Souleymane Bachir Diagne : la fidélité dans le mouvement
Honoré début juin par le prix Édouard-Glissant, ce Sénégalais né à Saint-Louis, ancien conseiller du président Diouf, est aujourd’hui professeur de philosophie à Dakar et à Columbia.
Lorsque Souleymane Bachir Diagne est de passage à Paris, il est un petit plaisir qu’il ne se refuse pas : flâner dans le Quartier latin à la recherche de souvenirs estudiantins et de librairies spécialisées. Non pas qu’il soit nostalgique, mais le philosophe sénégalais, silhouette élancée, visage souriant, aime se rappeler les chemins empruntés pour se construire. Il n’oublie pas d’où il vient et aime revenir à ce qu’il est : un natif de Saint-Louis, qui a grandi en Casamance et à Dakar, étudié à Paris à Louis-le-Grand avant d’être le premier Sénégalais à intégrer l’École normale supérieure de la rue d’Ulm, où il a côtoyé Derrida et Althusser, son caïman qui l’a préparé à l’agrégation. Un parcours d’exception pour un homme modeste qui enseigne aujourd’hui à l’université Columbia (New York) et n’a jamais tourné le dos à son pays.
« Après la soutenance de ma thèse de doctorat, j’ai estimé qu’il était de mon devoir de rentrer au Sénégal et de redonner à mon pays ce qu’il m’avait offert, explique-t-il attablé place de la Sorbonne. J’ai bénéficié d’un excellent enseignement au lycée Van-Vollenhoven, un établissement dakarois réservé aux meilleurs, et d’une bourse que Senghor a doublée lorsque j’ai été reçu à Ulm pour que je puisse avoir le même niveau de vie que les autres. » Un choix en forme de défi. « Je voulais montrer que je pouvais poursuivre mes recherches dans mon pays. Et que l’on pouvait travailler sur Boole [logicien et mathématicien britannique du XIXe siècle, NDLR] depuis Dakar. »
Alors que ses collègues africains bataillaient ferme dans les années 1970-1980 pour savoir ce qu’était et devait être la philosophie africaine, Souleymane Bachir Diagne choisit, lui, de ne pas s’enfermer dans une identité imposée et s’intéresse à l’algèbre. Il y consacre sa thèse avant de créer un séminaire spécifique à l’université de Dakar où, « excellent pédagogue, toujours disponible et très aimable avec ses étudiants et ses collègues », précise l’actuel directeur de l’Institut d’études africaines de Columbia, Mamadou Diouf, il enseigne pendant près de vingt ans. « J’ai formé toute une génération de logiciens et j’ai créé une sorte d’école à Dakar. Mais il est vrai que lorsque l’on est sur le continent, on ne peut pas être sourd au débat sur la philosophie africaine », reconnaît-il.
Philosophe de la rencontre, Diagne va y participer d’une manière inattendue. « Dans les années 1980, après la révolution iranienne, nous avons vu arriver des filles voilées sur le campus. Il était primordial que nous, enseignants, rappelions qu’il existe une tradition de libre-pensée dans l’islam. Mais aucun de nous n’était formé pour cela. » Souleymane Bachir Diagne se rappelle alors les enseignements de son père. « Je suis issu d’une famille de lettrés musulmans de Saint-Louis, qui a été un centre d’études religieuses important. Enfant, j’ai grandi parmi les livres, et mon père, fonctionnaire des postes, était aussi théologien. Il m’a mis à l’école coranique, mais aussi à l’école catholique, puis publique. M’intéresser à l’islam, c’était renouer avec mon héritage et rappeler aux voix fondamentalistes qu’il existe une tradition des Lumières dans l’islam. » Diagne s’intéresse à la rencontre de l’islam et de l’Afrique, mais aussi à celle de l’islam et de la pensée grecque et hellénistique sur le continent. Un moment déterminant qui a fait de l’arabe une langue philosophique. Il consacre un ouvrage à l’un des pères du Pakistan, Islam et Société ouverte. La fidélité et le mouvement dans la pensée de Muhammad Iqbal.
« Souleymane Bachir Diagne ne représente pas une pensée africaine, explique Mamadou Diouf. Il contribue à une discussion globale enrichie des éléments africains qu’il apporte. À Columbia, il a élargi le département de français aux études francophones et il a obligé la philosophie islamique à accueillir l’Afrique en son sein. » Son installation aux États-Unis a permis à ses collègues occidentaux de s’ouvrir à un autre monde. Pourtant, quand l’université Northwestern à Chicago l’avait invité à rejoindre son équipe enseignante, en 1999, le philosophe sénégalais avait hésité. « Je ne voulais pas quitter Dakar, mais la crise de l’université était telle que j’avais le sentiment d’être devenu inutile. » Une situation que l’ancien normalien, proche de l’Union des étudiants communistes, a essayé d’endiguer lorsqu’il était le conseiller à l’Éducation et à la Culture du président Diouf (1993-1999). « Le monde universitaire sénégalais a besoin de réformes profondes, défend-il. L’université de Dakar a été créée pour 6 000 étudiants. Ils sont près de 50 000 aujourd’hui. Les enseignants sont en sous-effectif. » Même installé aux États-Unis, Souleymane Bachir Diagne revient tous les quatre mois dispenser son enseignement à Dakar. Une manière de rester fidèle aux siens.
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