États-Unis – Pakistan : vers un divorce pour faute ?
Tirs de missiles sur son territoire, envoi d’un commando pour liquider Ben Laden… Trop, c’est trop. Le Pakistan se rebiffe. Alors que le vieux couple qu’il formait avec les États-Unis bat de l’aile, il pourrait être tenté de convoler avec Pékin.
Les gouvernements américain et pakistanais semblent se diriger tout droit vers un divorce. Leurs objectifs sont tellement divergents et leur méfiance réciproque est si forte que le Pakistan pourrait envisager de sortir de l’orbite américaine pour entrer dans celle de la Chine.
La décision des États-Unis d’envoyer un commando en territoire pakistanais afin d’éliminer Oussama Ben Laden sans en informer Islamabad ni demander son aide a sans doute été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Les dirigeants pakistanais sont furieux. Ashfaq Kayani, le chef d’état-major, a déclaré que toute autre action à venir « qui violerait la souveraineté du Pakistan » inciterait son pays à revoir entièrement sa coopération militaire avec Washington.
Base navale. Lors de sa visite à Pékin, en mai, le Premier ministre, Yousuf Raza Gilani, n’a pas tari d’éloges sur la Chine, « source d’inspiration pour les Pakistanais ». En plus de leur coopération dans de nombreux domaines (économique, militaire, nucléaire civil…), le Pakistan souhaite que la Chine construise une base navale à Gwadar, dans la province du Baloutchistan (Sud-Ouest), et y maintienne une présence permanente. Cette annonce a alarmé les États-Unis, mais aussi l’Inde, la Malaisie et l’Indonésie. La secrétaire d’État Hillary Clinton s’est empressée de se rendre au Pakistan le 27 mai afin d’arrondir les angles – sans grand succès apparemment. La polémique autour de la mort de Ben Laden n’est en effet que le dernier avatar d’une longue série de malentendus.
Les missiles lancés depuis des drones contre des « cibles terroristes » sur le sol pakistanais font inévitablement des victimes civiles, ce qui attise un antiaméricanisme virulent. Le Parlement d’Islamabad a dénoncé ces frappes qui violent la souveraineté nationale et exigé leur arrêt. Quelques parlementaires ont déclaré que leur pays couperait les lignes de ravitaillement des forces américaines en Afghanistan si ces attaques ne cessaient pas.
L’hostilité envers l’Amérique a atteint son paroxysme le 27 janvier lorsque Raymond Davis, un agent de la CIA, a abattu deux Pakistanais en pleine rue à Lahore. L’opinion publique voulait le faire pendre. Ce n’est qu’au prix de grandes difficultés que Washington a réussi à obtenir sa libération. Au Pakistan, on s’est mis à soupçonner les Américains d’infiltrer secrètement toute une armée dans le pays pour combattre les islamistes, et l’état-major a même exigé que les États-Unis réduisent leur présence militaire. Les relations entre la CIA et l’Inter-Services Intelligence (ISI), dirigé par le lieutenant-général Ahmed Shuja Pasha, sont, dit-on, très tendues.
Le dossier afghan est au cœur du différend. Non contents d’avoir éliminé Ben Laden, les Américains veulent traquer les membres d’Al-Qaïda et autres groupes djihadistes de l’Afghanistan au Pakistan en passant par le Yémen. Obsédés par le péril terroriste, ils sont incapables d’admettre que l’hostilité arabe et musulmane à leur égard est due à leurs guerres en Irak, en Afghanistan et au Pakistan, qui ont fait de nombreuses victimes civiles, ainsi qu’à leur soutien sans faille à Israël.
Soupçonnant le Pakistan d’être complice des djihadistes, les États-Unis le poussent à s’associer à leurs campagnes antiterroristes. Ils aimeraient qu’il cesse toute relation avec le mollah Omar, le chef spirituel des talibans afghans, avec le réseau de Jalaluddin Haqqani et avec le Lashkar-e-Taïba, un groupe pakistanais qui aurait perpétré les terribles attentats de Bombay en 2008.
Le Pakistan voit les choses d’une tout autre manière. Créé comme un refuge pour les Indiens musulmans après le partage du sous-continent en 1947, il se sent menacé en permanence – surtout par l’Inde. De nombreux responsables politiques considèrent que le maintien de liens étroits avec les talibans et d’autres réseaux afghans radicaux est d’intérêt national, car ces groupes seront des alliés précieux une fois les forces américaines parties (leur retrait doit commencer en juillet).
Traumatisé. Islamabad entend exercer une tutelle sur l’Afghanistan pour deux raisons. Premièrement, pour éviter la création d’un « Grand Pachtounistan » à cheval sur la frontière, qui lui ferait perdre sa Province de la Frontière du Nord-Ouest (PFNO), à majorité pachtoune. Encore traumatisé par la perte du Cachemire au profit de l’Inde durant la guerre de 1947-1948, puis de la région est du pays – devenue le Bangladesh – lors du conflit de 1971, le Pakistan redoute de nouvelles amputations de territoire. Au lieu de le pousser à rompre avec les groupes terroristes, les États-Unis feraient mieux de calmer ses peurs en pressant l’Inde de résoudre le conflit du Cachemire.
La seconde raison pour laquelle Islamabad est déterminé à garder l’Afghanistan dans son giron est de l’empêcher de tomber sous l’influence de l’Inde. Avec ce territoire, le Pakistan, qui redoute l’encerclement, se dote d’une « profondeur stratégique ». Très suspicieux, il considère de surcroît que l’Amérique n’est pas un partenaire fidèle et qu’elle abandonne ses alliés dès qu’ils cessent de lui être utiles. Tout au long des années 1980, avec l’aide du Pakistan et le financement de l’Arabie saoudite, les États-Unis ont recruté, armé et entraîné des dizaines de milliers de volontaires musulmans pour combattre les Soviétiques en Afghanistan. Mais après le retrait de l’URSS en 1989, ils ont abandonné ces moudjahidine à leur sort. Certains n’étaient pas les bienvenus dans leur propre pays. Ben Laden les a alors recrutés au sein d’Al-Qaïda.
Paradoxalement, le Pakistan, pressé par les Américains de combattre les extrémistes islamistes – sur son territoire et en Afghanistan – en a payé le prix fort. Non seulement ces opérations lui ont été très coûteuses en vies humaines et sur le plan financier, mais elles lui ont attiré la vindicte vengeresse de groupes tels que le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), qui multiplient les attentats-suicides. La sécurité intérieure du Pakistan est désormais en péril, et son économie en très piteux état.
Les États-Unis accordent au Pakistan, qui compte 180 millions d’habitants, une aide annuelle de 3 milliards de dollars : c’est moins que ce qu’ils donnent à Israël, avec une population de 7 millions d’habitants. Il n’est guère étonnant, dans ces conditions, que les dirigeants pakistanais en soient venus à penser que leur pays se porterait mieux sans « l’amitié » de cet encombrant allié.
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