Turquie : une victoire de l’AKP en trompe-l’oeil
Lors des législatives du 12 juin, le parti islamo-conservateur au pouvoir, AKP, a frôlé la majorité absolue, mais perdu des sièges. L’adoption d’une nouvelle Constitution n’en sera pas facilitée. Analyse.
Maintenir la croissance économique ; remplacer par une « Constitution civile » celle adoptée après le coup d’État militaire de 1980 ; relancer le processus d’adhésion à l’Union européenne ; corriger les erreurs d’une diplomatie peu en phase avec le « printemps arabe »… Tels sont les défis que doit relever le Parti de la justice et du développement (AKP) au lendemain des législatives du 12 juin, dont il est sorti conforté avec 49,9 % des voix, contre 46,6 % en 2007 – un exploit pour cette formation islamo-conservatrice qui domine la vie politique depuis près de neuf ans.
Ce succès est essentiellement dû aux performances économiques du pays (8,9 % de croissance en 2010), qu’illustrent la floraison de chantiers à travers tout le pays et les projets pharaoniques annoncés pendant la campagne : création d’une ville nouvelle au sud d’Ankara, creusement, à Istanbul, d’un canal reliant la mer de Marmara à la mer Noire, etc.
Pourtant, derrière les satisfecit de façade, Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre, sait que son parti n’aborde pas sa troisième législature dans une position aussi favorable qu’il l’aurait souhaité. Non seulement l’AKP n’atteint pas la majorité des deux tiers qui lui aurait permis de modifier la Constitution par la seule voie parlementaire, mais il obtient moins de sièges qu’en 2007 en raison du mode de scrutin et de la progression des partis d’opposition. Pis, il ne dispose plus des 330 voix nécessaires pour organiser un référendum. Or, en septembre 2010, il avait eu recours à cette procédure pour faire entériner par le peuple une révision constitutionnelle votée par le Parlement.
Tolérance ?
Pourtant désirée par 69,4 % des Turcs (sondage du 26 avril), la nouvelle Constitution pourrait bien ne jamais voir le jour. À moins qu’Erdogan n’ouvre, comme il l’a promis, de vraies consultations avec les partis d’opposition et les représentants de la société civile. On peut en douter, tolérance et modestie n’étant pas ses principales qualités.
L’opposition sera-t-elle à la hauteur ? Ce n’est pas évident non plus, tant les formations « classiques » sont sclérosées. Certes, sous l’impulsion d’un nouveau leader, le Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche) est passé de 20,8 % en 2007 à 25,9 %, mais ce énième échec électoral le prouve : la vieille formation kémaliste est incapable de relever le défi de l’alternance. Quant au Parti d’action nationaliste (MHP), il plafonne à 12,9 % et reste englué dans une rhétorique d’extrême droite.
Reste l’espoir né de la seule surprise du scrutin : le score des candidats indépendants, pour la plupart présentés par le Parti pour la paix et la démocratie (BDP, prokurde), qui contourne ainsi la barre des 10 % des suffrages nécessaires pour entrer au Parlement. Avec 3 millions de voix, ces indépendants ont recueilli 6,6 % au niveau national et, forts de 36 députés (contre 22 en 2007), ils pourraient apporter à l’AKP les voix qui lui manquent pour réformer la Constitution en négociant, en échange, l’élargissement des droits des minorités.
Aggiornamento diplomatique
Du côté de l’adhésion à l’UE, ce n’est pas la création annoncée d’un ministère de l’Europe qui suffira à débloquer une situation figée par la persistance du problème chypriote et par la dérive autoritaire du régime, dénoncée ces derniers mois par les institutions européennes.
Sur le plan diplomatique, une réorientation est déjà à l’œuvre. Passif lors de la révolution tunisienne et, par la suite, plus occupé à assouvir sa haine de Moubarak qu’à soutenir les aspirations démocratiques des Égyptiens, Erdogan multiplie désormais les offres de médiation. « Prix Kadhafi des droits de l’homme » (en 2010), il peine à faire oublier ses accointances avec le régime libyen, dont il ne s’est détaché qu’au dernier moment, après s’être opposé à l’intervention de l’Otan. Aujourd’hui, il tente de gommer son amitié avec Bachar al-Assad. Le 14 juin, près de 9 000 Syriens fuyant les massacres s’étaient réfugiés en Turquie. Face à cette crise humanitaire, Ankara durcit le ton à l’égard de Damas. Il était temps.
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