Bouazizi, jacqueries et Confucius

Alexandre Kateb, économiste et maître de conférences à Sciences-Po, analyse l’attrait exercé par le « miracle économique » chinois sur les peuples arabes….et l’linfluence des révolutions tunisienne et égyptienne sur l’Empire du Milieu.

Manifestation d’ouvriers de la construction en 2007 à Beijing. © Teh Eng Koon/AFP

Manifestation d’ouvriers de la construction en 2007 à Beijing. © Teh Eng Koon/AFP

Publié le 5 juillet 2011 Lecture : 3 minutes.

La province chinoise du Guangdong a été le théâtre ce mois-ci de violences opposant les travailleurs migrants – les mingong –, très nombreux dans cette province exportatrice du sud du pays, aux forces de l’ordre. Tout est parti d’une altercation dans la localité de Zengcheng entre des policiers municipaux et une vendeuse ambulante enceinte, jetée à terre par les policiers.

Certains commentateurs ont vite fait le parallèle avec l’immolation du jeune Tunisien Mohamed Bouazizi, le 17 décembre 2010, à la suite d’une altercation avec la police. On s’en souvient, c’est cet incident en apparence insignifiant qui avait déclenché le « printemps arabe ».

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Cependant, le parallèle entre la Chine et le monde arabe est trompeur. Les innombrables émeutes et jacqueries qui secouent périodiquement la Chine – et les dernières en date ne dérogent pas à la règle – ne sont pas dirigées contre le pouvoir central, mais contre des autorités locales, dont la corruption et l’incurie sont régulièrement dénoncées, y compris dans les médias officiels.

En plus d’être localisées, les revendications sont avant tout économiques et sociales, et portent sur des problèmes concrets : situation précaire des travailleurs migrants, développement industriel et urbain exponentiel qui empiète sur l’environnement et les droits des plus faibles, polarisation sociale et régionale croissante.

Si le gouvernement reste vigilant face aux risques de contagion – les activistes qui avaient tenté d’organiser des rassemblements à Pékin et à Shanghai ont vite été circonscrits –, le ­principal danger pour le pouvoir actuel réside dans un ralentissement de la croissance ­économique, qui signalerait la fin du « mira­cle chinois ».

Qu’en est-il de la perception de la Chine dans le monde arabe ? La réponse à cette question est complexe. D’un côté, l’abstention de la Chine lors du vote de la résolution 1973 de l’ONU, autorisant le recours à la force contre le régime de Kadhafi, a pu être perçue comme un manque d’empathie envers le peuple libyen. Mais, d’un autre côté, le sentiment plus que réservé de la rue arabe vis-à-vis d’une intervention militaire qui s’apparente à un changement de régime imposé de l’extérieur a rehaussé le prestige d’une conception très westphalienne des relations internationales.

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Il existe en outre une réelle fascination des élites arabes pour le « miracle chinois », qui s’est traduite par une intensification des ­échanges commerciaux entre les deux zones. Ceux-ci ont été multipliés par cinq en cinq ans, pour dépasser les 150 milliards de dollars en 2010. Hormis dans le secteur énergétique – la Chine est le premier client pour le pétrole moyen-oriental –, les entreprises chinoises sont de plus en plus présentes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient dans le commerce, le textile, le BTP, les infrastructures (routes, ports, zones franches), mais aussi dans l’informatique et les télécoms. Au point que certains parlent de la reconstitution d’une nouvelle « route de la Soie » sino-arabe au XXIe siècle, voire d’une « Chinarabie ».

Dans un monde postcolonial et postoccidental, les liens des pays arabes avec les anciennes puissances coloniales se sont en effet distendus, et le modèle américain ne fait plus autant rêver dans les bidonvilles du Caire. Pourtant, sur le terrain des valeurs, le vent de l’Histoire ne souffle toujours pas de l’est.

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Tant que la Chine n’aura pas achevé sa propre transition vers la démocratie – cette « cinquième modernisation » qui tarde à venir –, son soft power restera limité et elle n’apparaîtra, au mieux, que comme une expérience historique sui generis dont la réplication n’est pas possible. Cela n’empêchera pas le renforcement des relations sino-arabes, sur le mode du pragmatisme et d’intérêts réciproques bien compris, conformément à la déclaration de Tianjin signée en 2010.

Mais il ne suffira pas à Pékin de multiplier les instituts Confucius ou les contrats commerciaux pour gagner la « bataille des cœurs ». Tout comme la Chinafrique, la Chinarabie n’est pour l’instant guère plus qu’un mirage. 

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