Miguel Ángel Moratinos Cuyaubé : « Sans sécurité alimentaire, pas de paix dans le monde »

Pourquoi l’ancien chef de la diplomatie espagnole, Miguel Ángel Moratinos Cuyaubé, brigue-t-il la succession du Sénégalais Jacques Diouf à la tête de la FAO, une organisation onusienne largement sclérosée ? Explications.

Logo de la FAO (illustration) © www.fao.org

Logo de la FAO (illustration) © www.fao.org

Publié le 24 juin 2011 Lecture : 5 minutes.

Le 26 juin, les 192 États membres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) éliront leur nouveau directeur général. Un vote à bulletin secret qui interviendra lors de la 37e conférence de l’institution, à Rome. Six candidats sont en lice pour succéder au Sénégalais Jacques Diouf pour un mandat de quatre ans, renouvelable une fois : Franz Fischler (Autriche), José Graziano da Silva (Brésil), Miguel Ángel Moratinos Cuyaubé (Espagne), Indroyono Soesilo (Indonésie), Mohammad Saeid Noori Naeini (Iran) et Abdul Latif Rashid (Irak).

Représentant spécial de l’Union européenne pour le processus de paix au Moyen-Orient de 1996 à 2003, puis ministre des Affaires étrangères et de la Coopération jusqu’en octobre 2010, Moratinos, 60 ans, fait figure de favori. En campagne depuis la mi-janvier, ce diplomate chevronné parcourt la planète afin de présenter son programme et de rallier des soutiens. S’il est élu, il entend réformer de fond en comble une organisation poussiéreuse, lui apporter une vision très politique et renforcer ses actions en Afrique et au Moyen-Orient. Son plus sérieux adversaire est le Brésilien José Graziano da Silva, ancien ministre de la Sécurité alimentaire et de la Lutte contre la faim, qui dirige actuellement le Bureau régional de la FAO pour l’Amérique latine et les Caraïbes.

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Mais l’Espagnol, qui nous a reçus à la résidence de l’ambassadeur de son pays auprès des Nations unies, à Genève, peut compter sur de nombreux appuis en Europe, en Amérique latine, en Afrique et dans les pays arabes.

« Avec 3 % du budget de l’État consacrés à l’agriculture, l’Espagne n’est pas une puissance agricole. Nous n’avons donc aucun agenda caché, jure-t-il. Mais puisque nous sommes le deuxième pays contributeur de la FAO, nous souhaitons être en première ligne sur les questions relatives à l’agriculture et à la lutte contre la faim dans le monde. Il s’agit d’un engagement politique dicté avant tout par la solidarité. »

Jeune Afrique : Pourquoi tant d’intérêt pour la FAO ?

Miguel Ángel Moratinos Cuyaubé : Les cinq années que j’ai passées à la tête de la diplomatie espagnole m’ont permis de parcourir 5 millions de kilomètres en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Et de constater de visu l’injustice, l’inégalité, la pauvreté et la misère. Le président du gouvernement, José Luis Zapatero, m’a dit que ce serait bien qu’un Espagnol puisse contribuer à façonner la nouvelle gouvernance internationale. La FAO traite de sujets fondamentaux – de la lutte conte la faim à la sécurité alimentaire en passant par le contrôle des prix agricoles – qui concernent des milliards d’êtres humains. Elle a besoin d’un renouveau, de renforcer sa capacité d’action. Pour diriger une organisation appelée à retrouver un rôle central dans l’élaboration des décisions stratégiques concernant l’avenir de la planète, il faut un politique.

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« Nous avons les moyens d’éliminer la faim dans le monde. Il ne nous manque que la volonté politique », disait John Fitzgerald Kennedy, lors du 1er Congrès mondial de l’alimentation, en 1963. Un demi-siècle plus tard, où est cette volonté ?

Tout le monde souhaite combattre la faim dans le monde. Le défi est d’aider les chefs d’État à retrouver confiance dans la FAO afin d’aborder la question avec une approche nouvelle, une méthodologie différente. Le directeur général se doit d’être un mobilisateur politique capable de catalyser leurs aspirations. Car dans le système des organisations internationales, la FAO apparaît comme le parent pauvre…

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C’est une organisation budgétivore et administrativement très lourde. N’est-il pas nécessaire de dépoussiérer le « machin » ?

Il est nécessaire de réformer la FAO dans un contexte où les États membres refusent d’augmenter leurs contributions. Les fonctionnaires de l’institution adhèrent à cette volonté, et Jacques Diouf, l’actuel directeur général, a d’ailleurs enclenché le processus.

Environ 70 % des ressources sont consacrées au paiement des salaires et 30 % à la coopération technique, dont 15 % pour les consultants. Reste donc 15 % pour les projets de terrain. Une part que je souhaite faire passer rapidement à 50 %. Pour cela, il faut faire des économies budgétaires en favorisant les départs à la retraite et en repensant notre architecture globale, qui compte 130 missions à l’étranger, dont de nombreux bureaux de représentation dans les pays développés.

Il faut aussi augmenter les contributions extrabudgétaires à travers la mobilisation de ressources provenant d’autres donateurs et le renforcement de notre partenariat avec le privé. Il y a dans le domaine agricole et agroalimentaire 300 multinationales susceptibles de subventionner nos activités. Enfin, je compte lancer des financements innovants, dans l’esprit des nouvelles taxes sur les billets d’avion, afin de mobiliser entre 30 et 40 milliards d’euros supplémentaires chaque année. 

Faut-il repenser la politique agricole imaginée dans les années 1960 consistant à favoriser la production dans les pays à fort potentiel ?

J’ai visité 90 pays, dont 31 africains, au cours de cette campagne. Tous souhaitent privilégier des politiques agricoles fortes, tous sont favorables à un retour à la terre. C’est la garantie d’une autonomie alimentaire et du développement économique et social.

Quelles sont vos priorités ?

Réduire la spéculation et la volatilité des prix sur les marchés agricoles, qui ne profitent ni au producteur ni au consommateur. La France fera une série de propositions lors de la prochaine réunion du G20, les 22 et 23 juin à Paris. La FAO pourra apporter sa contribution en ce qui concerne l’application et le suivi des décisions qui seront prises. Elle pourra notamment renforcer la transparence à travers une meilleure information sur les stocks de produits disponibles. On doit travailler ensemble avec le Programme alimentaire mondial [PAM], le Fonds international de développement agricole [Fida] et la Banque mondiale.

Quelles sont les grandes lignes de votre plan pour l’Afrique ?

Trente-huit pays africains disposent d’un programme de sécurité alimentaire, mais seul le Rwanda a commencé à l’appliquer. La FAO doit leur apporter une assistance plus directe. Si je suis élu, j’appuierai aussi le Programme détaillé de développement de l’agriculture en Afrique [CAADP] et le Nepad. J’apporterai mon soutien à la politique agricole de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest [Cedeao]. Et puis je finaliserai mon plan avec les Africains au cours des six mois précédant mon entrée en fonction, le 1er janvier 2012. 

Vous avez déclaré récemment que le Moyen-Orient, région peu réputée pour son agriculture, constituait une priorité. Est-ce votre passé de médiateur dans le conflit israélo-palestinien qui ressurgit ?

En quelque sorte. Je connais bien cette région sensible avec laquelle je souhaite conserver une relation politique et personnelle. Il faut y faire davantage en matière agricole et alimentaire, notamment pour résoudre la question cruciale de l’approvisionnement en eau. Je propose donc la création à la FAO d’un département de l’eau. Il est possible de transformer les déserts en terres arables, d’économiser les ressources hydriques, de dessaler l’eau de mer… Si Israël a réussi à le faire, pourquoi les autres n’y arriveraient-ils pas ?

Quelles pourraient être les actions emblématiques de vos cent premiers jours à la direction générale ?

Je nommerais un directeur général adjoint africain et m’attellerais à la réforme interne. Machiavel prétendait que, pour se faire respecter, il faut exécuter quelqu’un le premier jour de son arrivée au pouvoir. Moi, je propose seulement d’exécuter… mon programme.

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Propos recueillis à Genève par Pascal Airault et Hamid Barrada

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