Émissions obligataires : la dette fait recette

Gabon, Ghana, Nigeria… et tout récemment Sénégal. Les États africains commencent à faire appel aux marchés internationaux pour financer leurs économies. Et avec succès.

L’emprunt lancé par Dakar permettra notamment de financer la construction d’infrastructures routiè © Jules Domingo/Apa

L’emprunt lancé par Dakar permettra notamment de financer la construction d’infrastructures routiè © Jules Domingo/Apa

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 10 juin 2011 Lecture : 4 minutes.

Seulement dix jours d’une tournée marketing en Suisse, aux États-Unis et au Royaume-Uni ont suffi au Sénégal pour recueillir, début mai, 2,4 milliards de dollars (1,7 milliard d’euros) d’intentions de souscription à son emprunt obligataire… de 500 millions de dollars. Une cinquantaine d’investisseurs étaient ainsi prêts à débourser près de cinq fois le montant recherché par le pays pour financer, notamment, la construction de ses infrastructures. Dans le jargon financier, un tel engouement s’appelle une « oversubscription ». D’après Paul-Harry Aithnard, directeur recherche d’Ecobank Capital, « au cours des quatre dernières années, toutes les autres émissions obligataires d’États africains sur les marchés internationaux ont rencontré le même succès ».

Le taux de rendement des obligations est nettement plus élevé sur le continent qu’en Occident.

Si pour des pays d’Afrique australe comme la Namibie ou le Botswana ce type d’opération est pratiqué depuis plusieurs décennies, dans l’ouest et le centre du continent, la levée de fonds sur les marchés financiers occidentaux, généralement à Londres, est plus récente. Avant le Sénégal, le Nigeria a émis avec succès, en janvier, un emprunt de 500 millions de dollars. Le premier producteur d’or noir d’Afrique subsaharienne avait été précédé en 2007 par le Ghana et le Gabon, qui ont mobilisé respectivement 750 millions et 1 milliard de dollars.

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Solvabilité croissante

D’ici à la fin de juin, le Kenya prévoit de leur emboîter le pas. Objectif : 500 millions de dollars. Et d’autres États africains suivront certainement au cours des mois et des années à venir, tant la volonté des investisseurs étrangers de détenir dans leur portefeuille des actifs africains est grande. Les raisons ? D’abord, le rendement des obligations africaines, nettement plus élevé (6 % en moyenne) que pour celles des pays occidentaux (autour de 2 %). Ensuite, la solvabilité sans cesse croissante de la plupart des États du continent.

Et sur les marchés locaux ?

Les pays africains sont nombreux à lever des fonds sur les marchés locaux ou sous-régionaux. En Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, les annonces se sont ainsi multipliées ces derniers mois. Après le Cameroun, qui a réussi à mobiliser 200 milliards de F CFA (305 millions d’euros), fin 2010, à la Bourse des valeurs mobilières de l’Afrique centrale, le Tchad s’apprête à émettre un emprunt obligataire de 100 milliards de F CFA pour financer des projets structurants. L’avantage des opérations locales, c’est qu’elles permettent aux États d’approfondir leur marché domestique et ainsi de servir de référence aux entreprises locales, qui pourront solliciter à leur tour le marché. Pour ce faire, ils élargissent la base des investisseurs nationaux, laquelle est pour l’heure essentiellement constituée de banques locales.

En fait, grâce à la restructuration de leur dette dans les années 1990 et à l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), ayant conduit à un effacement partiel ou total de leurs ardoises, la plupart des économies africaines disposent à nouveau d’une plus grande capacité d’endettement. Leur taux d’endettement se situe entre 30 % et 40 % du PIB (contre plus de 115 % pour l’Italie et la Grèce). Et, outre l’intérêt des investisseurs étrangers, les pays eux-mêmes ont compris que, pour mieux soutenir leur développement, il leur fallait recourir à des modes d’endettement plus flexibles que les prêts concessionnels, généralement négociés avec des institutions multi- ou bilatérales.

Reste que, pour l’heure, ils sont très peu nombreux à avoir la possibilité de solliciter les marchés internationaux, la démarche étant conditionnée par l’obtention d’une note attribuée par les agences internationales (Moody’s, Standard & Poor’s, Fitch Ratings…). « Le coût du financement des études permettant l’obtention de ces notes [de 250 000 à 750 000 dollars, NDLR] de même que la méconnaissance de l’intérêt d’être noté font que certains pays sont réticents », relève Kodeidja Diallo, directrice du département finance et risque de la Banque africaine de développement.

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Revers de la médaille

Allant de AAA+, la meilleure, à D, la pire, ces notes tiennent compte de la stabilité politique, du taux d’endettement, des ressources naturelles et des perspectives de croissance des pays, et permettent aux banques d’affaires qui conseillent les États de fixer les taux d’intérêts. Ainsi, en 2007, le Gabon s’est vu attribuer la note BB– pour le long terme et B pour le court terme par deux agences, ce qui lui a permis d’émettre son emprunt à un taux de 8,2 %. De son côté, le Sénégal, dont la note à long terme est B et B+ à court terme, a proposé, sur l’avis de JP Morgan, un taux d’intérêt de 8,75 % pour les 500 millions de dollars empruntés.

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Mais si aller sur les marchés financiers internationaux a l’avantage de permettre aux États de lever des montants élevés, de leur donner une certaine crédibilité et d’aider à attirer plus d’investissements directs étrangers, le revers de la médaille existe. Selon Paul-Harry Aithnard, « émettre des obligations en devises étrangères signifie qu’à chaque échéance le pays fait face à un risque de change ». Par exemple le Sénégal, dont les recettes sont calculées en francs CFA, pourrait être confronté au moment du remboursement à un dollar fort. À cela il faut ajouter le risque de tomber dans l’escarcelle des fonds spéculatifs, qui comptent parmi les principaux acheteurs des obligations des États africains. 

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