Football : pourquoi Blatter a (encore) gagné
À l’issue d’une folle semaine marquée par des accusations de corruption tous azimuts, Joseph Sepp Blatter a été reconduit pour quatre ans à la tête de la Fifa. C’est bien simple : cet homme-là est in-sub-mer-si-ble !
Zurich, 1er juin. Jérôme Valcke, le secrétaire général, les appelle un à un à la tribune pour une petite cérémonie somme toute classique après un congrès. Certains sourient, d’autres affichent un air presque grave. Seul candidat en lice, Joseph S. Blatter vient d’être réélu pour un quatrième et ultime mandat de quatre ans à la présidence de la Fédération internationale de football association (Fifa). Le vote à bulletins secrets n’a été qu’une formalité : 186 voix sur 203 suffrages exprimés.
Il y a là Franz Beckenbauer, alias Kaiser Franz, l’ancien grand libéro allemand. Deux membres sortants du comité exécutif : le Japonais Junji Ogura et l’Anglais Geoff Thompson. Les trois nouveaux vice-présidents : le prince Ali Ibn Al Hussein de Jordanie, David Chung de Papouasie-Nouvelle Guinée, et Jim Boyce d’Irlande du Nord. Et trois petits nouveaux : Manilal Fernando, du Sri Lanka, Mohamed Raouraoua et Theo Zwanziger, patrons respectifs des fédérations algérienne et allemande. Sans doute pour les remercier de leur soutien, tous se voient remettre, qui une distinction, qui une breloque agrémentée d’une chaleureuse accolade ou d’une simple poignée de main. Après une semaine incroyable, le président paraît bien fatigué. Mais il reste fidèle à son image de capitaine impavide dans la tempête. Ça tombe bien : depuis quelques jours, la Fifa évoque irrésistiblement une coquille de noix ballottée par les vagues !
Stature massive, visage volontaire adouci par de fines lunettes, front largement dégagé et chevelure grisonnante, Sepp, comme l’appellent ses proches, même s’il a pris officiellement ce diminutif comme second prénom (sans guillemets, précise-t-il), ne fait vraiment pas son âge : 75 ans depuis le 10 mars. Originaire de Viège, petite cité du Haut-Valais, dans le sud de la Suisse, le successeur du Brésilien João Havelange est un polyglotte accompli. Il parle l’allemand, bien sûr, sa langue maternelle, mais aussi le français, l’anglais, l’espagnol et l’italien. Très utile quand on dirige une fédération internationale qui compte davantage de membres que l’ONU ou le Comité international olympique !
Fin connaisseur
Footballeur amateur pendant plus de vingt ans, puis dirigeant du club de Neuchâtel Xamax à partir de 1970, Blatter a rejoint la Fifa en 1975. Bref, en matière de foot, il sait de quoi il parle. Maintes fois affirmée, notamment avant le Mondial sud-africain de l’an dernier, sa répugnance à faire appel à la technologie sur le terrain (arbitrage vidéo, etc.) est réelle. Mais c’est avant tout un pragmatique. De nombreux joueurs et entraîneurs espèrent donc qu’il fera avancer les choses au cours des années qui viennent.
Ce passionné de sport est attiré par d’autres disciplines que le football. En 1964, à l’âge de 28 ans, il fut le secrétaire général de la Fédération suisse de hockey sur glace. Beaucoup plus tard, il s’impliquera dans la candidature de la ville de Sion, la « capitale » valaisanne, à l’organisation des Jeux olympiques d’hiver 2006. Il n’a quitté le navire, avec regret, qu’après son élection à la présidence de la Fifa, en juin 1998, à Paris. La désignation de Turin sera pour lui une immense déception. Mais son entrée dans le monde du sport international remonte aux années 1970. À l’époque, il assurait la direction des relations publiques et des sports au sein de la société horlogère Longines. À ce titre, il a participé à l’organisation des Jeux olympiques de 1972 et 1976 dans le domaine du chronométrage. Il reviendra sur la scène olympique en 1999. Président d’une fédération internationale, il est du même coup membre du CIO…
Joseph Blatter démarre sa carrière à la Fifa en 1975, quand le président Havelange, élu un an plus tôt, lui confie le poste, hautement stratégique, de directeur des programmes de développement. L’idée d’organiser des championnats du monde pour les jeunes et les femmes date de ces années-là.
Vision à Addis
En 1976, lors d’un voyage en Éthiopie, il prend conscience de la nécessité de développer le foot africain et, pourquoi pas, d’organiser un jour une Coupe du monde sur le continent. « C’est à Addis que j’ai compris ce que le football représente pour l’Afrique », confiait-il, en juin 2009, lors d’une conférence de presse en Afrique du Sud, un an avant le coup d’envoi de la Coupe du monde.
En 1981, Havelange le nomme secrétaire général. Neuf ans plus tard, il devient directeur exécutif. C’est sous sa houlette que sont organisées toutes les Coupes du monde de 1982 à 1998. Cette année-là, après vingt-quatre ans de présidence, Havelange se résout à passer la main et transmet le relais à Blatter, élu sans coup férir par 111 voix, contre 80 au Suédois Lennart Johansson, le patron du foot européen.
Quatre ans plus tard, il peut se vanter d’un premier succès : la coorganisation du Mondial par deux pays. En l’occurrence, la République de Corée et le Japon. C’est une spectaculaire réussite. L’ascension du foot asiatique peut commencer. Son second fait d’armes, on le sait, sera la tenue d’une Coupe du monde en Afrique, en dépit de réticences, européennes notamment, aussi fortes qu’injustifiées.
Le directeur général du Comité d’organisation sud-africain, Danny Jordaan, se souvient encore des difficultés rencontrées pour satisfaire aux exigences de Jack Warner, vice-président de la Fifa et président de la Confédération de football d’Amérique du Nord, d’Amérique centrale et des Caraïbes (Concacaf). En échange de son soutien à la candidature sud-africaine, celui-ci tenait absolument à faire venir le vieux Nelson Mandela dans son fief de Trinité-et-Tobago !
C’est ce même Warner qui, le 29 mai, a été suspendu provisoirement par la Fifa en raison de « possibles violations » de son code éthique lors de la campagne pour l’élection du 1er juin. Le milliardaire qatari Mohamed Ibn Hammam, président de la Confédération asiatique de football (AFC) et membre du comité exécutif, est dans le même cas. Chantre autoproclamé de la lutte anticorruption, il a été contraint de retirer sa candidature et de laisser le champ libre au président sortant. Les deux hommes sont en outre soupçonnés par les Anglais de n’avoir pas reculé devant les pires moyens pour faire en sorte que le Qatar soit choisi pour organiser le Mondial 2022.
Blanchi
Déjà mis en cause, en 2006, par un livre du journaliste anglais Andrew Jennings (Carton rouge, les dessous troublants de la Fifa), Blatter a dû, lui aussi, s’expliquer devant la commission d’éthique, après les accusations portées contre lui par Ibn Hammam. Mais il a été blanchi.
Ce n’est certes pas la première fois que la Fifa se trouve ainsi mise en cause. La dernière affaire remonte à la fin de l’année dernière, quand l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022 déboucha sur la suspension de deux membres du comité exécutif, le Nigérian Amos Adamu et le Tahitien Reynald Temarii. Mais ce n’était encore que broutilles en comparaison de ce qui allait suivre… Pour l’image de la Fifa, on aurait pu rêver mieux. Mais au fait, qu’en pensent ses partenaires – de Coca-Cola à Visa, et d’Emirates à Adidas ? N’ont-ils pas notablement contribué à en faire l’organisation sportive la plus riche du monde (ses réserves sont estimées à 1,28 milliard de dollars) ? « Ils nous ont dit : “Ramenez le bateau dans de meilleures eaux.” Aucun n’a dit : “On se retire” », jure Blatter.
Le dirigeant suisse n’entend nullement renoncer aux aspects sociaux de son programme, surtout concernant les enfants : développement du rôle éducatif du foot, actions humanitaires diverses… Mais il avoue, l’œil sombre, avoir « subi un camouflet ». « Désormais, ce sera tolérance zéro pour la corruption », promet-il. Le renforcement des pouvoirs du comité d’éthique est à l’étude, de même que la création d’un « comité de solutions » ouvert à des personnalités extérieures, comme Johan Cruyff, l’ancienne star néerlandaise.
Ce fin politique l’admet volontiers : la Fifa a commis une erreur en choisissant simultanément les pays organisateurs des Coupes du monde 2018 et 2022. Alors il a fait adopter par le dernier congrès un nouveau mode d’attribution. Jusqu’ici, la désignation était du ressort du comité exécutif, composé de 24 membres. À l’avenir, elle incombera au congrès lui-même, et aux 208 fédérations membres de la Fifa.
Les médias suisses le surnomment, ironiquement, l’insubmersible roi Blatter. Attaqué sur plusieurs fronts, l’intéressé réplique, non sans humour : « La crise à la Fifa ? Quelle crise ? » À en juger par le champ de mines qu’il vient de traverser sans trop de dommages, sans doute vaudrait-il mieux le surnommer le démineur.
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