En Guinée, la transition n’est pas terminée

Vincent Foucher et Gilles Olakounlé Yabi, d’International crisis group. © DR/Vincent Fournier pour J.A.

Vincent Foucher et Gilles Olakounlé Yabi, d’International crisis group. © DR/Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 17 juin 2011 Lecture : 3 minutes.

À la fin de l’année 2010, alors que la Côte d’Ivoire plongeait dans une crise sanglante, la Guinée connaissait sa première élection libre depuis son accession à l’indépendance, en 1958. Le 7 novembre 2010, après les vingt-quatre années de pouvoir de Lansana Conté et l’interlude brutal du capitaine Moussa Dadis Camara, un civil accédait au pouvoir en la personne d’Alpha Condé. Les Guinéens ont payé ce changement politique au prix du sang. L’opportunité doit être saisie pour une trans­formation en profondeur du pays.

Alpha Condé a une lourde responsabilité, tout comme ses principaux rivaux, à commencer par Cellou Dalein Diallo, qui se préparent pour les élections législatives dans un contexte marqué par des incidents et des provocations, et par l’absence d’un vrai dialogue entre les deux anciens adversaires du second tour de l’élection présidentielle. Le recours à la stratégie de la tension est un jeu dangereux dans un pays encore fragile.

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À la satisfaction générale, les soldats ont quitté les rues de Conakry pour les camps militaires, et les armes lourdes ont été envoyées dans les casernes de l’intérieur du pays. Opérant avec une prudence justifiée, le nouveau pouvoir n’a pas été beaucoup plus loin dans la remise en cause du poids considérable de l’armée, mais une réforme profonde du secteur de la sécurité se prépare. Du point de vue de la gouvernance administrative, économique et financière, des signes encourageants ont été donnés par l’équipe de Condé, même si l’on peut s’interroger sur le respect des procédures dans la prise de certaines décisions, comme l’attribution controversée de la gestion du port de Conakry au groupe Bolloré.

L’élection présidentielle a cependant révélé l’ampleur des problèmes de fond de la société guinéenne. La mobilisation électorale s’est faite en grande partie autour de l’ethnicité. Alpha Condé a remporté le second tour d’abord parce que son adversaire, l’ancien Premier ministre Cellou Dalein Diallo, s’est identifié – et s’est laissé identifier – à la communauté peule, dont le poids démographique, la puissance économique et les supposées prétentions hégémoniques ont été utilisés comme un argument pour mobiliser le vote des autres communautés. Qu’elles entrent ou non en résonance avec les luttes nationales, les tensions intercommunautaires sont fortes sur certaines scènes locales à travers le pays, notamment en Guinée forestière.

Dans une situation si complexe, les institutions politiques et électorales manquent encore de légitimité. Le processus qui a abouti à l’élection de Condé a été tendu. La méfiance était telle qu’il a fallu aller chercher un général malien pour diriger la commission électorale. Si les chefs des grands partis vaincus au premier et au second tour ont officiellement reconnu leur défaite, sauvant le pays d’une crise postélectorale immédiate, nombre de leurs partisans contestent encore la réalité de la victoire de Condé. L’élection a permis de sortir d’une longue période d’incertitudes, mais elle n’a pas contribué à rassembler la population guinéenne autour de nouvelles institutions ni à préserver l’esprit de compromis au sein des acteurs de la démocratisation.

La montée de l’ethnicité et la méfiance entre acteurs politiques sont d’autant plus inquiétantes que la transition n’est pas terminée. Manque encore la désignation de l’Assemblée nationale qui doit remplacer le Conseil national de transition. Les élections législatives devaient avoir lieu en mai 2011. Le président Condé les promet pour novembre. Une concertation entre les partis politiques et le pouvoir est indispensable pour trouver un accord sur le fichier électoral, la date des élections et la composition de la commission électorale. C’est à ce prix qu’on peut espérer contenir les tensions intercommunautaires et conjurer la menace du retour de velléités putschistes. L’impératif du dialogue politique et la nécessité d’une participation critique de la société civile n’ont pas disparu avec l’élection d’un président, fût-il un vétéran du combat pour la démocratie qui estime n’avoir de leçons à recevoir de personne. Quant à l’opposition, elle doit tourner définitivement la page de l’élection présidentielle. Est-ce trop attendre des hommes et des femmes qui ont, ensemble, sorti la Guinée de ses aventures militaires ?

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Vincent Foucher est analyste principal pour la Guinée au sein d’International Crisis Group. Gilles Olakounlé Yabi est directeur d’ICG pour l’Afrique de l’Ouest.

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