Sénégal : comment Wade a revigoré l’opposition

Coup de théâtre… et marche arrière toute ! Le chef de l’État, Abdoulaye Wade, a dû reculer devant la pression de la rue sur son projet de réforme. Et il a soudé au passage toute l’opposition contre lui.

Heurts entre policiers anti-émeutes et manifestants près du Parlement à Dakar, le 23 juin 2011. © AFP

Heurts entre policiers anti-émeutes et manifestants près du Parlement à Dakar, le 23 juin 2011. © AFP

Publié le 5 juillet 2011 Lecture : 3 minutes.

Retour à la réalité pour Abdoulaye Wade. Sa trouvaille « de génie » – ainsi qualifiée par certains de ses conseillers – a tourné au fiasco. Une semaine après avoir fait adopter par le gouvernement une loi constitutionnelle modifiant sensiblement le scrutin présidentiel, le chef de l’État sénégalais a dû retirer le texte, le 23 juin, sous peine de voir le pays s’embraser.

Avec ce texte, ce n’était plus un mais deux hommes (ou femmes) – un président et son vice-président – que les Sénégalais devaient élire en 2012. Un « ticket » à l’américaine, qui prévoyait qu’« en cas de décès en cours de mandat, le président [soit] remplacé par le vice-président ». De quoi alimenter toutes les rumeurs sur la présumée volonté de Wade, 86 ans l’année prochaine, de léguer le pouvoir à son fils, Karim (42 ans). Plus important encore : si cette loi avait été adoptée par les députés, le ticket qui serait arrivé en tête avec plus de 25 % des suffrages dès le premier tour aurait été considéré comme élu (il s’agit du quart bloquant).

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Pour Wade, "aucun calcul électoraliste"

Le président, lui, semble n’avoir rien vu venir. Dans son entourage, certains ricanaient. « C’est un coup de maître politique », analysait un de ses conseillers. Un autre faisait dans l’ironie : « Avec ce ticket, il donne un coup de pouce à l’opposition, qui était incapable de s’entendre sur un seul nom. » Mais aucun d’entre eux n’était en mesure d’expliquer pourquoi le président avait décidé de faire le grand saut à huit mois de l’élection. Ni pour quelles raisons il avait jugé inutile de consulter les partis politiques, à commencer par le sien, le Parti démocratique sénégalais (PDS), ou même d’en informer ses ministres et certains de ses conseillers.

Wade a eu beau clamer, des jours durant, qu’il n’y avait « aucun calcul électoraliste » derrière cette loi, personne n’est dupe. Le quart bloquant devait lui permettre d’éviter un dangereux second tour, au cours duquel l’opposition menaçait de s’unir. Et avec le ticket, il coupait l’herbe sous le pied de ses adversaires qui, depuis des mois, dénonçaient l’âge du capitaine et sa supposée volonté d’imposer une « dévolution monarchique du pouvoir » au profit de son fils, que celui-ci a formellement démentie dimanche dans une lettre ouverte. « En nommant un vice-président autre que Karim, Wade enverra un signal fort », estimait un conseiller peu avant le retrait du projet.

Violentes manifestations dans plusieurs villes du pays, saccage de maisons de dignitaires du PDS à Dakar (Farba Senghor, un proche de Wade, a échappé de peu au lynchage) et de bureaux du parti en province, incendie de l’Hôtel des députés sur le Plateau… Le 23 juin, le jour où les députés devaient valider le « coup d’État constitutionnel », selon les termes de l’opposition, le pays a donc été le théâtre de violents affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre. Des violences qui se sont pursuivies le lundi suivant.

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"De Dakar naîtra le « Printemps africain"

Pour Wade, le coup est rude. En tentant de réduire à néant les chances de l’opposition, jusque là désunie, il l’a revigorée. Plus de 60 partis et associations de la société civile se sont alliés contre sa candidature. Dans la rue, les leaders de la coalition Benno Siggil Sénégal se sont mêlés à la foule. Après l’annonce de l’abandon de la loi, ils ont appelé à poursuivre les manifestations. « Il faut que le président Wade dégage maintenant. Tant qu’il ne partira pas, nous serons dans la rue, et, à partir de Dakar, naîtra le « printemps africain », a déclaré Ousmane Tanor Dieng, le secrétaire général du Parti socialiste.

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Wade a également réussi à faire sortir de leur mutisme les chefs religieux, dont certains sont intervenus en catimini pour l’exhorter à abandonner son projet, et à jeter le trouble chez ses partenaires étrangers, les États-Unis et l’Union européenne s’étant montrés « préoccupés » par cette révision finalement avortée. Enfin, le président s’est aliéné des membres de son propre parti, qui a déjà perdu plusieurs de ses têtes d’affiche ces dernières années. S’il s’est résolu à retirer son texte, c’est parce que des députés PDS, largement majoritaires à l’Assemblée, menaçaient de ne pas le voter. La critique la plus acerbe du projet présidentiel est d’ailleurs venue de l’un d’eux. « Nous sommes en train de changer la règle du jeu alors que le jeu a commencé », a dénoncé Abdourahmane Sow en séance plénière. Un autre glissait, en coulisses : « À trop vouloir jouer avec le feu, on finit par se brûler. »

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