« Les racines du yucca » ou l’errance d’un auteur tchadien au Mexique

Les péripéties mexicaines d’un écrivain allergique… au papier. Sous des airs de farce, l’auteur tchadien signe « Les racines du yucca », un roman magistral sur l’errance.

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Publié le 11 juin 2011 Lecture : 3 minutes.

La brève biographie de l’auteur, au dos du livre, est plus éloquente qu’il n’y paraît : « Né au Tchad en 1959, Koulsy Lamko a quitté son pays en 1983, pendant la guerre civile. Il a vécu au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Togo, puis en France, au Rwanda, et actuellement au Mexique. » Si l’on voulait dire en quelques lignes qu’un homme est la somme de ses origines et de ses errances, l’on ne s’y prendrait pas mieux. L’intéressé, lui, file ce portrait de l’exil sur près de 300 pages. Et d’une manière autrement plus enlevée.

Au départ, c’est l’histoire d’un écrivain africain atteint d’un mal plutôt incommodant eu égard à sa profession : une allergie… au papier. À México, où il vit, son étiothérapeute lui conseille : « Voyage. Sors d’ici, éloigne-toi de cette ville trop chargée. » Direction un village de réfugiés guatémaltèques dans le Yucatán. Sa mission : animer des ateliers d’écriture pour des rescapés qui n’ont connu que la guerre et l’exil. Pour ce natif du « Gadjbisland » – contrée imaginaire inventée par Lamko et que le narrateur surnomme « mon pays de merde que j’adore » –, l’excursion prescrite sera à coup sûr jalonnée de rencontres avec les démons du passé…

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Négritude et migritude

De fait, c’est un voyage intérieur aussi riche de péripéties que de souvenirs et de digressions que déroule l’auteur. D’une plume enveloppante, le poète et dramaturge tchadien, dont c’est le deuxième roman après La Phalène des collines (2002), parle d’abord de la terre. Celle des racines, dont le personnage reçoit l’appel : « Voix intérieure qui vous taquine, vous engourdit, soulève en vous rumeurs de mémoire et insoutenable nostalgie. Voix sourde diffusant l’idylle des jours d’enfance, les mélodies d’églogues, les chants nocturnes des revenants, le cor du bubale. » Celle à laquelle on a été arraché, et puis celle, aussi, à laquelle on a été greffé, tel le yucca dont il suffit que la tige « rencontre l’humus de la terre pour que toute la plante revive ».

Les Racines du yucca constituent un dialogue entre les notions inextricablement liées de terre et d’exil, Lamko conjuguant à merveille négritude et « migritude ». Du mouvement de Senghor et de Césaire, il fait sienne la nécessité de s’intégrer au monde et à la nature plutôt que de les dominer, qu’on soit nègre du Gadjbisland ou maya du Guatemala.  Caractéristique du concept forgé par l’universitaire français Jacques Chevrier, sa prose n’est pas sans rappeler le lyrisme de l’écrivain haïtien Dany Laferrière (L’Énigme du retour, 2009).

"Initiative de déconstruction"

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« L’exil nous efface de la mémoire de notre terre, lentement mais sûrement, écrit l’auteur. Et le jour où l’on ose revenir au pays, y poser le pas, par hasard, pour un soleil, une lune, l’on se rend bien compte que c’est notre terre qui nous a abandonnés, nous a tourné le dos, ne nous reconnaît plus, nous a reniés. Et dire que nous nous enfermons dans l’illusion de l’avoir abandonnée ou mise en jachère pour continuer à l’aimer malgré tout… pour continuer à vivre les soubresauts de notre mort à dose homéopathique. »

Souvent, la poésie laisse place à l’humour et, parfois, à l’horreur la plus hallucinée, mise en scène de la barbarie que n’aurait pas reniée le Congolais Sony Labou Tansi (La Vie et demie, 1979). Même si Lamko cite plus volontiers « l’ancêtre Sembène Ousmane » (Les Bouts de bois de Dieu, 1960) et Kateb Yacine (Nedjma, 1956). L’écrivain tchadien choisit de ne taire ni ses références ni ses procédés littéraires, qu’il détaille sous forme de mémos disséminés au cours du roman. Par exemple : « Écrire un viol ? Gros plan et plans détaillés. La crudité du verbe s’ajuste à la verdeur de la séquence. » La thérapie de l’exilé allergique au papier est racontée en toute transparence, prenant la forme d’une « initiative de déconstruction » au fil de laquelle Lamko entend disséquer la vanité et la vacuité de toute tentative d’écriture. C’est bien là le seul point sur lequel il ne nous aura pas convaincus. 

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