Congo-Brazzaville : Pascal Nzonzi interprète le bal tragique d’un continent
Seul en scène, Pascal Nzonzi joue « Le Bal de Ndinga », de Tchicaya U Tam’si, à la Maison de la poésie, à Paris, du 25 juin au 3 juillet. Il y fait renaître le 30 juin 1960, jour de l’indépendance du Congo.
Un homme seul, un carré de tissu, un mince banc de bois blanc… et c’est tout le Congo qui apparaît. Dans une salle étroite de la Maison de la poésie, à Paris, se jouent des événements immenses. Nous sommes à Léopoldville, un certain 30 juin 1960, dans un pays toujours – mais plus pour très longtemps encore – vassal de la Belgique. Le comédien Pascal Nzonzi est en scène, rayonnant, habité, virevoltant. Il incarne avec une stupéfiante justesse tous les personnages du Bal de Ndinga, ressuscitant l’ambiance des veillées africaines : c’est un peuple entier qui naît par sa voix et par ses gestes.
Défilent sous nos yeux, pendant une petite heure, Ndinga Modeste, homme du peuple abonné aux corvées dégradantes dans un « bordel six étoiles », sa cousine Angélique, son ami Jean-Pierre, son patron Van Bilsen, qui méprise les « macaques » autochtones et pue la Mort subite. Il y a aussi le sergent Outouboma, aux narines en cul-de-bugle, qui trinque volontiers avec Van Bilsen. Et Sabine, courtisane de luxe qui rend Ndinga fou de désir. Cela fait trois mois que l’employé économise, et ce soir, c’est certain, il pourra se payer « le service de son sexe », sur l’air têtu d’Indépendance cha-cha, célébrant la liberté promise, qui résonne alors dans tout le Congo.
Journaliste et poète
Dans la pièce de Tchicaya U Tam’si, tout est parabole. Partant d’un fait divers, donnant la parole aux sans-voix, aux petites gens plutôt qu’aux ministres, l’auteur congolais (Congo-Brazza) mort en 1988 a su restituer, dans une pièce écrite deux ans seulement après les événements, les aspirations immenses d’un peuple qui brise ses chaînes. Journaliste et poète, il évoque aussi les mauvaises habitudes tenaces des colonisateurs et de leurs complices congolais… preuve s’il en est que le ver est déjà dans le fruit. L’ombre de Patrice Lumumba, dont l’auteur fut un proche, plane sur son texte au vitriol. Dans une langue colorée et incisive, Tchicaya U Tam’si ne parle pas seulement du drame d’une nation, mais de celui d’un continent qui s’est vu voler sa liberté. C’est du moins l’avis de Pascal Nzonzi, pour qui la pièce, vieille d’un demi-siècle, résonne aujourd’hui plus que jamais.
"Indépendance cha-cha"
Le comédien a pris la décision courageuse, voire politique, à 60 ans, de mettre en scène et d’interpréter seul cette pièce qu’il a montée il y a vingt-deux ans avec quatre compagnons de jeu au sein du Théâtre international de langue française dirigé par Gabriel Garran. À l’époque, la troupe fait une tournée internationale triomphale. Plus de 300 représentations. Un public conquis dansant à la fin du spectacle au son d’Indépendance cha-cha. Cette fois, Pascal Nzonzi s’est investi en solitaire dans l’aventure, durant trois ans, créant la pièce grâce à un mécène à Porto-Novo, au Bénin, avant d’obtenir de Claude Guerre, directeur de la Maison de la poésie, la possibilité de jouer dans son lieu.
Entonner à nouveau l’air du Bal permettait à l’homme de théâtre et de cinéma, qui a joué sous la direction, entre autres, de Claude Zidi ou Jim Jarmusch, de s’éloigner des rôles stéréotypés qu’on lui propose souvent. « Qu’est-ce qui nous est donné à jouer ? interroge-t-il. Des dictateurs, des dealers… Comment notre communauté peut-elle se reconnaître dans ces œuvres-là ? La nouvelle création se veut aussi un acte citoyen. Il y a un proverbe bantou qui dit que lorsque l’on a perdu son chemin il faut revenir à la bifurcation. Aujourd’hui, le continent africain reste vampirisé. On soutient des dictatures, on s’enrichit en favorisant le pillage, la destruction des forêts… l’une des bifurcations africaines a eu lieu le 30 juin 1960, il faut faire entendre ce texte. »
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