Maroc : schizophrénie linguistique

Pour parler, lire et écrire, les Marocains sont confrontés, dès leur plus jeune âge, à plusieurs langues. Cette richesse est-elle une bénédiction ? se demande Fouad Laroui.

Des journaux marocains en 2009. © Abdelhak Senna/AFP

Des journaux marocains en 2009. © Abdelhak Senna/AFP

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Publié le 7 juillet 2011 Lecture : 3 minutes.

Le dernier livre de notre collaborateur Fouad Laroui aurait pu s’intituler « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur la question des langues au Maroc sans jamais oser le demander ». Troquant les habits du romancier pour ceux de l’essayiste, l’auteur s’est attelé à une mission difficile à laquelle nul n’avait songé ou, du moins, ne s’était attaqué d’une manière aussi limpide, courageuse et argumentée – ce qui n’exclut pas quelques accès de drôlerie.

De quoi est-il question ? Rien moins que d’expliquer la raison majeure des carences du Maroc en termes de scolarité et d’alpha­bétisation, qui le placent loin derrière des pays au niveau de développement économique comparable.

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Figurez-vous une contrée dont les habitants sont confrontés, dès leur plus jeune âge, à l’apprentissage de plusieurs langues : arabe dialectal, arabe littéraire, français, et éventuellement anglais ou espagnol. N’importe qui y perdrait son latin ! Ainsi, les Marocains s’expriment d’abord dans leur langue maternelle : le plus souvent la darija (l’arabe dialectal), parfois le berbère dans l’une de ses variantes (tamazight, tarifit ou tachelhit). Des langues parlées, évolutives et vivantes, qui servent à exprimer les émotions, mais ne sont que rarement écrites. Suit l’apprentissage de l’écriture. Et là, patatras ! Les écoliers doivent maîtriser l’arabe classique, qui s’écrit mais ne se parle pas, figé dans le marbre du Coran. Une langue sacrée, donc, et aussi un sacré défi intellectuel. Qu’on en juge : surabondance lexicale, absence de vocalisation (le lecteur doit placer lui-même ses voyelles, c’est-à-dire connaître les mots avant de les re-connaître), absence de majuscules (source de confusion dans la lecture des noms propres)…

Conclusion : « Dans les langues occidentales, on lit pour comprendre ; en arabe classique, il faut comprendre pour pouvoir lire » autrement dit, « il est et restera l’apanage d’une caste de lettrés ». Et puis, comment l’utiliser dans la littérature comme dans la vie courante alors que, ne connaissant aucune évolution depuis son âge d’or (IXe au XIIe siècle), il est devenu artificiel et peine à exprimer la vie ? Il en va de même pour l’arabe littéraire moderne en vigueur notamment dans la presse –, qui, bien que simplifié, présente les mêmes difficultés grammaticales et se montre rétif aux nomenclatures scientifiques.

Arabe littéraire écrit d’un côté, arabe dialectal (darija) parlé de l’autre : nous voilà, explique Laroui, en pleine diglossie. Et c’est là que le bât blesse : personne ne veut voir « the elephant in the room » – un problème pachydermique dont on s’emploie à occulter l’existence et qui se trouve résolu, en littérature, par l’usage du français. Qu’il soit marocain, algérien ou libanais, aucun auteur, souligne Laroui, n’avoue qu’il écrit dans la langue du colonisateur parce qu’il lui est impossible d’écrire en dialectal ou dans la langue savante.

Affronter la réalité. Alors, comment surmonter cette diglossie, schizophrénique et source d’échec scolaire ? Peut-être en promouvant l’écriture des dialectes (la darija, au Maroc), ce qui ferait « émerger des littératures nationales vigoureuses et en phase avec les sociétés dans lesquelles elles évoluent ». Cela supposerait « qu’une génération d’écrivains se sacrifie » à cette cause, et que les tenants du panarabisme acceptent de couper le cordon ombilical qui les relie au monde arabe. Il suffit de se rappeler que la frontière algéro-marocaine est fermée depuis près de vingt ans pour mesurer à quel point cet idéal est factice. Mais, on le sait, les hommes sont souvent plus attachés à leurs rêves que désireux d’affronter la réalité…

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