Tunisie : Gafsa peut être fière d’eux !

Originaires de la région sinistrée, ils ne veulent plus rester les bras croisés. Portraits de deux jeunes, symboles d’une Tunisie entreprenante.

Hichem Mandhour au volant de son invention. © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com

Hichem Mandhour au volant de son invention. © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com

Publié le 17 juin 2011 Lecture : 3 minutes.

« Si tu es capable de faire une voiture, alors tu peux faire bien plus ! » Cette affirmation lourde de suspicion que lui a lancée un policier en 2010 a tellement effrayé Hichem Mandhour qu’il dissimulera, pendant des mois, dans l’oasis de Gafsa, le prototype de sa « M Tuni », un deux-chevaux hybride de son invention. Mais il n’a pas pour autant rangé ses rêves sous les palmiers. Hichem, 29 ans, est têtu mais pragmatique ; il croit que les inventions ont leur place en Tunisie même si, « ici, on n’écoute pas les inventeurs. Mais l’essentiel est l’idée, et il ne faut pas toujours des millions pour développer les applications, mais d’abord de la volonté et moins d’obstacles administratifs ».

Ce fils de petits fonctionnaires est un battant. Quand l’Institut supérieur des études technologiques de Gabès refuse son projet de fin d’études, il emprunte l’atelier d’un voisin, à Gafsa, pour construire cette petite urbaine à laquelle il consacre ses maigres économies. Née avant la révolution, la « M Tuni » était déjà patriotique, depuis sa carrosserie, rouge comme le drapeau national, jusqu’à son nom, contraction de Mouwaten Tounsi (« citoyen tunisien »). « Écologique, économique, elle répond aux besoins des Tunisiens et pourrait être commercialisée au prix de 2 500 euros », argumente Hichem, qui, soutenu par l’Association des Tunisiens des grandes écoles (Atuge), a ficelé son étude technique. Mais la « M Tuni » est toujours en panne faute d’investisseurs. Hichem, au chômage, comme 62 % des jeunes diplômés de la région, broie du noir et demande seulement à être entendu.

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Tête chercheuse

Brillant scientifique, Ameur Dhari est rentré au pays au nom de l’intérêt national

Ameur Dhahri (photo ci-contre : © Nicolas Fauqué/imagesdetunisie.com) a deux passions : la recherche et la Tunisie. Originaire d’une famille militante et modeste de Gafsa, il est familier des laboratoires de recherche en France, en Italie, au Chili et en Allemagne. À 32 ans, cet habitué des publications scientifiques affiche un curriculum vitæ de surdoué. Il vient de mettre au point, avec Luigi Accardi, du Centre Vito Volterra, à Rome, une nouvelle théorie relative à la mécanique quantique qui devrait faire grand bruit dans le monde scientifique. Major de promotion à l’École normale de Lyon, il a renoncé à enseigner à Paris-Dauphine pour revenir en Tunisie.

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S’il semble afficher la désinvolture et l’aisance de ceux qui jonglent avec les théorèmes, Ameur est on ne peut plus sérieux quand il s’agit de son pays. Actuellement professeur à l’Institut national des sciences appliquées et de technologie (Insat), il a mis entre parenthèses sa carrière pour dresser, avec d’autres enseignants-chercheurs, un diagnostic du mal qui ronge la recherche tunisienne afin d’en identifier les remèdes. « La recherche est une base du développement, rappelle-t-il. L’exemple du Japon est édifiant. Celui du Chili aussi ; les moyens donnés à la recherche sont en train de tirer le pays vers le haut malgré la pauvreté. »

Le régionalisme est à l’origine du mal-être tunisien

Ameur dénonce avec force le système mis en place et le comportement des chefs de recherche qui freinent l’émergence de jeunes qui ont souvent fait des études supérieures. « La caste des chercheurs est une mafia qui casse la recherche en s’appropriant les travaux des autres, car elle ne produit rien par elle-même », s’indigne-t-il.

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Révolté dans l’âme, il n’évoque pas la révolution, même s’il y a participé activement. Pour lui, le régionalisme est à l’origine du mal-être tunisien. « La réconciliation nationale est possible si l’on reconnaît que l’on a amputé un pan de notre histoire. Cela remonte à loin. Il s’agit de lever une injustice, de réhabiliter une mémoire, dont celle des fellagas, qui ont participé à la lutte pour l’indépendance, alors que Bourguiba et Ben Ali, à travers le régionalisme, ont occulté leur existence. Nous avons su être unis. Nous pouvons l’être encore plus en donnant la priorité aux compétences plutôt qu’aux origines. » Ameur s’est découvert une nouvelle passion : la politique.

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