Ellen Johnson-Sirleaf : « Pourquoi je suis candidate » à la présidentielle du Liberia

Elle fut la toute première femme élue à la tête d’un pays africain, en 2005. À 72 ans, la « Dame de fer » se lance à nouveau dans la course à la magistrature suprême du Liberia. À quelques jours du début de la campagne, fixé au 5 juillet, Ellen Johnson-Sirleaf a accepté de se confier à Jeune Afrique. Interview.

Ellen Johnson-Sirleaf est la première et seule femme à la tête d’un Etat africain. © Reuters

Ellen Johnson-Sirleaf est la première et seule femme à la tête d’un Etat africain. © Reuters

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 4 juillet 2011 Lecture : 8 minutes.

Ses partisans l’ont surnommée « Old Ma », « Grand-maman ». À 72 ans, Ellen Johnson-Sirleaf achèvera, en novembre prochain, son premier mandat à la tête du Liberia. Première femme élue présidente en Afrique (c’était en 2005, avec 59,1 % des voix, face à l’ex-footballeur George Weah), elle avait affirmé pendant la campagne électorale qu’elle ne se représenterait pas, avant de changer d’avis. La reconstruction, explique-t-elle, prend du temps.

Issue de la bourgeoisie métisse et éduquée de Monrovia, formée à l’administration publique au sein de la prestigieuse université américaine Harvard, elle a, depuis son élection, donné la priorité aux chantiers économiques. À son crédit : le rééquilibrage des finances publiques, la réhabilitation des infrastructures de base et la forte hausse des investissements. Mais après quatorze ans de guerre (lire l’encadré), le chemin pour retrouver la prospérité des années 1970 est encore long. Malgré 6,3 % de croissance en 2010, plus des deux tiers de la population vivent encore sous le seuil de pauvreté. Il reste aussi beaucoup à faire en matière de réconciliation : en dehors de l’ancien président Charles Taylor, actuellement jugé à La Haye, bien peu de criminels de guerre ont été poursuivis – en témoigne la validation de la candidature à la présidentielle de Prince Johnson, plus connu sous le surnom de « Monstre de Nimba » pour des atrocités commises pendant le conflit.

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Après l’incendie qui a dévasté l’Executive Mansion (le palais présidentiel), en juillet 2006, Ellen Johnson-Sirleaf a pris ses quartiers au dernier étage du ministère des Affaires étrangères, au centre de Monrovia, à deux pas du siège de la Mission des Nations unies au Liberia (Minul). Un bataillon féminin de Casques bleus indiens veille sur la « Dame de fer ». On n’est jamais trop prudent. C’est là qu’elle nous a reçus, le 10 juin, habillée (comme à son habitude) d’un costume traditionnel.

Quatorze ans de guerre civile

Il y a longtemps que l’éclat de « l’Étoile de l’Afrique » (Lone Star of Africa) a pâli. En 1980, Samuel Doe prend le pouvoir, après avoir assassiné le président William Tolbert et fait exécuter publiquement les membres de son cabinet. S’ouvre alors une longue période de terreur et d’instabilité. En 1989, Charles Taylor prend la tête d’une rébellion armée. C’est le début d’une guerre civile meurtrière : pendant quatorze ans, des chefs de guerre s’entre-déchirent pour le contrôle des ressources naturelles du pays. Élu à la tête du Liberia en 1997, Charles Taylor fait, à son tour, face à une rébellion, qui aboutit à sa démission et à la mise en place de la Mission de Nations unies pour le Liberia (Minul) fin 2003, et à celle d’un gouvernement de transition jusqu’à l’élection d’Ellen Johnson-Sirleaf, en novembre 2005. Le bilan des années de guerre est terrible : 200 000 morts et 850 000 réfugiés pour un pays qui comptait à l’époque à peine plus de 3 millions d’habitants.

Jeune Afrique : Vous êtes candidate à votre propre succession à la présidentielle, en octobre. En 2005, vous aviez pourtant dit que vous ne feriez qu’un seul mandat…

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Ellen Johnson-Sirleaf : Je me représente parce que je veux qu’il y ait une continuité dans les politiques suivies, pour finir de remettre debout les institutions et l’économie. Nous devons continuer de travailler jusqu’à ce que la reconstruction soit irréversible, avec une paix et un développement durables.

Dans les urnes, vous affronterez notamment l’ex-chef de guerre Prince Johnson, dont la candidature a été validée par la commission électorale. Faut-il craindre un regain de tension ?

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Bien sûr, certains politiciens vont tenter d’utiliser un discours qui divise, et les militants vont laisser libre cours à leurs passions. Mais, dans le fond, je ne suis pas inquiète. Nous sommes un petit pays, avec seulement 3,5 millions d’habitants. Au moment des échéances électorales, il est normal que chaque candidat joue sa partition, c’est le jeu. Mais, comme sur un terrain de football, nous pouvons nous affronter loyalement, puis nous retrouver calmement. Il n’y a plus d’animosité profonde entre nous.

La guerre a pourtant été longue, et la paix n’est officiellement revenue qu’en 2003. Peut-on parler de récon­ciliation ?

Dès le début de mon mandat, je me suis engagée en faveur de la réconciliation, avec un gouvernement élargi aux membres de l’opposition. Nous nous sommes attachés à mettre en œuvre une politique de non-discrimination et d’égalité devant la loi. Bien sûr, les séquelles de la guerre sont encore là. Nous avons eu à résoudre des conflits portant sur la religion et le partage des terres, notamment dans le Nord et l’Est, mais nous allons dans la bonne direction.

Dans quel état se trouvent les in­frastructures, ravagées elles aussi par la guerre ?

Nous avons encore un long chemin à parcourir, mais nous avons réussi à restaurer une bonne partie des infrastructures de base : les grands axes qui relient la capitale et les villes principales ainsi que la majorité des routes secondaires sont fonctionnels. Sur l’alimentation électrique, nous avons fait des progrès : quand je suis arrivée au pouvoir, Monrovia était dans l’obscurité depuis près de vingt ans. Aujourd’hui, la plupart des quartiers ont le courant. Pour l’accès à l’eau, l’éducation, la santé, c’est la même chose : nous avons progressé, même s’il reste beaucoup à faire, notamment dans les régions rurales.

Pour parvenir à relever l’économie, vous avez ouvert les portes aux investisseurs…

Sous ma présidence, nous avons attiré pas moins de 11,2 milliards d’euros d’investissements, un record ! Nous avons noué des accords avec ArcelorMittal et China Union pour redémarrer les deux grandes mines de fer exploitées avant la guerre. BHP Billiton, de son côté, réalise des explorations de nouveaux gisements. Dans le domaine agricole, nous nous sommes distingués en attirant des investisseurs asiatiques, tels le malaisien Sime Darby, premier producteur mondial d’huile de palme, qui a lancé deux grandes plantations dans le pays. Quant à Firestone, qui est présent depuis très longtemps au Liberia, il a relancé sa plantation d’hévéas [la plus grande d’Afrique, NDLR], mise à mal par les récoltes clandestines et le manque d’entretien pendant la guerre.

Considérez-vous toujours les États-Unis comme un partenaire privilégié, compte tenu des liens historiques et économiques qui vous unissent ?

Les Américains sont toujours notre premier et meilleur partenaire. Leur soutien s’exprime d’abord à travers une aide publique, mais les investissements privés américains sont assez faibles au Liberia : notre marché est jugé trop petit… Nous appelons particulièrement la communauté noire américaine, avec laquelle nous avons un lien historique, à venir ici, à l’instar de Robert Johnson [fondateur du groupe Black Entertainment Television, BET, NDLR], qui a ouvert cette année un complexe touristique à côté de Monrovia. Mais nous espérons aussi que les Brésiliens et les Sud-Africains nous accompagneront dans des projets agricoles et industriels. Ils ont beaucoup à nous apprendre.

Entre la difficile transition en Guinée et la guerre en Côte d’Ivoire, l’Afrique de l’Ouest vient de traverser des moments difficiles. Comment vous êtes-vous impliquée dans ces processus de ­résolution de crise ?

Contrairement au passé, les relations entre le Liberia et ses voisins sont excellentes. Je me suis personnellement impliquée pour rapprocher nos pays. C’est un combat essentiel : on le voit dans la crise ivoirienne. Ce sont les mêmes ethnies qui sont des deux côtés de nos frontières. Par ailleurs, je préside l’Union du fleuve Mano [qui réunit la Sierra Leone, le Liberia, la Guinée et peut-être bientôt la Côte d’Ivoire, NDLR]. À ce titre, je rencontre régulièrement les chefs d’État voisins pour renforcer l’intégration.

Les combats en Côte d’Ivoire ont entraîné un afflux de réfugiés chez vous, au Liberia. Comment y faites-vous face ?

À ce jour, 130 000 personnes ont trouvé refuge dans le sud-est du Liberia. Notre capacité à répondre à leurs besoins est très limitée. Nous avons accueilli les Ivoiriens, nous avons partagé notre nourriture avec eux et nous l’avons fait volontiers : nous nous souvenons que, nous aussi, dans le passé, nous avons été accueillis en Côte d’Ivoire. Mais aujourd’hui, notre sécurité alimentaire est menacée. Le Haut-Commissariat aux réfugiés a été lent à nous aider.

Vous avez dû aussi faire face à une arrivée de combattants venus de Côte d’Ivoire…

Oui, et les Libériens qui ont combattu dans des armées étrangères doivent savoir qu’ils devront répondre de leurs actes devant la justice. Le mercenariat est puni par notre loi.

Comment travaillez-vous sur ces questions à l’échelle régionale ?

J’en ai discuté avec le président ivoirien, Alassane Ouattara, et nous sommes convenus de renforcer nos frontières et la collaboration entre nos deux pays. Nous avons également entamé un dialogue avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cedeao, NDLR] pour qu’elle nous aide à empêcher qu’un foyer d’instabilité se développe dans le sud-est du Liberia. Pour le moment, le problème est gérable.

Vous avez un autre voisin francophone : la Guinée. Êtes-vous satisfaite de la transition politique à Conakry ?

Nous avons été très heureux de voir qu’au terme d’une longue transition des élections démocratiques ont pu être organisées, mettant fin à ce régime militaire qui nous inquiétait. Le pays est sur la bonne voie et c’est tant mieux.

Quelles sont vos relations avec le président Alpha Condé ?

Je ne l’avais jamais rencontré avant son élection. J’ai appris à le connaître et nous nous entendons bien. J’étais à Conakry pour son investiture, et nous avons discuté à plusieurs reprises lors des sommets africains auxquels nous avons tous deux participé. Il sait qu’il est cordialement invité ici, à Monrovia.

La Mission des Nations unies au Liberia (Minul) compte aujourd’hui 8 000 soldats et 1 400 policiers, mais son mandat arrive à échéance. Est-ce vraiment le bon moment pour diminuer les effectifs ?

Oui, tant que nous nous en tenons à la stratégie de sortie qui a été discutée avec les Nations unies, c’est-à-dire que la Minul garde le même nombre d’hommes jusqu’à la prochaine élection présidentielle, pour être sûr qu’elle se déroule bien. Une fois le prochain président élu, vers décembre, nos propres troupes et forces de sécurité, qui sont actuellement en train d’être formées, seront pleinement opérationnelles. Nous ne voulons pas d’une diminution brutale de la Minul, mais ce n’est pas à l’ordre du jour. Je suis optimiste car la première diminution des troupes de la Minul, en 2008 [passage de 15 000 à 8 000 Casques bleus, NDLR], s’est bien passée.

Vous êtes la première et seule femme présidente en Afrique. Pensez-vous que l’on verra bientôt d’autres femmes chefs d’État sur le continent ?

Pour le moment je suis bien seule ! Mais je suis confiante. Il y a d’ores et déjà une augmentation du nombre de femmes candidates aux élections… D’ici une dizaine d’années, il y aura deux ou trois femmes présidentes en Afrique, c’est une suite inéluctable. J’aimerais quitter la présidence quand une autre femme sera élue, à ma place ou ailleurs en Afrique. J’attends cela avec impatience.

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Propos recueillis à Monrovia par Christophe Le Bec.

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