Noir = mercenaire
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 4 juillet 2011 Lecture : 2 minutes.
C’est un sujet qui n’intéresse personne, ou presque. Ni les chefs d’État africains réunis en sommet à Malabo, ni les médias – ou si peu –, ni Abdoulaye Wade en visite à Benghazi, ni MM.Sarkozy et Juppé, ni Bernard-Henri Lévy, ni Kadhafi dans son bunker. Pas opportun, pas d’audimat, politiquement incorrect. Des scories de la petite Histoire sans impact aucun sur la grande, des anonymes aux semelles de vent à peine bons à remplir de leurs témoignages tragiquement répétitifs les rapports des ONG. L’une d’entre elles, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), de notre amie Souhayr Belhassen, vient pourtant de publier une enquête fouillée et accablante, malheureusement passée inaperçue, sur ces damnés de la terre que sont les immigrés d’Afrique subsaharienne, victimes collatérales, dont nul n’a cure, de la guerre en Libye. Et elle n’y va pas par quatre chemins : les exactions à caractère raciste – assassinats, viols, lynchages, pillages – commises à l’encontre des Tchadiens, Nigériens, Soudanais, Nigérians dans la zone libérée par les rebelles du Conseil national de transition (CNT) sont à ce point «massives et systématiques » qu’elles peuvent être qualifiées de « crimes de guerre relevant de la Cour pénale internationale (CPI) ». En cause: l’assimilation mortelle Noir = mercenaire de Kadhafi, mais aussi, en filigrane, le rejet viscéral du tropisme africain du « Guide » honni, perçu comme la source de tous les maux, du sida à la drogue en passant par la folie des grandeurs et le gaspillage des pétrodinars.
« De Tobrouk à Benghazi, les gens nous regardent comme des chiens », confie un ouvrier agricole. C’est que le mal est à la fois profond et ancien. Le dictateur traqué ayant toujours considéré cette main-d’oeuvre servile et privée de droits comme une soupape de sûreté, les Libyens étant en quelque sorte « autorisés » à déclencher des pogroms ponctuels, histoire de trouver un exutoire à leurs frustrations. Boucs émissaires hier, boucs émissaires aujourd’hui. En cinq mois d’exercice du pouvoir, les insurgés du CNT n’ont toujours pas ouvert la moindre enquête officielle sur ces violations, ni même prononcé une seule déclaration appelant leur peuple à cesser de voir en chaque immigré à peau sombre un mourtazaka (« mercenaire ») en puissance. Pour des dirigeants censés incarner la « nouvelle Libye », c’est inquiétant. Le procureur de la CPI, Luis Moreno-Ocampo, qui, après avoir inculpé à juste titre Mouammar Kadhafi, vient d’appeler ses proches à le livrer, faute de quoi ils pourraient être eux aussi poursuivis (trahison contre impunité : le deal est aussi immoral qu’efficace), jure qu’il se penchera le temps venu sur ce douloureux dossier. On espère seulement que cette promesse-là ne fera pas pschitt, comme l’histoire du même Moreno-Ocampo et de l’ambassadrice américaine à l’ONU, Susan Rice, sur les pseudo-conteneurs de Viagra destinés à servir d’armes de pénétration massive aux soldats de Kadhafi, ou celle de Kadhafi menaçant de produire les preuves du financement de la campagne de Sarkozy en 2007. Que voulez-vous, depuis la magistrale intox des bébés koweïtiens étouffés dans leurs couveuses par les hordes de Saddam Hussein, on se méfie un peu des effets d’annonce…
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