Turquie : Erdogan devra composer avec l’opposition

La victoire de l’AKP aux législatives du 12 juin est écrasante. Mais avec 135 sièges « seulement », il devra encore composer avec d’autres partis pour essayer d’imposer une nouvelle Constitution.

 © Adem Altan/AFP

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Publié le 8 juin 2011 Lecture : 3 minutes.

Renouvellement de la moitié de ses candidats, présentation de soixante-dix-huit femmes, appel à des personnalités comme la star du foot Hakan Sükür, promesses à tout-va… Depuis des semaines, le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan fait ce qu’il aime le mieux : mener campagne. Certes, la victoire de son Parti de la justice et du développement (AKP) aux législatives du 12 juin ne faisait aucun doute. Mais après un premier succès en novembre 2002 (34,2 % des voix), qui avait permis la formation d’un gouvernement homogène, le rusé tribun espèrait dépasser le score historique (46,6 %) obtenu en juillet 2007 dans un climat de tension extrême. Pari gagné, avec 49,9 % des voix et 135 sièges selon des résultats non officialisés.

Lors du précédent scrutin, pour empêcher l’élection d’un « islamiste » à la présidence de la République, l’armée avait brandi la menace d’un coup d’État ; la crise s’était dénouée grâce à des législatives anticipées, Erdogan s’effaçant tout de même devant son « frère » Abdullah Gül. Cette fois, empêtré dans le procès Ergenekon, l’état-major fait profil bas. Soupçonnée d’avoir tenté à plusieurs reprises de renverser le gouvernement dans les années 2003-2004, une brochette d’officiers et de généraux se retrouvent sur le banc des accusés.

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Malgré le silence des « pachas », la campagne n’en a pas été moins rude, les leaders des principaux partis se livrant à des attaques personnelles virulentes.

Acharnement

Plus inquiet qu’il n’y paraît de la progression du Parti républicain du peuple (CHP, centre gauche), qui était crédité de 28,3 % des voix dans les derniers sondages et en a récolté 25,9 % (il n’avait obtenu que 20,8 % en 2007), Erdogan s’est acharné contre son chef, Kemal Kiliçdaroglu, comparé à « une marionnette aux mains de gangs ». Autrement dit, des rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et des militaires putschistes.

Il n’empêche : en rénovant le CHP, en jouant discrètement de ses origines kurdes et, plus ouvertement, de son appartenance à la minorité chiite alévie, Kiliçdaroglu a marqué des points, y compris dans le Sud-Est anatolien acquis au Parti pour la paix et la démocratie (BDP, prokurde) et passagèrement séduit par l’AKP. Le 23 mai, à Hakkari, son meeting a attiré du monde. Beaucoup plus que celui d’Erdogan, l’avant-veille. Après avoir, à l’été 2009, annoncé la mise en œuvre de réformes en faveur des Kurdes, le Premier ministre paie le prix des promesses non tenues.

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Pis : les tentatives pour écarter le BDP de la représentation nationale ont entraîné un regain de violence. Pour envoyer des députés au Parlement, les partis doivent recueillir plus de 10 % des voix au niveau national. Souvent majoritaire dans le Sud-Est, mais plafonnant globalement autour de 5 %, le BDP surmonte l’obstacle en présentant des candidats indépendants. Lorsque, le 18 avril, le Conseil supérieur des élections a invalidé sept de ces candidatures, de graves incidents ont éclaté à Istanbul et à Diyarbakir, la « capitale » kurde. Les arrestations qui se sont ensuivies ont provoqué à leur tour une marche de protestation de vingt mille personnes à la frontière sud. Et le 4 mai, les rebelles du PKK ont revendiqué le mitraillage de la caravane de campagne d’Erdogan, à Kastamonu, dans le Nord (un gendarme a été tué). Entretemps, le Conseil est revenu sur sa décision, mais le climat n’en reste pas moins fort tendu.

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Exception Recep Tayyip Erdogan le 12 juin 2011 à Istanbul (AFP, Bulent Kilic)

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Batifolages

Ce sont des tensions d’un tout autre genre que vit le Parti d’action nationaliste (MHP). Depuis deux mois, un groupe mystérieux diffuse sur internet des vidéos montrant plusieurs responsables de la formation d’extrême droite batifolant avec des étudiantes, dont une mineure. Dix d’entre eux ont dû démissionner, à la demande de leur patron, Devlet Bahçeli, qui voit dans cette affaire la main de Fethullah Gülen, un influent prédicateur religieux proche de l’AKP, exilé aux États-Unis. Le Premier ministre s’en est évidemment indigné. De fait, si le MHP (13 % des suffrages) était tombé sous le seuil des 10 %, l’AKP aurait pu obtenir à l’Assemblée la majorité des deux tiers requise pour imposer une nouvelle Constitution de type présidentiel – au bénéfice d’Erdogan –, sans passer par un référendum.

« Le peuple… nous a adressé le message que la nouvelle Constitution doit se faire par le compromis, la consultation et la négociation », a déclaré M. Erdogan, dans un discours célébrant sa victoire. « Nous ne fermerons pas nos portes, nous irons vers l’opposition », a dit Erdogan.

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