Après le « printemps arabe », la BAD fait sa révolution

La Banque africaine de développement (BAD) doit arrêter dans les mois à venir sa stratégie pour 2012-2016. Marquée par les révoltes en Afrique du Nord, l’institution – sous l’impulsion de son président, Donald Kaberuka – devrait élargir son champ d’action au-delà du seul jeu économique. Et se libérer de la tutelle des États.

Le président de la BAD, Donald Kaberuka, dans son bureau à Tunis, le 11 avril dernier. © AFP

Le président de la BAD, Donald Kaberuka, dans son bureau à Tunis, le 11 avril dernier. © AFP

Publié le 28 juin 2011 Lecture : 5 minutes.

Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sur le papier. « L’économie de l’Afrique connaîtra une croissance de 5,6 % à 6 % cette année. Certains pays tableront même sur une croissance à deux chiffres. Comme on pouvait s’y attendre, les événements en Afrique du Nord ont entraîné des perturbations de l’activité économique, mais les fondamentaux dans cette région demeurent favorables à moyen terme », résumait Donald Kaberuka, président de la Banque africaine de développement (BAD), dans son discours d’ouverture des assemblées générales de l’institution panafricaine, qui se sont déroulées les 9 et 10 juin à Lisbonne.

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Dans les faits, ces résultats prometteurs sont à relativiser à la lumière des manifestations à répétition, des troubles, des conflits et des révolutions qui secouent l’Afrique du Nord depuis la fin de 2010. « Le feu couve sous la cendre. Les populations en quête de meilleures conditions de vie ne peuvent plus se satisfaire de simples statistiques, fussent-elles impressionnantes », a-t-il martelé à Lisbonne devant le Conseil des gouverneurs, la plus haute instance de décision de la banque, qui réunit les représentants de ses 77 pays actionnaires.

Un constat s’est imposé à Lisbonne. Le développement de l’Afrique – et l’action de la BAD – ne peut se réduire à des chiffres bruts : croissance du PIB, volume des investissements étrangers, balance commerciale. L’exemple tunisien a frappé les esprits. Le pays était cité comme un modèle de développement, avec une croissance moyenne de 5 % par an depuis 2000 et une gestion saine, puisque le budget de l’État respectait même les critères de Maastricht. Le déficit public pointait sous les 3 % du PIB. Mais rien, ou presque, sur la montée de la corruption et l’explosion du taux de chômage des jeunes diplômés, passé de 1 % à 30 % entre 2000 et 2010. Par confort ? Avec la révolution, le modèle s’est effondré comme un château de cartes. Le 2 juin, Donald Kaberuka s’est rendu dans la région du Kef, l’une des plus déshéritées du pays, à une centaine de kilomètres à l’ouest de Tunis – où siège la BAD. « Nous étions si près de cette misère et nous n’avons rien vu », a-t-il confié en substance à ses proches, selon un conseiller.

Bug

Donald Kaberuka est convaincu qu’il faut agir. Vite. Et tirer les leçons du bug tunisien. « L’explosion de mécontentement en Afrique du Nord et, depuis peu, dans des parties de l’Afrique subsaharienne est un mélange détonant ayant pour ingrédients le chômage des jeunes, l’exclusion économique et sociale et l’absence d’une démocratie digne de ce nom », a-t-il analysé à Lisbonne. Et d’enfoncer le clou : « L’absence de perspectives économiques a constitué la matière explosive de la déflagration et les échecs de la gouvernance politique en ont été le détonateur. »

L’exemple tunisien a frappé les esprits : le pays était cité comme modèle de développement.

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L’urgence est là. La BAD craint la contagion. « On ne veut pas qu’il y ait le feu partout », explique Nono Matondo-Fundani, directeur régional pour l’Algérie, le Maroc et la Mauritanie. Lancé dans une course contre la montre, le président de la banque de développement a tracé à Lisbonne les pistes de sa stratégie pour 2012-2016. De son propre aveu, l’action de la BAD doit être repensée et se nourrir des événements actuels. Une vraie révolution. « Nous devrons réorienter nos indicateurs, qui étaient beaucoup trop axés sur les investissements, certes impératifs, dans les infrastructures. Mais nous n’avons jamais étudié leur impact sur le développement des pays et le chômage des jeunes », explique Nono Matondo-Fundani.

Et de poursuivre l’autocritique : « Ne nous voilons pas la face, nous avons travaillé sur des données qui nous venaient des gouvernants. Nous devons nous remettre en question. Et comprendre pourquoi nous n’avons pas été assez attentifs aux problèmes sociaux. Il nous faut redéfinir notre stratégie de coopération avec les États et multiplier nos sources d’informations pour réaliser des analyses plus fines des pays. La BAD doit avoir un esprit plus critique afin d’aider les pays à mieux définir leur stratégie de développement. » Sur le terrain, les équipes de la BAD élargiront leur base de contacts aux chefs d’entreprise et aux organisations patronales, aux syndicats, aux ONG… et même à l’opposition.

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Laboratoire

Au sud du Sahara, le problème explosif du chômage des diplômés

« C’est une bombe à retardement qui a déjà explosé en Tunisie. En Côte d’Ivoire, ils sont 2,5 millions dans ce cas. Il faut impérativement se préoccuper de l’avenir des jeunes diplômés africains », a lancé, lors des assemblées générales de la BAD, Jean Kacou Diagou, le patron des patrons ouest-africains. Les deux tiers des Africains ont moins de 25 ans et le taux de chômage des jeunes peut atteindre 35 % dans certains pays, selon la BAD. Et les jeunes diplômés d’université subsahariens connaissent un taux de chômage trois fois plus élevé que ceux d’un niveau d’enseignement inférieur. « Il faut tirer les leçons de la Tunisie et comprendre qu’avoir un bon niveau d’éducation est une chose, développer des qualifications qui débouchent sur des emplois en est une autre », a averti l’universitaire ghanéen Ernest Aryeetey. Pour lui, les gouvernements doivent élaborer d’urgence avec le secteur privé les formations qui répondront aux besoins de l’industrie et de l’agriculture, « mais une agriculture modernisée, qui recourt à la technologie et à l’innovation ». Autre piste : « L’intégration économique régionale, avec la création de pôles de développement qui offriront des opportunités pour les jeunes qui veulent aller voir ailleurs », a insisté Jean Kacou Diagou.

Épicentre de la déflagration actuelle, l’Afrique du Nord sert de laboratoire pour expérimenter ce cadre d’action et les nouvelles priorités de la BAD. Début juin, juste avant Lisbonne, Tunis a obtenu 500 millions de dollars (environ 350 millions d’euros) de la banque de développement, injectés directement dans le budget de l’État. « Nous avons travaillé avec les autorités, les entrepreneurs et la société civile pour définir les priorités », précise Jacob Kolster, directeur régional pour l’Égypte, la Libye et la Tunisie. Cet argent frais doit renforcer la gouvernance économique, politique et sociale de la Tunisie, aider à la lutte contre le chômage des jeunes diplômés et redresser les déséquilibres économiques qui minent le pays. Et, déjà, des discussions sont amorcées pour doubler avant la fin de l’année les moyens débloqués par la banque panafricaine pour Tunis.

Des négociations sont aussi en cours en Égypte. Un appui budgétaire de 700 millions de dollars est quasiment conclu. Et une enveloppe totale de 1,5 milliard de dollars pourrait être débloquée pour soutenir l’économie du pays dans les douze à dix-huit mois. Elle financera le développement des énergies renouvelables (solaire, éolien), le soutien des services publics aux populations les plus démunies et à la création d’emplois pour les jeunes chômeurs diplômés, comme à Tunis.

De son côté, le Maroc, premier « client » de la BAD avec 2,1 milliards de dollars de soutien financier pour 2007-2011, n’échappe pas à la tendance. Le 19 juin, une mission de la banque s’est rendue à Rabat pour entamer les discussions sur le contenu du futur programme d&rsq

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Jean-Michel Meyer, envoyé spécial à Lisbonne.

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