Arnaud Montebourg : « De Mitterrand à Sarkozy, rien n’a changé »

Membre de l’aile gauche du PS, il est candidat à la primaire pour la présidentielle de 2012. Comment juge-t-il la politique de la France en Afrique, continent pour lequel il nourrit un tropisme prononcé ?

Arnaud Montebourg au siège de Jeune Afrique, le 11 mai. © Vincent Fournier/J.A.

Arnaud Montebourg au siège de Jeune Afrique, le 11 mai. © Vincent Fournier/J.A.

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Publié le 8 juin 2011 Lecture : 6 minutes.

Le chevalier blanc du PS a perdu en chemin le seul adversaire qu’il rêvait d’affronter lors du tournoi de la primaire, mais il reste en lice. Dominique Strauss-Kahn out, Arnaud Montebourg, 48 ans, ira, dit-il, « jusqu’au bout » dans son combat de candidat à la candidature socialiste pour l’Élysée 2012, même s’il sait que rares sont ceux qui lui accordent une chance sérieuse de l’emporter. Député depuis quatorze ans, celui qui incarne au bureau national du parti l’aile la plus à gauche n’aime rien tant que ces chevauchées solitaires où son charme, son charisme de bête de scène, son talent d’avocat et ses positions tranchées font parfois sourire mais ne laissent jamais indifférent. Grand admirateur de Barack Obama, compagnon de la journaliste Audrey Pulvar et proche de la députée de Guyane Christiane Taubira, Arnaud Montebourg nourrit pour l’Afrique un tropisme prononcé. Ami du nouveau président nigérien, Mahamadou Issoufou, fier du sang algérien qui coule dans ses veines – sa mère, née Ould Cadi, est issue d’une famille de bachagas de la région d’Oran –, il est venu rendre visite à Jeune Afrique de retour de Tunis, au lendemain d’une révolution dont, dit-il, « les Français ont beaucoup à apprendre et à retenir ». F.S.

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Jeune Afrique : Quelle est votre réaction à l’affaire DSK ? Martine Aubry, la première secrétaire du Parti socialiste, a parlé d’un « coup de tonnerre »…

Arnaud Montebourg : Ce n’est pas un coup de tonnerre, car il n’y a pas de conséquence politique. Il s’agit d’une affaire judiciaire privée, personnelle, et le PS a les ressources pour rebondir. Pour le reste, les candidatures à la primaire de François Hollande et de Martine Aubry sont logiques. Elles sont, l’une et l’autre, des candidatures de gestion du système. Elles ne visent pas à sa transformation.

Vous faites figure d’outsider. Comment exister face à ces deux poids lourds que sont Aubry et Hollande ?

Il n’y a pas de divergences entre eux. Ils sont d’accord sur la manière de conserver le pouvoir. Or le vieux socialisme et la social-démocratie de l’ajustement et de l’adaptation à la mondialisation ont échoué. La redistribution est impuissante face aux marchés. La politique et la République doivent être les plus fortes. Je n’ai aucune raison de penser que mes idées ne soient pas au premier plan du débat présidentiel. Obama, Clinton et Zapatero ont été, eux aussi, des outsiders…

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Irez-vous au bout de la primaire ?

Bien sûr. Je suis le seul candidat affirmant qu’il n’est plus possible de construire la France nouvelle sur d’anciennes idées. Un nouveau modèle, celui de l’après-crise, doit être inventé pour organiser le « vivre ensemble ». Au lieu de cela, nous prenons le chemin d’une guerre civile de basse intensité sur des querelles identitaires. Il est urgent de réconcilier tous les Français. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’une révolution démocratique. C’est la VIe République que je défends.

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En Europe, le système financier opprime les citoyens et les contribuables. La politique d’austérité que le FMI et l’UE ont imposée au Portugal, à la Grèce et à l’Irlande est une très grave erreur. Elle a conduit à une glaciation salariale et à une réduction des dépenses publiques. Cela relève de la saignée pratiquée par des médecins de guerre, alors que nous avons dépensé 4 589 milliards d’euros depuis 2008 pour sauver les banques, qui, aujourd’hui, spéculent contre nos États ! Il n’y a plus d’argent dans les caisses et l’épargne des ménages a fondu comme neige au soleil. Le seul endroit où il reste de l’argent, ce sont les entreprises transnationales, qui distribuent de confortables dividendes à leurs actionnaires.

Durant les vingt dernières années de la mondialisation, il y a eu des gagnants et des perdants. L’Afrique fait partie des perdants, et l’Europe a un résultat mitigé. Nous avons donc intérêt à nouer une alliance pour organiser la modération de ce système dérégulé, dangereux, et extrémiste. C’est la « démondialisation ».

Quel regard portez-vous sur la politique africaine de la France ?

Le discours de Cancún [prononcé en 1981 par François Mitterrand, NDLR] est resté sans suite en Afrique. Depuis, la France a continué de soutenir à bout de bras des régimes autoritaires. Elle n’a pas contribué à la construction d’États de droit et a participé au partage du butin de la corruption : le butin françafricain. Elle a donc une lourde responsabilité dans le sous-développement du continent et son retard dans le processus de démocratisation. À chaque élection présidentielle, on promet la rupture, mais c’est la continuité qui l’emporte. De Mitterrand à Sarkozy, rien n’a changé.

Les interventions en Côte d’Ivoire et en Libye sont donc une erreur ?

Ce ne sont pas des interventions françaises, mais des décisions de la communauté internationale. C’est d’ailleurs une très bonne leçon à retenir : quand la France n’agit pas seule, elle fait figure d’avant-garde éclairée. Mais quand nous sommes dans le bilatéral, nous retombons dans les errements du passé.

Pourquoi l’Internationale socialiste et le PS français ont-ils mis si longtemps à se démarquer de Laurent Gbagbo ?

D’abord, une remarque : le PS n’est pas le gendarme de l’Internationale socialiste, où il ne dispose que d’une seule voix. Pour le reste, on peut très bien soutenir Gbagbo pendant la campagne électorale, puis estimer qu’il est normal de le chasser du pouvoir par la force s’il refuse d’admettre sa défaite. C’est la position du PS. Pour ma part, j’irai plus loin : je n’ai jamais approuvé la manière dont Gbagbo a ethnicisé le débat électoral. Je préfère, de loin, l’exemple du Niger : après le putsch d’octobre 2010, les programmes politiques pour l’élection présidentielle du mois de mars ont été plus forts que les appartenances ethniques.

N’avez-vous pas d’états d’âme concernant l’intervention militaire en Libye ?

Non, car elle s’inscrit dans le cadre strict de la résolution 1973, qui organise la protection d’une population. Ce n’est pas une stratégie d’éviction du pouvoir du colonel Kadhafi. Si tel avait été le cas, la résolution n’aurait jamais été votée. Cela dit, la volonté d’imposer la démocratie par les armes – et, de surcroît, par une coalition considérée comme un outil impérial – aboutit toujours au contraire du résultat recherché. De ce point de vue, la position de l’Union africaine, qui préconise une solution politique et négociée, est la plus raisonnable : privilégions la diplomatie puisqu’un rapport de force a été créé.

La révolution en Tunisie est menacée ?

Il faut d’abord comprendre la sociologie de cette révolution sans leader. Chacun porte en soi cette conscience révolutionnaire, d’où l’absence de confiance dans le système politique qui a survécu, la grande méfiance dans celui qui pourrait naître et la crainte d’un rapt de la révolution.

Dans ces conditions, le risque tient à l’incapacité de l’ensemble de la classe politique à structurer un débat national, laissant ainsi un espace au parti islamiste Ennahdha, qui pourrait devenir la première force du pays – l’idéal révolutionnaire se transformant alors en victoire électorale islamiste. Malgré ses efforts de présentation, Rached Ghannouchi n’est pas un modéré. Sur le terrain, ses troupes cherchent à voiler les femmes et à remettre en question les acquis de la modernité, héritage de l’ère Bourguiba. Le salafisme est à l’œuvre en Tunisie. C’est là la vraie menace.

Que faire face à la vague migratoire ?

D’abord, la relativiser. La Tunisie, dont la croissance est nulle, a accueilli 250 000 réfugiés venus de Libye ! Ce n’est donc pas 3 000 Tunisiens arrivés à Vintimille qui devraient effrayer 64 millions de Français. Il est tout à fait possible d’imaginer un accueil temporaire de ressortissants tunisiens. D’ailleurs, un accord bilatéral prévoit l’entrée de 9 000 Tunisiens par an. Nous avons de la marge. Au nom des valeurs communes, la France doit soutenir et aider la Tunisie.

Quel regard portez-vous sur la situation en Algérie et au Maroc ?

Ayant pris conscience des soubassements économiques et sociaux des révolutions arabes, le pouvoir algérien lâche du lest. Mais la question du partage de la rente pétrolière n’est pas réglée et la transition démocratique reste à mener. La France doit tenir à l’égard de l’Algérie un discours amical, mais de fermeté : il faut faire la révolution avec le peuple. Quant au Maroc, il semble se diriger vers une monarchie constitutionnelle, grâce aux réformes engagées par le roi. Déjà, avec l’Instance Équité et Réconciliation, Mohammed VI avait eu l’intelligence de dire les choses sans rouvrir les plaies. À présent, il répond aux aspirations. Cela suffira-t-il ? Le peuple tranchera, quand il sera consulté.

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Propos recueillis par François Soudan et Philippe Perdrix

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