Zimbabwe : pieds et poings liés

C’est dans sa résidence de Harare que le Premier ministre zimbabwéen, Morgan Tsvangirai, a reçu le journaliste Alec Russel. L’occasion d’évoquer l’improbable attelage qu’il forme avec le chef de l’État. Rencontre.

Le Premier ministre zumbabwéen Morgan Tsvangirai. © AP

Le Premier ministre zumbabwéen Morgan Tsvangirai. © AP

Publié le 8 juin 2011 Lecture : 5 minutes.

Seul le chant des cigales emplit le silence de cette fin d’après-midi, quand un bruit de moteur se fait entendre. Le garde à l’extérieur de la résidence du Premier ministre se retourne brusquement lorsqu’une voiture apparaît au bout de la route. Il scrute la pénombre naissante, puis se détend. Ce n’est que Luke, le porte-parole de Morgan Tsvangirai. Paranoïa ? Sans doute. Mais il n’y a pas beaucoup de pays où l’on vous fait comprendre qu’il serait mieux de ne dire ni à la police ni aux services de l’immigration que vous êtes venu rencontrer le chef du gouvernement.

Je patiente dans le jardin en attendant de prendre un apéritif avec Tsvangirai. J’ai dû renoncer à l’idée de dîner au Meikles, ce vieil hôtel lugubre du centre-ville de la capitale zimbabwéenne, ou au Harare Club. Y rencontrer le Premier ministre est devenu impossible dans un contexte politique troublé. Après deux ans d’une trêve relative entre la Zanu-PF du président Robert Mugabe et le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) de Tsvangirai, les gros bras du chef de l’État ont recommencé à intimider les électeurs : un scrutin présidentiel pourrait avoir lieu en milieu d’année.

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Alors que je m’installe dans son bureau, mon regard est attiré par une vieille affiche des élections de 2008, accrochée au mur. Il y est en photo, souriant, détendu, plein d’énergie. Nous évoquons l’accueil enthousiaste que nous avions reçu lors d’une tournée dans l’un des fiefs de la Zanu-PF. Sur la table en face de lui, un iPad et un exemplaire des Mémoires de Tony Blair. Nous échangeons nos expériences de nouveaux utilisateurs d’Apple et partageons nos impressions sur les leçons de l’ancien Premier ministre britannique. « Les hommes politiques sont les mêmes partout », glousse Tsvangirai. Les relations entre Tony Blair et Gordon Brown, son chancelier de l’Échiquier qui lui a succédé au poste de Premier ministre, s’étaient en effet envenimées. Mais, comparés au président zimbabwéen et à son chef de gouvernement, ils étaient comme des frères de sang.

Vieux ennemis

Ce mardi, Tsvangirai a passé la plus grande partie de la journée en Conseil des ministres, assis à côté de Mugabe, dont les partisans ont, durant dix ans, essayé d’anéantir le MDC. Je fronce les sourcils. Ne sont-ils pas de vieux ennemis ? Tsvangirai rit de nouveau. « Si vous entriez dans la pièce, vous ne sauriez pas qui était qui, le MDC ou la Zanu-PF. Sur les sièges, on a la Zanu-PF, le MDC, la Zanu-PF, le MDC… et [Mugabe] et moi, nous dirigeons. » C’est une image charmante, mais pas vraiment convaincante.

Je lui raconte mon déjeuner avec un homme d’affaires zimbabwéen, militant du MDC, qui, d’un air sombre, m’a affirmé que, si l’on pouvait organiser des élections libres, le MDC obtiendrait 90 % des voix, mais que cela n’arriverait jamais. « C’est plutôt pessimiste », rétorque Tsvangirai. Et de citer les organisations sous-régionales qui, en principe, doivent s’assurer du bon déroulement des prochains scrutins. Je lui réponds en mentionnant la lâcheté de certains chefs d’État à l’égard de Mugabe lorsque lui et son parti ont officiellement remporté quatre élections entre 2000 et 2008. « Les gens sont sceptiques parce que nos élections ont souvent été entachées de violence, dit-il. Ils souhaitent un changement soudain, comme un café instantané, mais nous avons choisi un chemin d’évolution, pas de révolution, et l’évolution est parfois décevante car elle est lente. »

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Un assistant apporte des rafraîchissements sur un plateau. Le Premier ministre et moi-même optons pour un Coca-Cola. J’interroge : à l’heure où, ailleurs, des régimes s’effondrent, pourquoi n’y a-t-il pas de révolution au Zimbabwe ? Les militants du MDC ne pensent-ils pas que la coalition gouvernementale est une erreur ? Sa réponse est claire : le Zimbabwe a eu sa guerre d’indépendance ; les négociations sont préférables aux hostilités.

En dix ans, les nervis de la Zanu-PF ont tué des centaines de militants du MDC. Tsvangirai lui-même a été battu il y a quatre ans. Comment voit-il Mugabe après avoir été si souvent avec lui ? « Je pense qu’il est insensible, dit-il. Mais vous savez quoi ? Il est humain après tout. Il est très humain. Il a deux facettes : Mugabe le héros [révolutionnaire] et Mugabe le méchant… » Et comment va-t-il (la rumeur le dit atteint d’un cancer de la prostate) ? A-t-il toujours l’esprit vif ? « Toujours… Sauf quand il dort. » Le chef de l’État s’assoupit-il parfois en Conseil des ministres ? Tsvangirai sent qu’il en a trop dit et laisse ma question sans réponse.

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Nous abordons des thèmes plus concrets. Mugabe fait la promotion d’une loi obligeant les investisseurs étrangers à céder 51 % de leur part aux hommes d’affaires locaux. Les investisseurs craignent que les autorités ne se remettent à exproprier les Blancs, comme lors de la réforme agraire en 2000. Tsvangirai est clair. « Nous ne voulons pas la saisie des propriétés des autres. Les 51 % sont une erreur. Qui va venir si nous faisons cela ? »

Diamants

Il soutient que les sanctions internationales contre Mugabe et son élite devraient être levées, parce que l’intéressé s’en sert comme un puissant argument politique. Il évoque ensuite un autre scandale politique : le vol, par des fonctionnaires, de dizaines de millions de dollars sur les taxes prélevées sur l’exploitation des diamants. Il promet contrôle et transparence. Belles paroles, mais qui contrôlera les responsables de la Zanu-PF ?

Son portable sonne sans arrêt. Cette fois, c’est l’une de ses filles qui appelle. Je me souviens de la réaction d’une amie quand elle a appris que j’allais voir Tsvangirai. Elle avait les larmes aux yeux en me racontant comment sa femme, Susan, avait été tuée dans un accident de voiture en mars 2009. « Cela a été un vrai choc, me confie-t-il. Mais on finit par vivre avec. »

Le soleil s’est couché depuis longtemps. Nous allons dans la salle de bains, où l’éclairage est excellent pour une séance photos. Des clubs de golf sont appuyés contre le mur. Les détracteurs du MDC murmurent que le Premier ministre passe plus de temps sur le green qu’à se battre pour la bonne cause.

Au final, durant toutes ces années, j’aurai pris avec Tsvangirai un petit-déjeuner clandestin, un dîner dans une salle de danse à Johannesburg, et maintenant un apéritif, mais toujours pas de déjeuner officiel. S’il m’avait reçu au palais, cela aurait été le signe qu’il avait enfin réussi. Les chances d’un tel dénouement sont minces, mais Tsvangirai continue de s’opposer à Mugabe, l’homme politique le plus futé et le plus impitoyable de notre époque.

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Alec Russell ©Financial Times et Jeune Afrique 2011. Tous droits réservés.

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