Côte d’Ivoire : la débâcle des généraux de Gbagbo

L’état-major des ex-Forces de défense et de sécurité (FDS) n’a guère le choix. Se rallier à Ouattara ou risquer des poursuites. Mais pour les « faucons », il va être difficile d’échapper à la justice.

Le président Ouattara avec les gradés qui ont fait allégeance, le 12 avril. © AFP

Le président Ouattara avec les gradés qui ont fait allégeance, le 12 avril. © AFP

Publié le 16 juin 2011 Lecture : 5 minutes.

Côte d’Ivoire : que reste-t-il du camp Gbagbo ?
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Côte d’Ivoire : que reste-t-il du camp Gbagbo ?

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« Si je tombe, vous tombez. » Quand il était au pouvoir, Laurent Gbagbo se plaisait à mettre en garde les généraux des Forces de défense et de sécurité (FDS). Sept semaines après la chute de l’ancien président, certains l’ont suivi, d’autres ont trébuché. À Cocody, le bâtiment qui abritait le quartier général du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos, l’unité d’élite) est désert. Seul un soldat des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) monte la garde. Avec son tee-shirt délavé à l’effigie de Che Guevara et ses chaussures en caoutchouc, il n’a rien à voir avec ces hommes fiers et lourdement armés, aux treillis neufs coupés sur mesure, qui pilotaient leurs 4×4 à tombeaux ouverts dans les rues d’Abidjan.

Le Cecos, qui surveillait le périmètre de la résidence présidentielle, est tombé le 11 avril, le même jour que Laurent Gbagbo. Son commandant, le tout-puissant général Guiai Bi Poin, a attendu deux jours avant de se présenter au Golf Hôtel et faire allégeance à Ouattara. Aujourd’hui, il paie cher ses atermoiements : début mai, le Premier ministre et ministre de la Défense, Guillaume Soro, a demandé au procureur militaire de diligenter une enquête sur les violences post-électorales. Cinquante-deux militaires, gendarmes, policiers sont visés. Que des proches de Laurent Gbagbo. Parmi eux, Guiai Bi Poin. Relâché, l’homme est néanmoins en sursis.

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On ignore en revanche si cette enquête vise le chef d’état-major des armées, le général Philippe Mangou (lire encadré ci-dessous). Mais une chose est sûre : il a prêté serment à Ouattara, le 11 avril. Il est libre de ses mouvements. Et le 21 mai, lors de l’investiture d’Alassane Ouattara à Yamoussoukro, le galonné était bien visible au côté de son alter ego des ex-Forces armées des Forces nouvelles (FAFN), le général Soumaïla Bakayoko, juste derrière le nouveau président à bord de son command-car.

D’autres se font en revanche plus discrets. Parmi les portés disparus depuis le 11 avril figurent le vice-amiral Vagba Faussignaux, commandant de la marine nationale, et le capitaine Boniface Konan, de l’unité spéciale des fusiliers marins commandos, qui a farouchement mené la bataille d’Abidjan depuis le palais présidentiel, au Plateau. « Faussignaux a été blessé le 11 avril et se trouve actuellement dans une clinique. Il est sous le contrôle des FRCI », affirme Alain Lobognon, conseiller en communication du Premier ministre. Quant à Boniface Konan, il est en fuite, mais « réside au Ghana depuis le 11 avril », toujours selon Alain Lobognon. Et les rumeurs vont bon train : Konan préparerait un coup d’État depuis son exil. D’autres le situent en Angola, où il chercherait à recruter des mercenaires. Joint par téléphone, l’intéressé confirme être à Accra, mais dénonce des « informations totalement infondées ». « Ceux qui portent des accusations devraient au moins apporter des preuves », martèle-t-il. Sur les négociations en cours avec les nouvelles autorités qui lui permettraient de rentrer en Côte d’Ivoire : « Je suis un soldat, donc soumis au droit de réserve. »

Le très craint général Dogbo Blé aurait sans doute préféré goûter au charme de l’exil. Trois jours après l’arrestation de Laurent Gbagbo, le patron de la garde républicaine a été interpellé à Abidjan par les FRCI. La dernière image publique de lui : menotté, un visage tuméfié, portant un pyjama et encadré par ses geôliers au Golf Hôtel. Il est, depuis, détenu à la Compagnie territoriale de Korhogo (Nord), dans le fief du non moins craint Fofié Kouakou, l’un des commandants des ex-Forces nouvelles.

Quant au colonel major Nathanael Brouaha Ehouman, commandant du Groupement de la sécurité présidentielle (GSPR), il s’était retranché dans son village natal du sud-ouest du pays, avec un groupe de combattants. Mais, selon le capitaine Raoul Alla Kouakou, porte-parole militaire de Guillaume Soro, il aurait été tué « par les mercenaires libériens ». Plus tacticien, Jean-Noël Abéhi, commandant de l’escadron blindé de la gendarmerie basé au camp d’Agban d’Abidjan (l’un des derniers bastions de Gbagbo), s’est terré plus d’un mois avant d’apparaître, au Golf Hôtel, le 16 mai dernier, au côté de Charles Konan Banny, le président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation.

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D’autres ont opté pour un ralliement beaucoup plus précoce. C’est le cas du respecté général Détoh Letoh, commandant des Forces terrestres. Il a rejoint les FRCI durant les combats, entraînant ses hommes (bataillons d’artillerie et d’infanterie, blindés, parachutistes) dans son sillage. Son soutien à Ouattara a bouleversé les plans de Gbagbo et contraint ce dernier à ne compter que sur des unités spéciales et, surtout, des paramilitaires : mercenaires étrangers ou miliciens nationaux. Le général Nicolas Kouakou, commandant du Centre de commandement intégré (CCI), fait lui aussi partie des premiers convertis. Il est actuellement un élément essentiel des FRCI et a pour mission de rebâtir la nouvelle armée. De même, le général Édouard Kassaraté Tiapé et l’inspecteur général Brédou M’Bia, respectivement commandant de la gendarmerie et directeur général de la police, continuent de diriger leurs troupes, après avoir rallié les FRCI, peu avant la chute de Gbagbo. En attendant une recomposition de la hiérarchie d’une nouvelle armée unifiée, ils demeurent à leurs postes et jouissent de la confiance du commandant suprême, le président Alassane Ouattara.

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Mangou "Putsché" au camp Gallieni

Le 4×4 du chef d’état-major des armées est toujours garé au camp Gallieni, dans le quartier du Plateau. Seulement voilà : sur le pare-chocs, à la place des trois étoiles du général de division, il n’y en a désormais que deux, celles d’un général de brigade.

C’est un fait : le général de division Philippe Mangou a été renversé, sans autre forme de procès, par le général de brigade Soumaïla Bakayoko, chef d’état-major des ex-FAFN. Au lendemain de la chute de Gbagbo, Bakayoko a transféré ses bureaux de Bouaké à Abidjan. Il aurait pu choisir n’importe quel camp militaire d’Abidjan. Son choix s’est porté sur le camp Gallieni. Et dans ce vaste camp d’une dizaine de bâtiments, il aurait pu, à l’instar de Chérif Ousmane, l’ex-comzone de Bouaké, choisir n’importe quel bureau, mais il a préféré celui de Philippe Mangou. Ce dernier est donc un chef d’état-major sans bureau, assis sur un fauteuil très éjectable et, du reste, déjà occupé. Le message est clair : les FAFN ont gagné la guerre. Et les vainqueurs entendent bien le faire comprendre aux vaincus.

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André Silver Konan, à Abidjan

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