Silence, on décapite
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 29 juin 2011 Lecture : 2 minutes.
Elle s’appelait Ruyati binti Satubi, elle avait 54 ans, était indonésienne et elle n’a plus sa tête. Samedi 18 juin, quelque part dans l’ouest de l’Arabie saoudite, cette domestique au service d’une riche famille a été décapitée en public pour meurtre. Comme d’habitude, le bourreau lui a d’abord entaillé le cou pour le raidir, afin que la lame puisse ensuite trancher net – c’est à cette technique que l’on reconnaît les bons bourreaux. Gavée de sédatifs, la condamnée avait supplié une ultime fois à genoux la famille de la victime, en vain. Lorsque le sabre s’est abattu, la foule a crié « Allah Akbar ! » : « Dieu est grand ! »
Ruyati est la vingt-septième personne décapitée en Arabie saoudite depuis le début de cette année 2011. Selon le consulat indonésien à Riyad, qui n’avait même pas été prévenu de son exécution, elle était maltraitée par sa patronne, sans salaire, humiliée, insultée. Le jour où son employeur, qui avait confisqué son passeport – pratique systématique au pays des Saoud – a refusé de le lui rendre pour qu’elle puisse rejoindre sa famille à Djakarta, Ruyati est devenue folle. Elle a poignardé sa geôlière. Aussitôt arrêtée, elle a été condamnée à mort à l’issue d’un procès expéditif, sans avocat, dans une langue qu’elle ne comprenait pas. Les juges avaient le choix de la sentence. Ils auraient pu décider de la lapider – mais ce genre de traitement est en général réservé aux femmes adultères – ou de l’amputer d’une main, d’un bras – mais la famille endeuillée a estimé qu’une telle mansuétude n’était pas de mise. Parfois, rarement, il est possible d’échapper à la sentence en payant le prix du sang – mais Ruyati n’avait pas d’argent.
Interrogé sur cette barbarie trois jours plus tard lors de son point de presse quotidien, le porte-parole du Quai d’Orsay s’est contenté de rappeler que « la France est opposée à la peine de mort partout dans le monde ». On ne froisse pas le premier producteur de pétrole du monde, surtout au moment où Alstom est en pole position pour lui vendre son nouveau TGV. Quant aux États-Unis, pays où l’on exécute les condamnés à mort avec une injection mortelle d’anesthésiant pour animaux, ils n’avaient rien à dire. Après tout, dans cette Saoudie où l’apostasie, le blasphème, la sorcellerie, l’homosexualité, le trafic de drogue et une demi-douzaine d’autres délits sont passibles de la peine de mort – y compris à l’encontre de mineurs –, la justice a fait preuve vis-à-vis de Ruyati binti Satubi d’une rare magnanimité. Contrairement à une pratique courante, sa tête n’a pas été ensuite minutieusement recousue sur son corps et le tout suspendu à un mât, de préférence près d’une mosquée, pour l’édification des sujets du roi Abdallah Ibn Abdelaziz Al Saoud, gardien des lieux saints. Qu’attend l’Occident pour saluer cette avancée majeure des droits de l’homme ?
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