Monde arabe : on n’est jamais mieux servi que par soi-même

Plutôt que de s’en remettre à la communauté internationale pour soutenir les pays arabes en révolution, certains recommandent la création d’une banque de développement régionale ad hoc.

Le Premier ministre qatari Hamad Ibn Jassem (centre), défend le principe de solidarité des Arabes. © Reuters

Le Premier ministre qatari Hamad Ibn Jassem (centre), défend le principe de solidarité des Arabes. © Reuters

Publié le 1 juillet 2011 Lecture : 5 minutes.

Dans le premier quart du XXe siècle, les leaders politiques arabes tiraient leur légitimité de leur attachement au nationalisme arabe et de leur combat pour l’indépendance. Certains d’entre eux allèrent plus loin en affirmant leur foi dans l’unité arabe – sans cependant être disposés à mettre de côté, même provisoirement, les rivalités, les différends et les accusations réciproques qui ont longtemps caractérisé l’exercice de la politique dans la région. Cet idéal a depuis été largement discrédité.

Aujourd’hui, les cris de ralliement de l’ancienne génération ont été remplacés par quelque chose de plus modeste : la solidarité arabe. Et celle-ci est loin d’être un slogan creux si elle signifie s’aider mutuellement, faire face ensemble aux menaces extérieures, et reconnaître, en joignant l’acte à la parole, que les Arabes ont une série d’intérêts communs qu’il est nécessaire de défendre pour le bien de tous.

Les Arabes ont une série d’intérêts communs qu’il est nécessaire de défendre pour le bien de tous.

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Concrètement, cela signifie – en particulier en temps de crise – que les nations arabes les plus riches doivent prendre leurs responsabilités et voler au secours des plus pauvres. Parmi les leaders arabes à avoir compris l’impérieuse nécessité d’une action commune, Hamad Ibn Jassem, Premier ministre du Qatar. Dans un discours prononcé le mois dernier au Centre des études islamiques d’Oxford, il a appelé à la création d’une banque de développement pour le Moyen-Orient – en d’autres termes, une nouvelle et puissante institution pour canaliser l’aide destinée à des pays au bord de la faillite économique.

Le Qatar, a-t-il dit, a sollicité pour ce projet le soutien de l’Arabie saoudite, du Koweït et des Émirats arabes unis. « À travers cette banque, a-t-il précisé, on pourra mobiliser les ressources et les capacités locales, et solliciter les expertises étrangères. » Il a particulièrement insisté sur le problème du chômage des jeunes, dont les observateurs s’accordent à dire qu’il a été l’un des principaux moteurs de la vague révolutionnaire et qu’on doit lui trouver rapidement une solution si on veut éviter que le « printemps arabe » ne tourne à un hiver de désillusion et de misère.

Sur le modèle de la Berd

Les États arabes les plus prospères ont déjà accompli une série de gestes importants. Par exemple, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) a décidé, en mars, d’allouer à Oman et à Bahreïn une enveloppe de 10 milliards de dollars chacun sur dix ans pour améliorer les infrastructures et les logements. Riyad, de son côté, a débloqué d’urgence 4 milliards de dollars pour l’Égypte sous forme de prêts, de dépôts et de dons. Le Fonds arabe pour le développement économique et social (Fades) a accordé au Yémen une ligne de crédit de 329 millions de dollars pour financer la construction d’une route et d’une centrale à gaz, et la restauration de la grande mosquée de Sanaa – mais cela devra attendre des jours plus calmes. Le Fonds koweïtien pour le développement économique arabe a signé un accord pour financer à hauteur de 50 millions de dollars des projets de santé et d’éducation dans l’est du Soudan.

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Ces promesses d’aides sont louables, mais une planification et une coordination au niveau régional sont nécessaires pour qu’elles soient efficientes. Une institution arabe telle que proposée par le Premier ministre qatari serait bien placée pour collecter et administrer ces fonds de manière à les répartir selon les besoins, en toute transparence et sur la base d’expertises techniques.

En 1991, lorsque l’URSS a été démantelée, on a créé la Banque européenne de reconstruction et de développement (Berd) pour aider la transition des ex-pays communistes vers la prospérité et la démocratie. La Berd a ainsi financé avec succès un grand nombre de projets en Europe de l’Est et en Europe centrale, mais aussi en Russie. La Commission européenne a proposé de modifier le mandat de la Berd afin de lui permettre d’aider des pays comme la Tunisie et l’Égypte. Il ne fait aucun doute que la banque dispose de l’expérience nécessaire pour le faire, mais en raison de contraintes fiscales il est peu probable qu’elle soit en mesure de fournir au monde arabe le niveau d’aide requis.

La vérité est que les Arabes doivent se prendre en charge.

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En mai, lorsqu’ils se sont réunis à Deauville, en France, les dirigeants du G8, emmenés par les États-Unis, se sont engagés à verser 20 milliards de dollars à l’Égypte et à la Tunisie sous forme… de prêts. Lesquels devront être remboursés en temps utile. Ils n’ont donc fait qu’alourdir le poids de la dette qui pèse sur ces pays, exerçant une pression supplémentaire sur des budgets déjà extrêmement tendus.

En outre, l’aide occidentale est assortie de conditions : l’Égypte et la Tunisie doivent poursuivre leur transition vers « une société démocratique et tolérante ». En d’autres termes, il est demandé à ces deux pays, en échange de l’aide promise, d’adopter, sous une forme ou une autre, un modèle de démocratie de type occidental.

Intérêts particuliers

La vérité est que les Arabes doivent se prendre en charge et ne pas se défausser sur des contributeurs non arabes – qu’il s’agisse des États-Unis, de l’Europe ou même de la Chine. L’Amérique, dont les finances sont grevées par les guerres d’Irak et d’Afghanistan, n’a que peu de ressources disponibles ; la Chine est accaparée par ses énormes problèmes de développement ; quant à l’Europe, elle a ses propres priorités. Les États d’Europe de l’Est refusent de voir cette manne – dont ils continuent de bénéficier – détournée au profit de l’Afrique du Nord. Les pays d’Europe de l’Ouest, eux, veulent tout d’abord éviter l’importation de l’islamisme radical et le déferlement d’une vague d’immigration illégale massive. Toute aide destinée au monde arabe obéira à ces intérêts particuliers.

Dans le Financial Times du 26 mai, Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’Économie 2001, a affirmé que l’aide occidentale était nécessaire pour éviter que les révolutions arabes ne stagnent ou ne fassent machine arrière. Les priorités, selon lui, sont la création d’emplois, l’allègement de la dette et l’accès aux marchés occidentaux. Son analyse est juste, sans aucun doute. Mais une banque de développement pour le Moyen-Orient serait de loin le meilleur outil pour empêcher le « printemps arabe » de sombrer dans la violence et le désespoir. 

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