Christian Adovèlandé : « La production d’énergie est un des premiers défis de l’UEMOA »
Délestages au Sénégal, reconstruction de la Côte d’Ivoire, développement rural… Le successeur d’Abdoulaye Bio-Tchané dresse les priorités de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et énumère les moyens de les financer.
L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) ne se porte pas bien. Citée en modèle réussi d’intégration, elle peine pourtant à décoller, affectée par la crise sociopolitique qui a secoué la Côte d’Ivoire, par le déficit énergétique, par la hausse des prix des denrées alimentaires… De 3,6 % en 2010, la croissance de la zone ne progressera pas significativement cette année. Et elle restera nettement en dessous de la moyenne subsaharienne (+ 5,6 %). La Côte d’Ivoire, qui contribue à plus de 40 % au PIB de l’UEMOA, sera en récession cette année, avec un recul de 7,5 % de son PIB. La Banque ouest-africaine de développement (BOAD), dont le capital a été augmenté de 50 % en 2010, à 1 050 milliards de F CFA (1,6 milliard d’euros), a donc du grain à moudre. Le Béninois Christian Adovèlandé, son nouveau président, revient sur les engagements de l’institution pour doper l’économie de l’Union.
Jeune Afrique : Avant son départ, votre prédécesseur Abdoulaye Bio-Tchané avait initié un plan d’action stratégique 2009-2013. Poursuivez-vous dans cette voie ou comptez-vous apporter votre touche personnelle ?
Christian Adovèlandé : Globalement, nous allons poursuivre ce programme, qui est bien structuré. J’ai eu l’occasion, quand j’étais à la tête de la BIDC [Banque d’investissement et de développement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, NDLR], de suivre et même de participer à son élaboration. De fait, j’en connaissais les principales lignes, et la prise en main s’est faite sans grandes difficultés. Il n’y aura pas de changement, parce que les fondamentaux ont été posés et les défis à relever n’ont pas changé, à savoir le développement des infrastructures, le soutien à l’agriculture, l’énergie et les problèmes liés à l’environnement. Toutefois, pour la fin de l’année, nous envisageons de faire un bilan de mi-parcours pour apporter d’éventuels ajustements.
EN OFF
En dépit d’une parenthèse de huit années passées à la BIDC (Banque d’investissement et de développement de la Cedeao), Christian Adovèlandé n’a jamais vraiment quitté la "maison" BOAD, dans laquelle il avait déjà travaillé pendant dix-sept ans. "Même en étant à la tête de la BIDC, je faisais toujours parti de l’effectif de la BOAD, j’étais en détachement", confie-t-il à Jeune Afrique. Christian Adovèlandé avoue toutefois avoir été impressionné par l’évolution de la banque pendant son absence.
Des défis, justement, l’UEMOA doit en gérer plusieurs. Parmi ceux-ci, le déficit énergétique constitue un sérieux handicap à la croissance de la zone. Que faites-vous dans ce domaine ?
Nous avons, c’est vrai, un déficit de production et des problèmes de transport et de distribution d’électricité. Pour y faire face, nous avons levé 250 milliards de F CFA l’année dernière pour le financement partiel de l’Initiative pour l’énergie durable, dont l’objectif est de rendre l’électricité accessible à tous à l’horizon 2030, pour environ 30 F CFA le kilowattheure. Et dans le cadre de ce projet, nous comptons mobiliser assez rapidement 500 milliards de F CFA, grâce à des fonds étrangers, pour financer la production et le transport d’électricité afin d’augmenter l’offre dans la sous-région. La croissance économique et la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement en dépendent.
Au Sénégal, les délestages sont devenus monnaie courante et pénalisent sérieusement l’activité économique. Comment y remédier ?
Nous sommes très engagés au Sénégal. Nous avons récemment reçu, à Lomé, la visite du ministre d’État Karim Wade, pour discuter d’un certain nombre de projets. D’ores et déjà, 25 milliards de F CFA ont été mis à la disposition du pays. À nouveau, nous venons d’approuver un prêt d’un montant de 10 milliards de F CFA pour le financement partiel du projet de renforcement de la capacité de la Senelec. Nous avons également décidé de participer, à hauteur de 12 milliards de F CFA, à la facilité de crédit à court terme pour le financement de la location de groupes électrogènes d’une capacité totale de 100 mégawatts [dans le cadre du plan Takkal, NDLR]. Nous avons dépassé nos ratios d’intervention mais, compte tenu de l’urgence de la situation et de la pertinence du projet qui nous a été présenté, nous travaillons pour nous y impliquer davantage.
La Côte d’Ivoire, locomotive de la sous-région, sort d’une grave crise et connaîtra une récession en 2011. Comment allez-vous soutenir ce pays ?
Dans l’immédiat, nous comptons injecter un montant cumulé de 150 milliards de F CFA en Côte d’Ivoire. Nous allons définir avec les autorités du pays dans quels secteurs prioritaires sera investi ce montant, lors de notre prochaine mission de revue et de programmation, prévue entre le 10 et le 15 juillet. Mais déjà nous paraissent très importants à suivre, après cette crise, des secteurs tels que l’énergie, l’eau et l’assainissement. Pour l’énergie, nous avions fait pour le pays une provision de 25 milliards de F CFA, mais nous allons réévaluer les besoins et sans doute revoir à la hausse les montants de nos engagements.
96.5 milliards de F CFA
c’est le montant des nouveaux engagements pris par la BOAD lors de son conseil d’administration du 22 juin, à Lomé. 11 projets répartis dans les 8 pays membres sont concernés.
Prévoyez-vous un soutien particulier à la filière cacao ?
Là aussi, nous suivrons les autorités dans leur choix. Mais nous comptons également travailler avec les banques commerciales pour financer cette filière. Depuis deux ans, nous avons été autorisés à faire du financement de court terme sur des produits stratégiques comme le pétrole, le café, le cacao et le coton… Nous avons entamé des discussions avec les établissements bancaires pour trouver un moyen d’intervention dans le secteur. Mais ces projets seront mieux précisés lorsque nous aurons effectué notre mission et que le gouvernement nous aura donné ses priorités.
Nous comptons lever 500 milliards de F CFA pour financer la production et le transport d’électricité
La production agricole dans l’Union constitue un autre défi majeur. Quel bilan tirez-vous des mesures prises pour faire face à la crise alimentaire de 2008 ?
Lorsque la crise est apparue dans l’UEMOA, nous avons accompagné les États dans les mesures de court terme que sont le financement des intrants et l’allègement des fiscalités sur les produits de premières nécessité importés. Pour le moyen terme, nous avons levé 100 milliards de F CFA sur les marchés financiers. Nous en avons mis 79 milliards à la disposition des États pour des aménagements hydroagricoles et pour favoriser la production vivrière. Par ailleurs, 21 milliards ont été alloués aux entreprises privées agricoles et pour mettre des lignes de refinancement à la disposition des banques spécialisées. Toutes ces actions sont toujours en cours. Nous allons maintenir ce cap. Nous venons d’ailleurs de bénéficier d’une ligne de refinancement de 50 millions d’euros de l’AFD [Agence française de développement, NDLR]. Et nous comptons mettre, tous secteurs confondus, 100 milliards de F CFA par an dans le développement rural.
Malgré ces mesures, pourquoi les prix des denrées alimentaires restent-ils toujours élevés ?
Il faut dire qu’après 2008, les prix ont relativement baissé. C’est surtout depuis le début de cette année que nous observons une nouvelle poussée sur les prix des denrées alimentaires. Dans l’UEMOA, nous avons observé ces derniers temps jusqu’à 5 % d’inflation, contre 1,5 % à 2 % habituellement. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que 70 % de cette augmentation provient des produits importés : cela veut dire que les mesures de soutien de la production locale que nous avons prises portent leurs fruits.
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Propos recueillis par Stéphane Ballong
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