Le Franco-Libanais Amin Maalouf élu à l’Académie française

L’essayiste et romancier franco-libanais était favori pour succéder à Claude Lévi-Strauss au fauteuil 29. C’est donc sans surprise que le 23 juin, Amin Maalouf a été élu membre de l’Académie française.

Amin Maalouf occupe désormais le fauteuil 29 sous la coupole. © Reuters

Amin Maalouf occupe désormais le fauteuil 29 sous la coupole. © Reuters

Publié le 24 juin 2011 Lecture : 6 minutes.

Pour Amin Maalouf, juin rime avec changement et promesse de renouveau. Mois porte-­bonheur, qui a souvent coïncidé avec les tournants majeurs de la vie du romancier et essayiste. N’est-ce pas par un matin de juin, il y a trente-cinq ans, qu’il est parti pour la France, fuyant son pays, le Liban, en proie à une guerre civile religieuse sanglante ? Il avait alors 27 ans. Sa décision de partir a changé sa vie, lui ouvrant les portes d’une carrière littéraire exceptionnelle.

Pour hasardeuse et brutale qu’elle fût, cette fuite portait potentiellement en elle les récits épiques et historiques qui l’ont fait connaître, les prix (Goncourt, Prince-des-Asturies, prix européen de l’essai Charles-Veillon) et les honneurs que l’écrivain a cumulés, et, last but not least, sa très probable prochaine élection à l’Académie française. Après deux tentatives infructueuses pour être reçu sous la Coupole, le romancier s’était de nouveau porté candidat, cette fois pour occuper le fauteuil de Claude Lévi-Strauss, décédé il y a presque deux ans. Comme l’ont prédit les bookmakers, cette troisième candidature a été la bonne. Et le vote du jeudi 23 a prouvé que juin est le mois de tous les possibles pour l’auteur du Rocher de Tanios.

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Plaisanterie mise à part, cette élection est une véritable consécration pour Amin Maalouf. Une consécration d’autant plus méritée que l’homme s’est imposé comme un écrivain populaire dont les livres figurent régulièrement parmi les best-sellers du moment, ce qui en fait l’un des poids lourds de l’édition parisienne. Ses romans historiques se sont vendus à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et ont été traduits en une vingtaine de langues.

Rien ne prédisposait pourtant cet Arabe chrétien à la brillante carrière qu’il a faite en français. Fils d’un journaliste éditorialiste de langue arabe très connu au Liban, Maalouf était lui-même journaliste au principal quotidien de Beyrouth, An-Nahar. Il était programmé pour écrire en arabe, sa langue maternelle, ou en anglais, langue de communication du milieu dont il est issu. « Si l’on m’avait dit à l’époque que je vivrais ma vie d’adulte en France, que j’écrirais dans cette langue, et que j’en arriverais à me sentir français, j’aurais haussé les épaules avec incrédulité », déclare Maalouf dans son Autobiographie à deux voix *. Et d’ajouter : « Mais c’est très exactement ce qui s’est passé. »

Vaste tribu

Le secret de la venue d’Amin Maalouf à la langue française est étroitement lié à ses origines « compliquées » et pluriculturelles. Les Maalouf, une vieille famille arabe d’origine yéménite, se sont christianisés dès le IIIe siècle de notre ère. À la fois Arabes et chrétiens, ils ont essaimé dans tout le Proche-Orient et le Moyen-Orient, voire dans la lointaine Amérique latine, comme l’a raconté Maalouf dans Origines (Grasset). Cette vaste tribu compte des poètes ratés, des prédicateurs et des éducateurs laïcs et francs-maçons, comme le grand-père de l’écrivain, Botros, qui a créé une école mixte et progressiste dans le Liban des années 1910. Un arrière-arrière-arrière-grand-oncle a traduit Molière en arabe. Le romancier australien David Malouf et le Rimbaud brésilien Fawzi Maalouf sont apparentés au clan. La branche libanaise de la famille dont Amin Maalouf est issu est anglophone et protestante. Traditionnellement, ils envoient leurs enfants se former à l’Université américaine de Beyrouth.

Bio express : Amin Maalouf

1949 Naissance à Beyrouth (Liban)

1976 Départ pour Paris. Il entre alors à Jeune Afrique

1986 Publication de son premier roman, Léon l’Africain

1993 Obtention du prix Goncourt pour Le Rocher de Tanios

23 juin 2011 élection à l’Académie française

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C’est dans cette famille américanisée qu’a débarqué la mère d’Amin Maalouf, issue, elle, d’une famille catholique (melkite). Elle avait fait promettre à son futur mari qu’il ne s’opposerait pas à ce que leurs futurs enfants fréquentent des écoles catholiques. C’est ainsi que le jeune Amin s’est retrouvé chez les pères jésuites et ses trois sœurs à l’École des sœurs de Besançon, où ils suivirent un enseignement en français. Depuis, la langue de Molière a toujours accompagné Amin Maalouf, d’abord comme « une sorte de langue souterraine » qui cohabitait avec l’arabe, la langue de la socialisation. C’est en français que le jeune Maalouf tenait son journal intime, puis, au cours de l’adolescence, qu’il découvre les fonds littéraires du monde entier. Si le futur romancier s’est vite attaché à cette langue très peu parlée dans son milieu, c’est sans doute parce que la marginalité du français lui renvoyait en écho son propre statut de chrétien minoritaire, « irrémédiablement étranger », dans un monde arabe majoritairement musulman.

C’est sans doute cette blessure secrète, exacerbée par l’éclatement de la guerre civile en 1975, qui poussera Amin Maalouf à quitter son pays natal un an plus tard. Peut-être aussi par instinct de survie. Une fusillade meurtrière éclate pratiquement sous les fenêtres de l’appartement du couple Maalouf le 13 avril 1975. C’est le commencement de la guerre civile. Dans un premier temps, Amin et son épouse Andrée se réfugient dans le village familial, à 1 200 mètres d’altitude. Puis, pressentant que cette guerre va traîner en longueur, Maalouf décide de partir. Le 16 juin 1976, il prend un bateau pour Chypre, avant de s’envoler pour la France. La destination aurait pu être le Canada, mais, pour une fois, les services de visa de l’ambassade de France sont plus rapides ! Sa femme et ses enfants le rejoignent à Paris quelques mois plus tard.

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Entre Orient et Occident

Fort de son expérience de journaliste à Beyrouth, le jeune homme finit par trouver à Paris un emploi à la mesure de ses compétences. Il intègre la rédaction de Jeune Afrique. Dans les interviews qu’il a accordées, Amin Maalouf a souvent évoqué l’expérience de sa collaboration enrichissante avec Béchir Ben Yahmed ainsi qu’avec les journalistes subsahariens et maghrébins qu’il fréquente : « Chacun d’entre nous portait son histoire, ainsi que celle de son pays… », explique-t-il.

Parallèlement au journalisme, il se lance dans l’écriture, et publie en 1983 son premier essai, à mi-chemin entre le récit narratif et le document, portant sur un sujet éminemment historique : Les Croisades vues par les Arabes (Jean-Claude Lattès). Un ouvrage emblématique de la démarche d’Amin Maalouf, nourrie d’érudition et soucieuse de multiplier les perspectives. « Moi qui ai vécu successivement au Levant puis en Occident, aime-t-il à dire, j’observe depuis toujours à quel point les uns et les autres sont incapables de s’écarter de leurs visions partielles et partiales, les unes euro-centrées, les autres arabo-centrées ou judéo-centrées, sans jamais remettre en question leur propre perspective. Se mettre quelquefois à la place de l’autre est le premier pas vers la sagesse… »

Trois ans plus tard, en 1986, Maalouf fait paraître son premier roman, Léon l’Africain. C’est un tournant dans sa carrière. Ce livre, qui raconte l’autobiographie imaginaire d’un diplomate maghrébin capturé par des pirates italiens et offert en cadeau à Léon X, le grand pape de la Renaissance, est un immense succès de librairie. Il se vend à près d’un demi-million d’exemplaires. Situé entre Orient et Occident, mettant en scène le Levant oublié, où les Grecs et les Italiens croisent les Arabes et les Turcs, où les Druzes cohabitent dans une paix armée avec les chrétiens, les juifs et les sunnites, ce roman donne le ton de la fiction à venir d’Amin Maalouf. Une fiction historique, politique et haute en couleur, sans jamais tomber dans l’exotisme facile ou sensationnel. La dizaine de romans et de récits familiaux que le romancier a publiés, outre ses deux essais et, plus récemment, des livrets d’opéra, s’inscrivent dans cette mouvance. Surnommé « Monsieur Shéhérazade » par ses fans, Maalouf narre ses récits en conteur moderne, tout en distillant avec brio sa grande érudition.

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