Les larmes d’Aïcha
Le 10 juin, Aïcha Kadhafi, la fille de Mouammar, a déposé une plainte devant le tribunal de grande instance de Paris contre l’Otan pour « meutre de mineurs » lors d’un bombardement qui avait atteint une résidence du « Guide » libyen et aurait tué des membres de sa famille, dont son propre fils Saif al-Arab.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 21 juin 2011 Lecture : 2 minutes.
C’est entendu : Mouammar Kadhafi est un dictateur déséquilibré et, même s’il confiait récemment à un visiteur de passage ne pas comprendre de quel poste on voulait le chasser – puisqu’il n’en occupe officiellement aucun –, le meilleur service qu’il puisse rendre à la Libye est de disparaître dans un vent de sable. C’est entendu aussi : la France est en guerre contre lui depuis cent jours.
Une guerre high-tech, parfaitement indolore pour les Français, totalement asymétrique et sans aucun comptage des victimes au sol puisque les frappes aériennes, l’Otan nous le répète, sont à ce point millimétrées et intelligentes qu’elles sauraient distinguer un civil d’un militaire. Une guerre soft, donc, dans laquelle nous, les médias, ne sommes pas en reste, qui classifions les informations venues du front en fonction de notre camp : anti-Kadhafi (tout le monde) ou pro-Kadhafi (personne).
C’est dire, dans ce contexte, si la plainte pour « meurtre de mineurs » déposée le 10 juin devant le tribunal de grande instance de Paris par une certaine Aïcha Mouammar Kadhafi ne semble intéresser personne. « Dans la soirée du 30 avril 2011, à 20h7 », peut-on y lire, « ma fille Mastoura Hmaid Bouzaitaiya, 5 mois, dormait chez mes parents dans le quartier résidentiel de Ghargour, à Tripoli, sous la garde de mon frère Seif el-Arab, lorsqu’un avion militaire de l’Otan a procédé à un tir de missile ciblé. À la suite de ce bombardement, cinq personnes ont été tuées : mon frère, l’un de ses amis, Ismaïl Mohamed Othman et trois petits enfants : ma fille, née le 5 décembre 2010, l’une de mes nièces, Carthage Hannibal Kadhafi, née le 2 août 2008, et l’un de mes neveux, Seif Mohammed Kadhafi, né le 30 janvier 2009. Je précise que mon père et ma mère Safia, son épouse, avaient quitté la maison un peu moins de trente minutes auparavant. »
Avocate, 33 ans, fausse blonde sulfureuse et arrogante, Aïcha Kadhafi, la fille du dictateur, n’inspire pas plus l’empathie que le reste de la fratrie. Mais voilà : une mère est une mère, et la vie d’un enfant en vaut une autre. Alors de deux choses l’une. Soit cette histoire est un montage machiavélique, comme l’affirment les rebelles du CNT dont l’unique relais sur ce point précis est un homme à qui nul n’oserait acheter une voiture d’occasion : Silvio Berlusconi. Soit elle est plus que vraisemblable, comme le concèdent désormais la plupart des sources informées, et il faudra bien que l’Otan, ses chefs et ses présidents en répondent. Je sais bien que leur ligne de défense est déjà prête : ce n’était pas une villa d’habitation, mais un centre de commandement militaire, donc une cible légitime.
Kadhafi se serait donc servi de sa propre chair comme bouclier humain. L’avantage, avec les dictateurs, c’est qu’on peut leur prêter toutes les horreurs, même les plus invraisemblables : Bokassa n’était-il pas cannibale ? Tout laisse à penser que les morts du 30 avril, et en particulier les trois enfants dont le tort était de s’appeler Kadhafi, ont été les victimes d’une violation claire des conventions de Genève. Cette frappe destinée à tuer le «Guide » ne fournit certes pas la moindre circonstance atténuante aux crimes qu’il a lui-même commis. Mais à l’heure où les citoyens des pays membres de la coalition ont l’humeur estivale, elle sonne comme un rappel. « Le propre des guerres justes », disait l’écrivain égyptien Georges Henein, « est de ne pas le demeurer longtemps ».
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