Réconcilation nationale : bientôt l’heure des vérités

Une commission nationale devra faire la lumière sur les crimes commis depuis l’indépendance. Du camp Boiro au massacre du 28 septembre, la liste est longue, et les Guinéens s’impatientent.

Le camp Boiro, célèbre prison sous Sékou Touré, a vu mourir 50 000 personnes entre 1958 et 1984. © AFP

Le camp Boiro, célèbre prison sous Sékou Touré, a vu mourir 50 000 personnes entre 1958 et 1984. © AFP

cecile sow

Publié le 11 juillet 2011 Lecture : 4 minutes.

Guinée : L’effet Alpha
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« Depuis plusieurs mois, on parle de la réconciliation nationale à tout bout de champ, mais nous ne savons toujours pas ce que cela signifie réellement. » Ce constat fait par un vieux chef de quartier reflète l’opinion de nombreux citoyens. S’ils admettent qu’il y a trop de blessures à panser, beaucoup se demandent s’il ne s’agit pas en réalité d’une expression fourre-tout destinée à passer l’éponge sur tous les crimes perpétrés depuis l’indépendance du pays, en 1958, jusqu’au massacre du 28 septembre 2009 au stade de Conakry.

"Permettre aux Guinéens de se retrouver"

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Six mois après l’investiture d’Alpha Condé, qui, pendant sa campagne et au lendemain de son élection, s’est engagé à créer une commission Vérité et Réconciliation, même du côté des autorités on hésite à dire quelle forme prendra celle-ci. « Ce dossier est géré par le président lui-même », indique un proche du Palais. « Nous réfléchissons à la façon de permettre aux Guinéens de se retrouver », explique-t-on du côté du Conseil national de transition (CNT, l’organe législatif provisoire jusqu’à l’élection d’une Assemblée nationale), qui en avait fait une priorité en créant une commission Réconciliation nationale, Solidarité et Droits de l’homme.

« Des comités de sages et de religieux sont progressivement mis en place dans les préfectures afin de sensibiliser le peuple à la nécessité de revisiter notre histoire et notre mémoire, expliquait fin mai le chef de l’État dans une interview à Jeune Afrique. Il n’y a pas eu que le 28 septembre, il y a eu le camp Boiro, les morts de la IIe République, etc. Tout cela incite à la circonspection, afin que l’exercice de réconciliation ne débouche pas sur son contraire : la haine et un surcroît de division. »

Pour le moment, un comité technique a été installé pour préparer la mise en place d’une commission Vérité et Réconciliation. Ce comité a effectué une mission exploratoire dans la sous-région auprès des organes de ce type ayant achevé leur mission ou encore en activité. Il s’est notamment rendu au Ghana et au Togo mi-mars, sous la conduite de Bintou Nabe, membre du CNT.

Sinistre passé

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En attendant, donc, ces assises, les victimes des différents régimes ont leur propre idée de la réconciliation. Pour celles du camp Boiro, où étaient détenus les prisonniers politiques sous Ahmed Sékou Touré (50 000 personnes y seraient mortes), il ne s’agit pas de « condamner des individus, mais des systèmes. Nous voulons aussi des lieux de mémoire », explique Fodé Maréga, le président de l’Association des victimes du camp Boiro. Il dénonce d’ailleurs la destruction et la reconstruction du camp, dont les couleurs d’aujourd’hui – vert pomme et mauve – jurent avec son sinistre passé. « Où allons-nous nous recueillir ? » s’interroge-t-il, à l’instar des victimes de la répression de 1985 (année où Lansana Conté fit exécuter son ancien Premier ministre et plusieurs autres responsables accusés de complot), qui verront bientôt disparaître le pont du 8-Novembre (ou « pont des pendus »), en lieu et place duquel un échangeur sera construit.

Les Guinéens réclament aussi l’arrestation et le jugement de tous les présumés coupables du massacre perpétré le 28 septembre 2009 dans le grand stade de Conakry. La junte au pouvoir y a violemment réprimé une manifestation organisée par les Forces vives, tuant 157 civils et en blessant plus de 1 200 autres. Une information judiciaire a été ouverte le 8 février 2010 et trois magistrats travaillent sur le dossier. Deux militaires, ministres au moment des faits, le commandant Claude Pivi, chargé de la sécurité présidentielle, et le lieutenant-colonel Moussa Tiégboro Camara, chargé des services spéciaux, de la lutte contre la drogue et le grand banditisme – une fonction qu’il occupe toujours, avec le titre de secrétaire à la présidence et non plus de ministre –, ont été entendus en avril et mai derniers.

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Quant aux populations sympathisantes de Cellou Dalein Diallo à Siguiri, Kankan et Kouroussa, déplacées pendant l’entre-deux-tours de la présidentielle en raison d’affrontements politico-ethniques entre Peuls et Malinkés, elles n’ont engagé aucune action en justice, mais n’en attendent pas moins la reconnaissance des violences subies.

Réformer la justice

Bien qu’on ignore si la volonté de « réconcilier » les Guinéens avec eux-mêmes, entre eux et avec leur passé aboutira à quelque chose, le ministre de la Justice, l’avocat Christian Sow, estime qu’il faut « refonder la justice avant toute tentative de dialogue et de réconciliation, car l’impunité a longtemps été décriée ». C’était l’objet des états généraux de la justice, en mars. Ils ont permis de passer au crible les tares du système : manque d’infrastructures, de moyens financiers, faible formation, vieillissement des ressources humaines… Le pays ne compte qu’un magistrat pour 39 000 habitants, et les ressources allouées au ministère de la Justice n’ont jamais dépassé 0,3 % à 0,5 % du budget de l’État.

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