFA (99 millions d’euros) d’avoirs personnels estimés, principal héritier de l’empire qui porte son nom et ancien administrateur-directeur général de la défunte Cameroon Airlines (Camair). Poursuivi pour détournement de fonds publics, il est incarcéré à la prison centrale de Yaoundé depuis le 1er décembre 2010.
Famille Muna : diplomatie d’influence
Sept des huit enfants de Salomon Tandeng Muna (1912-2002, président de l’Assemblée et vice-président d’Ahmadou Ahidjo) et Elizabeth Fri Muna sont devenus avocats (Bernard, ci-dessus à gauche, candidat à la présidentielle de novembre, et Akere ci-dessus à droite), médecins (Daniel, décédé en 2009, et Wally) ingénieurs (George et Humphrey) et… ministre (Ama Tutu, ci-contre au centre, chargée de la Culture). Le 8e, Edwin, est mort en bas âge.
« L’histoire d’Yves Michel a au moins le mérite de déconstruire le mythe des grandes familles omnipotentes qui cadenassent le pays et dictent leur loi », estime Ekoko Mukete, par ailleurs vice-président de la Chambre de commerce, d’industrie, des mines et de l’artisanat du Cameroun, membre du directoire de la United Bank for Africa Cameroon et consul honoraire de Turquie. Sauf que, consciemment ou non, ces dynasties affichent parfois des comportements susceptibles d’alimenter les plus gros fantasmes.
Ainsi, les Mukete fonctionnent comme une société anonyme : chaque première quinzaine de janvier à Kumba (Sud-Ouest, leur région d’origine), dans leur palace blotti au bout d’une interminable allée et protégé par un immense portail à leurs armoiries, leurs retrouvailles sont toujours précédées d’une journée de visite des terres disséminées dans la région, et suivies d’un conseil d’administration. Princes, politiciens (à 52 ans, Ekale Mukete est maire de Kumba I sous l’étiquette du Rassemblement démocratique du peuple camerounais [RDPC]) et redoutables hommes d’affaires, ces purs produits des universités américaines et britanniques (Yale, Cambridge, Manchester…) mettent un point d’honneur à rappeler que leur réussite repose sur leur esprit d’entreprise.
La société familiale, dont ils sont tous actionnaires, date de 1910. La ferme créée dans la région par leur grand-père, Abel N. Mukete, est devenue, en 1928, la A. Mukete and Sons Plantations (aujourd’hui Mukete Plantations Ltd. et Mukete Estates Ltd.), spécialisée dans la culture de palmiers à huile, d’hévéas et de cacaoyers. Dans les années 1970, grâce à un crédit de la Caisse centrale de coopération économique française, Godfrey Mbe Mukete, 59 ans, premier diplômé africain de l’université de Yale, agrandit les surfaces et diversifie les cultures. Une expansion pas toujours bien perçue. « Ils sont insatiables et empêchent l’émergence d’autres fils du coin », grince un habitant, oubliant de rappeler que sept cents personnes travaillent dans ces plantations.
Une fortune inestimée
S’ils s’interdisent de fournir une quelconque estimation de leur fortune et de leurs actifs, les Mukete ne font en revanche pas mystère de leur désir d’étendre leur influence au-delà de leur fief d’origine. Ils ont ainsi investi dans un groupe de communication comportant deux chaînes de télévision (STV1 et STV2) et une régie publicitaire (Spectrum), avant de prendre, dès sa création, 30 % des parts de la compagnie privée MTN Cameroun, leader du marché de la téléphonie mobile (plus de 191 milliards de F CFA de chiffre d’affaires en 2009). « Certains prétendent que mon père, PCA de Camtel, s’est arrangé pour que Colin achète MTN. Mais il ignorait tout des intentions de mon frère. Et il s’agissait d’un appel d’offres international : nous avons remporté la mise en payant 43 milliards de F CFA, soit 13 milliards de plus que nos concurrents immédiats », plaide Ekoko Mukete.
Endogamie
Famille Fadil : capitaines d’industrie
Famille d’industriels fondée par Abdoulaye Fadil (1924-1993), originaire de Rabinga (Nord). Développé autour du Complexe chimique camerounais, le groupe Fadil compte aujourd’hui plus de dix entités et est dirigé par Mohamadou Bayero Fadil. Autre descendant en vue, Oumarou (ci-dessus), maire de Douala III.
Ce qui est en réalité pointé ici, ce sont les facilités dont profiteraient ces grandes familles lorsqu’elles traitent avec l’État. Bien que leurs membres n’occupent pas nécessairement des postes en vue, comme celui de ministre, ils sont parfois bien positionnés au sein des entreprises publiques. Ce schéma s’applique notamment aux Fadil, une famille d’aristocrates peuls originaire de Rabinga, au sud de Garoua (Nord), qui tire sa fortune du groupe Complexe chimique camerounais (CCC), créé en 1944 par un trio d’expatriés grecs et repris à la fin des années 1970 par le patriarche, El Hadj Abdoulaye Fadil. Assurant la relève depuis 1993, Mohamadou Bayero Fadil, 50 ans, diplômé de Georgetown et de l’Institut polytechnique de l’université de New York, règne sur une dizaine d’entreprises et un holding, basé à Paris. Il est également PCA de l’Agence des normes et de la qualité (Anor) nationale.
Nouveau chef de la famille Kondo, issue de la bourgeoisie commerçante de Douala (Littoral), Samuel Kondo Junior est lui aussi PCA de nombreuses sociétés. Ce milliardaire discret mais redoutablement influent a été durant des décennies président du Syndicat des industriels du Cameroun (Syndustricam). À 86 ans, il conserve le monopole de la fabrication des cartons d’emballage avec son entreprise Socarto. Propriétaire de plusieurs imprimeries, il a choisi des secteurs peu en vue, mais lucratifs.
Il existe, de toute évidence, une forme d’endogamie avec la puissance publique très caractéristique de la politique camerounaise. Fils du général Benoît Asso’o Emane, baron militaire très introduit dans les réseaux du pouvoir, Serge Asso’o est partie prenante dans le projet de construction d’une usine de fer dans le Sud, en partenariat avec des Australiens. La plupart des hommes d’affaires étrangers qui s’installent dans le pays s’associent avec des noms connus. C’est le cas des sociétés immobilières, qui ont tendance à nouer des partenariats avec les fils d’Andzé Tsoungui, grands propriétaires terriens dont l’un, Émile, est maire du premier arrondissement de Yaoundé. C’est le cas également du groupe Bolloré, actionnaire des plantations Socapalm dont le conseil d’administration est présidé par Claude Juimo Monthe, un autre boss de l’économie camerounaise et ex-président de la Chambre de commerce, d’industrie, des mines et de l’artisanat nationale.
Homme de réseaux
Bien loin de leur Ngyen Mbôh natal (dans le Nord-Ouest), les Muna occupent l’espace d’une autre manière. Formés dans les meilleures universités américaines, les frères et sœur Muna tissent chacun une trajectoire pour leur propre compte et pour l’image de la famille. Nul besoin alors de brandir l’image du père comme un étendard – même si les sept enfants de l’homme politique Salomon Tandeng Muna, décédé en 2002 à l’âge de 90 ans, ont créé une fondation portant son nom.
Famille Kadji : un empire discret
Autodidacte, Joseph Kadji Defosso (ci-dessus), 87 ans, a prospéré dans la brasserie, les assurances, l’immobilier, l’hôtellerie… Dans la seconde génération, Gilbert a fondé la Kadji Sport Academy (qui a formé Samuel Eto’o), Pierre a investi dans l’agro-industrie, Odette dans une chaîne de stations-service et Josette est devenue avocate…
Dans son cabinet (l’un des plus prestigieux du pays) sis au siège de cette fondation, Me Akere Muna, associé à son frère Bernard, ancien procureur adjoint du Tribunal pénal international pour le Rwanda, se pose volontiers en homme de réseaux. Président de l’Union panafricaine des avocats ainsi que du Conseil économique, social et culturel de l’Union africaine (UA), il est également vice-président de l’ONG Transparency International, dont les palmarès sur la corruption exaspèrent le gouvernement camerounais, régulièrement mal classé. Me Akere Muna est aussi l’un des douze membres du Groupe consultatif régional pour l’Afrique subsaharienne du Fonds monétaire international (FMI). Il arrive même qu’on prête des ambitions politiques à ce quinquagénaire marié depuis trente-deux ans à une Anglo-Américaine et voyageant sans cesse entre New York, Londres et les capitales africaines.
Quant à son frère aîné, le cardiologue Walinjom (Wally) Muna, 64 ans, silhouette massive et costume de très belle facture, du haut de son 1,90 m, il truste les présidences de toutes les organisations qu’il intègre, dont celle de la Société panafricaine de cardiologie, qu’il a créée et dirigée pendant quinze ans. « Nous sommes toujours prêts à servir et, à force, nos homologues nous poussent à occuper les postes de président », explique-t-il, tout sourire.
« Le plus important pour nous, c’est de ne pas être réduits à obtenir des promotions par des relais gouvernementaux », souligne Me Akere Muna, successeur de son défunt frère Daniel (qu’il appelle parfois « papa ») et unique administrateur des biens paternels, à la demande unanime de la fratrie. Ingénieur agronome, George, lui, a connu quelques déboires financiers en raison de la chute des cours du cacao. Installé dans l’une des ailes de la fondation, il travaille à la transformation de produits agricoles. Tous actionnaires de la Polyclinique Bonanjo SA (Douala) fondée par Daniel, les Muna prétendent n’avoir pour toute fortune que « leur capital humain », leurs parents ayant tout misé sur leur formation.
De concert, ils évoquent d’ailleurs une éducation à la dure, visant à leur inculquer les « vraies valeurs » : hormis les deux derniers, Akere et Ama Tutu (traductrice, actuelle ministre de la Culture), ils ont tous quitté le domicile familial dès l’âge de 5 ans pour aller vivre chez leurs instituteurs, dont ils devenaient quasiment les domestiques. « Nous ne revenions que pendant les vacances pour trouver nos lits occupés par des cousins », se souvient Wally, qui a quitté le Cameroun pour les États-Unis à 16 ans.
Oeuvres sociales
Désormais, pour cette fratrie, le défi, c’est d’assurer le succès de la fondation à la mémoire de leurs parents (dont les bustes trônent dans le hall). Alors que leur mère, Elizabeth Fri Muna, rêvait d’ouvrir un orphelinat, leur père finançait en secret les études d’enfants de familles démunies. La Fondation Salomon Tandeng Muna œuvre donc dans le social, mais accueille aussi un centre de documentation, un auditorium et un studio d’enregistrement. Elle est également dotée d’un musée qui organise une exposition tournante de plus de 15 000 œuvres d’art. Financée sur fonds propres et ouverte en 2008, elle a coûté quelque 800 millions de F CFA aux Muna, qui aimeraient la voir reconnue d’utilité publique afin d’obtenir des subventions. « Nous survivons parce que nous exerçons des professions libérales, mais l’argent nous a toujours manqué. Notre père est mort dans le dénuement car il donnait tout ce qu’il possédait. Or, dans l’imagerie populaire, nous sommes si riches que nous avons créé cette fondation pour distribuer nos biens. Évidemment, ils ne comprennent pas ce qui sous-tend notre philosophie. Et ignorent que nous devons payer des traites tous les mois », assure Wally Muna, le regard rivé sur la bibliothèque en acajou massif d’époque victorienne de leur immense salle de conférences.
À l’en croire, les pouvoirs publics auraient d’ailleurs pu les soupçonner de vouloir se servir de la fondation comme base arrière d’un mouvement politique. « Nous avons été épargnés, probablement en souvenir de notre père [plusieurs fois ministre, mais surtout vice-président d’Ahmadou Ahidjo et président de l’Assemblée nationale, NDLR], bien qu’en son temps il fut parfois assimilé à un opposant. » Dans ces familles, en effet, la politique n’est jamais bien loin.
"Bénédiction divine"
Issus d’une aristocratie pastorale, les Hayatou en sont la preuve, même si, selon le 14e lamido de Garoua, Alim Garga Hayatou, 65 ans, actuel secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé, « [leur] présence aux plus hautes fonctions de l’État relève de la bénédiction divine ». Ce gendre d’un ancien ministre d’Ahmadou Ahidjo rappelle qu’à Garoua une école primaire a été créée dès le début du XXe siècle. Premier chef traditionnel du Nord à se rendre à La Mecque puis en France, le lamido y a par ailleurs envoyé les enfants des familles peules et a commencé à se mêler de politique dès les années 1930. Il choisissait et conseillait les candidats aux élections, créant autour de lui une cour s’apparentant à un réseau d’obligés. Ahmadou Ahidjo apparaît comme un de ses fils spirituels. À l’indépendance, tous les partis politiques du Grand Nord se fédèrent à Garoua sous la bannière d’Ahidjo, transformant ainsi la ville en vivier d’hommes politiques. Ce qui vaudra aux Hayatou d’être présents sur la scène politique sans discontinuer, du défunt Amadou Hayatou, secrétaire général de l’Assemblée nationale pendant des décennies, à Sadou Hayatou (Premier ministre en 1991-1992), en passant par Issa Hayatou (président de la Confédération africaine de football). En échange, le lamido, qui a autorité sur plus de quatre cents cantons, offre une vaste réserve de voix.
Atout dont jouissent aussi les Fotso. En dépit de l’incarcération d’Yves Michel, ils ont conservé leur prestige auprès des populations Bamiléké (Ouest), et plus particulièrement Bandjoun, attachées au respect des notables. Lorsque Victor Fotso, 85 ans, fondateur d’une galaxie d’entreprises affichant un chiffre d’affaires de 80 milliards de F CFA, organise un rassemblement à Bandjoun, nul ne se fait prier. Employeur de plus de 8 000 salariés, le patriarche – on lui prête une cinquantaine d’épouses et une centaine d’enfants –, qui dit avoir démarré comme vendeur de cacahuètes, dispose donc d’une très forte capacité de mobilisation. Maire RDPC de sa ville natale, il fait campagne sur le terrain pour Paul Biya, période préélectorale oblige.
Famille Hayatou : dynastie du grand nord
Lamido de Garoua (1952-2000), Amadou Hayatou fut aussi secrétaire général de l’Assemblée nationale pendant des décennies. Ses fils les plus connus sont Sadou (ex-Premier ministre), Alim Garga (secrétaire d’État auprès du ministre de la Santé et actuel lamido, ci-dessus) et Issa (président de la Confédération africaine de football).
Les Mukete non plus ne font pas mystère de leur proximité avec le parti au pouvoir. À 49 ans, John Akpo Mukete, avant-dernier de la fratrie et propriétaire de la société Amtrade, est en le président national pour la jeunesse. Quant à Ekale, maire de Kumba I, il préside une section du RDPC. « Notre père a été l’un des premiers soutiens de Paul Biya, lors de la tentative de coup d’État de 1984 », affirme Ekoko Mukete, lui-même sympathisant.
Chez les Muna aussi, la politique s’invite. « Bernard a suspendu ses activités d’avocat pour se présenter à l’élection présidentielle de 2011, tandis que notre benjamine [Ama Tutu, NDLR] est ministre du gouvernement Biya. Nous suivons l’un des préceptes de mon père : chacun a droit à son opinion, dès lors qu’il respecte les institutions », indique Wally, le cardiologue. Mais entre eux les Muna préfèrent ne pas discuter de politique. « Pour l’essentiel, les grandes familles restent dépendantes du pouvoir. Le système étant présidentiel, elles n’ont pas la possibilité d’intervenir directement dans la conduite des affaires », explique le politologue Mathias Éric Owona Nguini.
Sur le déclin
Accusée par ses détracteurs de vivre dans le culte du père (chez eux, la conversation est souvent ponctuée par un passage en revue des albums retraçant la vie d’André Fouda, premier délégué du gouvernement à Yaoundé et grand ami d’Ahmadou Ahidjo), la famille Fouda est jugée plutôt sur le déclin. Si plusieurs de ses membres affichent de belles réussites sociales en tant que médecins ou pharmaciens, on ne leur connaît pas de succès éclatant dans les affaires. Le clan s’essaie pourtant au commerce d’objets d’art, à l’organisation de spectacles et à la restauration. De plus, il n’a presque plus aucune influence politique depuis le départ du gouvernement, en 2002, de la doctoresse Marie-Madeleine Fouda, belle-fille du patriarche, ex-ministre des Affaires sociales. « Mais chaque fois que survient un événement, heureux ou malheureux, le chef de l’État se manifeste d’une manière ou d’une autre », soutient le chef de famille, le pharmacien Augustin Onambélé Fouda. « Ce n’est pas un ami, mais il veille sur nous. Il est intervenu lorsque nous avons eu des ennuis avec l’administration fiscale », ajoute ce jeune quinquagénaire. « Seul le chef de l’État peut faire et défaire les carrières. Au bout du compte, la reproduction des élites est toujours tributaire du pouvoir », complète Owona Nguini.
Les Fouda restent une grande famille dans la mesure où ils peuvent capitaliser sur la réputation acquise par leurs charismatiques ascendants. Les enfants n’ont pas oublié que les ancêtres d’André Fouda, Omgba Bissogo et Essonno Ela, sont les fondateurs d’Ongola, nom d’origine de Yaoundé. Ils n’ont pas oublié non plus que leur père avait réuni tous les Betis du Grand Centre autour d’Amadou Ahidjo, lui permettant de prendre le pouvoir au détriment d’André Marie Mbida.
Et même si le marathon judiciaire de plus de vingt ans pour la succession du patriarche a contribué à les décrédibiliser, il y a toujours chez eux la volonté d’imprégner leur marque sur leur terroir. L’affaire a connu son épilogue en 2001 : pour mettre d’accord les dix-huit descendants d’André Fouda, décédé en 1980 à l’âge de 74 ans, le juge avait menacé de tirer au sort la part de chacun. Depuis dix ans, un calme relatif règne donc, un terrain d’entente ayant été trouvé pour permettre aux uns et aux autres de vivre décemment. Certains biens ont été consignés et resteront à jamais propriété de la famille : les appartements de Paris, la clinique et la résidence Fouda, les résidences de Kribi (Sud). Le quartier Fouda compte quelque trente villas occupées par des fils ou des petits-fils. Outre la chapelle et le cimetière familiaux, il reste encore 1 à 2 ha de terres en friche. Selon Augustin Onambélé Fouda, les experts ont estimé la valeur des biens à quelque 2 milliards de F CFA.
À Douala, aujourd’hui, une lutte de succession hypothèque l’existence même d’une autre dynastie, celle des Soppo Priso. Depuis la mort du patriarche Paul, en 1996, la résidence principale, avenue du Général-de-Gaulle à Bonapriso (Douala), est déserte. Les grands-messes familiales ont disparu, emportées par la guerre sans merci que se livrent les héritiers (une trentaine d’enfants, issus d’au moins trois unions) pour la répartition d’un patrimoine estimé à plusieurs centaines de milliards de F CFA. Malgré tout, dans cette lignée menacée d’effondrement, des figures émergent, à l’instar d’Hervé Soppo Priso, brillant homme d’affaires qui a investi dans l’immobilier. Ou de Violette Pensy, avocate à Douala. Empêtrés dans cet interminable imbroglio, ils se tiennent pour la plupart éloignés des autres grandes familles. Et de leurs rivalités.
Tensions et émulation
Famille Mukete : le triomphe du capitalisme
Feu Abel N. Mukete était le père de l’actuel paramount chief des Bafaw (Sud-Ouest), Nfon Victor E. Mukete (ci-dessus), président de Camtel. Et le grand-père de Godfrey Mbe (DG de Mukete Estates Ltd.), Jacob Diko (chef de division à la BAD), Colin Ebarko (président de MTN Cameroun), Ekale (maire de Kumba I), John Akpo (Amtrade) et Ekoko (DG de Spectrum)…
Ainsi, selon leurs entourages respectifs, les relations sont mauvaises entre les Fotso et les Kadji (bourgeoisie commerçante du département du Haut-Nkam, dans l’Ouest). À commencer par les deux patriarches, qui confrontent leurs expériences d’autodidactes. La légende veut que Joseph Kadji Defosso ait reçu de son père une poule pour tout héritage… Les relations seraient également exécrables entre les Fotso et les Juimo Monthe. Chez les Muna et les Mukete, l’ambiance est tout autre : ils se fréquentent et se livrent une saine concurrence, leurs parents ayant été amis et membres du gouvernement Tafawa Balewa à la fin des années 1950 au Nigeria, lorsque l’ancien Cameroun occidental était sous administration britannique. Dernier survivant de ce gouvernement, chief Victor E. Mukete continue d’assister aux anniversaires des descendants de ses anciens collègues.
Pour autant, les mariages entre ces dynasties sont rares. Trois ou quatre membres de la famille Fadil sont unis à des Hayatou. Ainsi, Mohamadou Bayero Fadil a épousé en premières noces Assanatou Hayatou, nièce du lamido, sa deuxième épouse étant l’une des filles de l’ancien président nigérian Sani Abacha. Douala se souvient encore du mariage princier de ce vrai mondain, discret, mais ne résistant pas au plaisir de conduire une BMW X5 ou un 4×4 Mercedes dernier cri, notamment pour parcourir son ranch de 35 000 ha abritant quelque 30 000 têtes de bétail, à Gounjel (Nord).
Quoi qu’il en soit, ces familles n’ont pas le sentiment d’appartenir à une quelconque caste. La structuration du système ne permet pas la formation nette d’une oligarchie omnipotente. « Lorsque vous arrivez dans certains pays, vous pouvez, en deux heures, savoir quelles sont les familles incontournables. Au Cameroun, ce n’est pas le cas », estime Ekoko Mukete. De fait, leur influence est le plus souvent circonscrite à un fief. Les contre-pouvoirs, représentés par la haute administration, les décideurs politiques et une nouvelle élite économique, ont dilué leur toute-puissance. Mais si le fantasme d’une domination sans partage mérite d’être revu, ces lignées patriciennes constituent toujours une forme d’aristocratie. « Il y a un esprit “grande famille”, qui tourne autour de l’utilisation du nom de l’ascendant comme outil de légitimation sociale », conclut Owona Nguini.
A l’Est, la relève se fait attendre
« À l’instar des Sabal Lecco, Effoudou, Langoul, Mibang ou Pitol, quelques familles de l’Est se sont jadis illustrées. Mais, parties intégrer la haute administration à Yaoundé, elles ont perdu leurs assises locales pour apparaître, au final, comme de simples élites politico-administratives », explique le politologue Roger Sombaye. Certes, des personnalités historiques entretiennent encore des relations étroites avec le pouvoir. C’est le cas de René Ze Nguelé et Joseph-Charles Doumba, intimes de Paul Biya et respectivement ex-secrétaire général du comité central du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC) et ex-ministre. Mais, dans leur fief, ces acquis se diluent, faute d’ancrage dans la société et de descendants qui se singularisent. La plupart des élites actuelles descendent du quatuor « récompensé » par Ahidjo pour l’avoir soutenu contre Mbida : Martin Mindjos (ex-vice-président de l’Assemblée), Marigoh Mboua (ex-ministre et ex-président de l’Assemblée), Mabaya (premier ministre des Forces armées) et Ntibo Barsola. Mais la relève, elle, n’est pas à la hauteur des parrains.
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Clarisse Juompan-Yakam, envoyée spéciale
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