Égypte : Nadine Wahab, la blogueuse qui a fait tomber Moubarak

De Washington, d’où elle lançait ses appels à la mobilisation, au Caire, où elle prépare la transition, Nadine Wahab est l’une de ces cyberactivistes qui ont changé la face du pays.

Nadine Wahab dans son bureau, au Caire, le 15 juin. © Barry Iverson/J.A.

Nadine Wahab dans son bureau, au Caire, le 15 juin. © Barry Iverson/J.A.

perez

Publié le 8 juillet 2011 Lecture : 3 minutes.

« Admin 1 est porté disparu, je suis Admin 2. » Lorsque ce message apparaît sur l’écran de son PC, Nadine Wahab sursaute, comme effrayée, puis décide de se barricader dans son bureau de Washington. Cette Égyptienne en exil pense alors avoir été piégée par les moukhabarat, ou par le département d’État américain, qui surveille de près ses activités. Le signal émis par Admin 2 signifie pourtant qu’elle doit prendre la relève de la mobilisation sur internet. Après un bref échange avec son interlocuteur, Nadine comprend que quelque chose de grave s’est produit.

Sur Facebook, Admin 1 est le nom d’utilisateur de Wael Ghonim, blogueur égyptien de 30 ans, directeur marketing chez Google. Trois jours plus tôt, le 27 janvier, il se disait poursuivi par des hommes dans les rues du Caire. Le lendemain, il disparaît. Il réapparaîtra après deux semaines d’interrogatoires, heureux de constater que le mouvement qu’il a lancé sur Facebook a abouti à l’éviction du président Hosni Moubarak.

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Entretemps, Nadine aura parfaitement tenu son rôle de cyberactiviste, à des milliers de kilomètres de là où s’écrivait l’un des chapitres les plus haletants du « printemps arabe ». « L’objectif était de faire tomber le régime, raconte-t-elle. J’ai ressenti une immense responsabilité, parfois de la culpabilité, car je poussais mes compatriotes à prendre des risques. » Agissant sous sa véritable identité, Nadine devait avant tout alimenter de messages, photos et vidéos les nombreuses pages créées sur les réseaux sociaux. « Le plus important, c’était de relayer l’information et d’aider les gens à s’organiser sur le terrain », explique-t-elle.

Pendant les dix-huit jours de la révolte, la jeune femme de 34 ans dormira peu. Se sentant investie d’une mission, elle se rend disponible jour et nuit, utilisant tous les moyens possibles pour communiquer avec les manifestants, le plus souvent par chat. Experte en relations publiques, Nadine n’hésite pas non plus à exploiter son réseau pour accentuer la pression sur le pouvoir égyptien, des sénateurs du Congrès aux journalistes d’Al-Jazira, avec qui elle entretient des rapports privilégiés. « Il y avait trois postes allumés en permanence. Avec mes amis, nous étions sans arrêt devant la télévision pour nous assurer que nos infos passaient. »

Le "déclic" Khaled Saïd

Militante dans l’âme, Nadine n’a pas le profil d’une écorchée vive. Cette native d’Alexandrie, issue d’un milieu aisé, grandit au Koweït, puis aux États-Unis, où sa famille s’installe en 1987. Après ses études, elle s’implique au sein d’organisations œuvrant pour la protection des droits civiques et s’inquiète des répercussions du Patriot Act après les attentats du 11 Septembre. Le tournant intervient en juin 2010, quand un jeune opposant égyptien est battu à mort par la police. « Quand j’ai vu les images de Khaled Saïd, ça a été le déclic », se rappelle-t-elle. La page Facebook qu’elle ouvre pour lui rendre hommage attire 500 000 membres. Répondant à son appel, des milliers de personnes défilent silencieusement dans les grandes villes du pays, bravant pour la première fois l’état d’urgence. « J’ai réalisé à cet instant que nous pouvions changer les choses », commente-t-elle.

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Quand certains proches lui attribuent fièrement la chute de Moubarak, Nadine éclate de rire, comme si elle n’assumait pas son statut d’héroïne de la révolution. Mise à l’honneur du eG8 (G8 de la Toile), le 25 mai, à Paris, elle considère qu’internet a favorisé l’émergence d’un esprit démocratique. « On doit beaucoup à l’exemple tunisien, dit-elle. La leçon de ces révoltes, c’est que grâce à des outils comme Facebook, le pouvoir des individus reste très important. »

A l’oeuvre avec Mohamed el-Baradei

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De retour en Égypte, Nadine s’implique désormais dans la transition. « Je suis revenue pour aider. Ce n’est pas simple, il y a toujours des problèmes de sécurité et j’ignore comment le changement va s’opérer. Mais les gens sont pleins de ferveur. » Aux côtés de Mohamed el-Baradei, qu’elle a rencontré à Boston, Nadine œuvre déjà à la mise en place d’une nouvelle Constitution. « C’est l’homme de la situation, il est sincère et visionnaire. Je le suivrai partout », promet-elle.

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