Roschdy Zem : « Rien ne démontre la culpabilité d’Omar Raddad »
L’acteur vient de réaliser « Omar m’a tuer », consacré au meurtre de Ghislaine Marchal. Un film qui retrace toute l’affaire à travers le regard du jardinier marocain accusé. Et qui tient en haleine grâce à l’interprétation remarquable de Sami Bouajila.
Grâce à la fameuse inscription « Omar m’a tuer », inutile de raconter le scénario d’un long-métrage consacré à l’affaire Omar Raddad : on le connaît déjà ! C’est peut-être cela d’ailleurs qui permet de s’apercevoir à quel point le film de Roschdy Zem qui reconstitue l’affaire est une vraie réussite. Même s’il n’est pas d’une originalité profonde d’un point de vue cinématographique. Sans rien nous apprendre ou presque, il parvient à nous tenir en haleine d’un bout à l’autre. La performance tient assurément au jeu de Sami Bouajila, dont l’interprétation remarquable du rôle du jardinier marocain restera dans les annales. Mais aussi aux choix judicieux du réalisateur, plus connu jusque-là comme un acteur à succès malgré une première expérience de cinéaste bien accueillie en 2006 avec la tragicomédie Mauvaise foi.
Ce film servira-t-il à innocenter enfin Omar Raddad, qui n’est encore que « gracié », alors qu’une révision du procès est à nouveau réclamée ? « Ce n’est pas l’ambition du film », assure Roschdy Zem, très décontracté à quelques jours de la sortie de Omar m’a tuer, le 22 juin en France et le 1er juillet au Maroc. Mais si, « malheureusement », comme il le dit, il y a besoin de l’écho d’un long-métrage pour aider à cela, il s’en félicitera bien sûr.
Image tirée du film "Omar m’a tuer" de Roschdy Zem, avec Sami Bouajila.
© AFP
Jeune Afrique : Pourquoi vous a-t-il paru nécessaire, voire urgent, de réaliser ce film vingt ans après le début de cette affaire ?
Roschdy Zem : Ce n’était, a priori, ni une nécessité ni une urgence. Une véritable envie simplement. Après avoir redécouvert cette histoire à travers des livres et des articles, je me suis rendu compte qu’on en avait totalement occulté l’aspect humain. En particulier, même s’il ne faut pas oublier la victime, en ce qui concerne Omar Raddad, devenu Omar tout court, sans patronyme. J’ai d’abord voulu considérer l’affaire à travers son regard, me demander comment il avait vécu toutes ces années-là, et raconter cet anonyme devenu une icône médiatique au centre d’une incroyable affaire juridico-policière.
Est-ce un film d’un Français d’origine marocaine sur un Marocain ou seulement celui d’un réalisateur qui trouve un bon sujet ?
Que je sois marocain d’origine n’est sans doute pas anecdotique. Si j’ai été confronté à ce projet, c’est d’abord parce que Rachid Bouchareb me l’a proposé avant de renoncer à le réaliser lui-même. Dès qu’on s’intéresse de près à cette tragique histoire, on s’aperçoit qu’elle contient des ingrédients qu’aucun scénariste n’aurait pu inventer. Qu’il s’agisse du crime, du déroulement de l’instruction, ou de la grâce présidentielle. Je me suis servi de la réalité et je l’ai mise au service de la fiction. Les éléments avérés suffisaient à alimenter le scénario. J’aime être interpellé par un sujet. L’envie de réaliser naît du projet, pas le contraire.
J’avais suivi ce fait divers comme tout un chacun. Et, pour vous faire une confidence, quand Omar Raddad a été jugé et condamné, cela ne m’a pas offusqué outre mesure. Je me suis dit : on est en France, il y a une justice qui fait son travail. Mais en m’intéressant au dossier d’instruction pour le film, j’ai vu que des éléments avaient été volontairement occultés et que, surtout, il n’y avait aucune preuve de la culpabilité. J’ai alors décidé de montrer que quand on est face à la machine judiciaire qui s’est mise en route, qu’on s’appelle Omar ou Pierre ou Paul, c’est fini, on ne l’arrête plus.
Le racisme n’a donc joué aucun rôle dans l’affaire ?
Au départ, ce n’est pas une histoire de racisme. Il n’y en a pas eu de la part des gendarmes. En fait, à ce stade, la présomption d’innocence, c’est de la fiction, on n’en tient pas compte ! En revanche, avec la façon dont a été traité le dossier ensuite, surtout aux assises avec le président, on peut dire que, là, il y a eu des propos plus que déplacés qui s’apparentaient à du racisme. Mais ce n’était pas tant un problème ethnico-religieux. Ce qui posait problème, c’est la façon dont on traite les accusés appartenant à des catégories socioprofessionnelles mal armées face au système judiciaire.
Après avoir travaillé sur ce dossier, reste-t-il dans votre esprit ne serait-ce qu’un infime doute sur l’innocence d’Omar Raddad ?
Dès le départ, je me suis dit que, innocent ou coupable, son histoire m’intéressait. Je ne suis donc pas parti pour réaliser un film plaidant pour son innocence. Mais il se trouve que rien dans le dossier ne démontre sa culpabilité. Et que le doute n’a pas profité à l’accusé comme cela aurait dû être le cas.
Après, on peut se dire que tout homme est capable de tout et que rien n’est impossible. Mais ce qui est clair, c’est qu’on ne peut pas condamner cet homme avec les éléments dont on dispose. Et pour qu’il soit coupable, vu ce que l’on sait, il faudrait vraiment que ce soit un sacré professionnel !
Pourquoi n’avez-vous pas joué le rôle d’Omar Raddad vous-même ?
Parce que j’ai trouvé mieux. J’aurais pu avoir du plaisir à jouer le rôle, bien sûr, mais la lucidité l’a tout de suite emporté. La ressemblance physique de Sami Bouajila avec Omar Raddad a frappé tous ceux qui ont vu le film, mais ce qui était difficile et essentiel à obtenir, c’est ce regard, qui n’est plus celui de l’acteur mais celui du personnage. Si j’ai d’ailleurs appris quelque chose en réalisant ce film, c’est que les grands acteurs ne se dirigent pas.
S’agissant d’autres films sur lesquels vous avez travaillé, cette fois comme acteur, en compagnie de Bouajila, comment expliquez-vous l’échec critique et public de Hors-la-Loi après l’immense succès de Indigènes ?
J’ai du mal à l’expliquer. Mais je crois qu’avec Indigènes on est arrivés par surprise, alors qu’avec Hors-la-Loi on nous attendait au tournant. Rappelez-vous : on nous tapait dessus avant même que le film ait été vu. Je ne m’y attendais pas du tout. Je n’avais pas réalisé à quel point, avec la guerre d’Algérie, il y a des plaies encore béantes. La violence des réactions était impressionnante.
Il n’y a pas le même passé douloureux avec la France au Maroc par exemple.
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Propos recueillis par Renaud de Rochebrune.
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