« Muses et Égéries », une ode à la femme

« Tout roman est avant tout rythme », aime dire Gamal Ghitany, écrivain cairote dont vient de paraître en français un nouvel opus intitulé Muses et Égéries. L’Égyptien, qui s’est fait connaître dans les années 1970 avec Zayni Barakat (traduit en français aux éd. du Seuil en 1985), récit critique à peine voilé du nationalisme de Nasser (qui l’envoya en prison), aurait pu ajouter que le roman est aussi réflexion. Sur la philosophie, la spiritualité, l’Histoire, la condition humaine…

Muses et Égéries s’inscrit dans cette conception du récit total où la narration procède au gré des associations et des résonances, avec pour seule logique la cohérence de la vie que l’écriture est peut-être la seule à pouvoir sauver du néant. Ce sont Les Mille et Une Nuits revisitées. Ghitany entend « restituer la narration à ses origines arabes ». Ce qu’il réalise d’ailleurs avec un certain bonheur dans ses Carnets auxquels il travaille depuis une dizaine d’années et dont Muses et Égéries constitue les premier et troisième volumes. Le cinquième volume des Carnets, déjà paru en français en 2008 (Les Poussières de l’effacement, Le Seuil), était une méditation sur la mémoire et l’oubli.

Journal intime

Situées aux confluents de l’autobiographie et de la fiction, ces pages tirées de son journal intime sont construites comme des considérations éparses reliées par la conscience du narrateur. Muses et Égéries ne déroge guère à la règle. Si les femmes et la beauté féminine sont au cœur de ce récit, elles servent également de prétexte à l’auteur pour revenir sur sa propre vie, son enfance, ses rencontres, ses voyages à travers le monde, son emprisonnement. Ces éléments restitués avec nostalgie débouchent à leur tour sur les passions féminines qui ont marqué la vie du narrateur, plus riches les unes que les autres, celles du passé prometteuses des rencontres à venir. « La plupart de ces rencontres, proclame-t-il, ont eu lieu à des moments de ma vie où mon sens de la chronologie était perturbé et ma géographie chamboulée, elles m’ont surpris dans le cours de mes voyages aussi bien que dans mes périodes de sédentarité. Parmi elles : la Femme-Reine, la Femme-Lustre, la Femme-Épi, la Femme-Gemme, la Femme-Colombine, la Femme-Planète, la Femme-Galaxie… et bien d’autres encore. »

Dessinateur de tapis

Divisé en deux parties (« Rêves arrachés au sommeil » et « L’onde de choc de Hamra »), le livre est une véritable ode aux femmes, aux Magd, aux Colombine, aux Claire, mais aussi aux Tania, aux Janka, aux Annette, aux Deborah ou aux Jananne. Il s’ouvre sur Alif, « comme la première lettre de l’alphabet, elle commençait en un point pour s’achever en un autre, rassemblant entre ces limites la totalité des formes : barre droite ou courbe convexe, ligne brisée ou trait continu ». Elles sont muses, égéries, amantes, femmes désirées et perdues, contrairement à la Hamra de son enfance, liée à l’histoire personnelle et collective du narrateur. Ce n’est donc pas un hasard si « Hamra surgit toujours de l’ouest ». Toute la seconde partie du livre est dédiée au souvenir de cette femme fondatrice d’une existence.

Venu à l’écriture par le biais de la poésie, Gamal Ghitany travaille ses récits à la manière du dessinateur de tapis qu’il fut au début de sa carrière professionnelle, mêlant les fils, les genres, les histoires et les registres. Ainsi, dans Muses et Égéries, l’érotique et la poétique cohabitent-elles avec un art consommé de la narration, faisant de Ghitany l’héritier de Naguib Mahfouz, qui l’a encouragé dans l’écriture. Son roman le plus connu est sans doute Le Livre des illuminations, considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature arabe contemporaine. Ghitany est aussi un journaliste réputé, ayant fondé Akhbar al-Adab, une des revues littéraires les plus influentes du monde arabe.