RDC : opposition en désordre de bataille
Pour l’instant incapables de s’entendre sur une candidature unique pour l’élection présidentielle, les adversaires de Joseph Kabila font le jeu du pouvoir. Mais dans un scrutin à un seul tour, leurs ambitions personnelles pourraient leur coûter cher.
À première vue, les choses se présentent bien pour Joseph Kabila. Le chef de l’État congolais n’a pas encore annoncé sa candidature à l’élection présidentielle, fixée au 28 novembre, mais la machine est déjà en route. Le premier coup d’accélérateur remonte au 15 janvier, lorsque la modification constitutionnelle adoptée au Parlement – mais boycottée par l’opposition – a fait passer le mode de scrutin de deux à un tour. Ajoutons à cela : la prime au sortant et l’avantage financier qui en découle ; le contrôle de l’appareil sécuritaire et administratif ainsi que la proximité avec le président de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), Daniel Ngoy Mulunda.
Originaire de la communauté balubakat du Katanga, le fief de Kabila, ce pasteur protestant figure parmi les fondateurs du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD, au pouvoir) et a fait campagne lors de la précédente présidentielle pour le chef de l’État sortant. Quel que soit le jugement porté sur son bilan, sa façon solitaire et clanique de diriger le pays, et au-delà de l’idée que l’on puisse se faire de sa popularité, le vainqueur de 2006 part donc avec une certaine avance.
Luttes de leadership. « Le boycott du 15 janvier a été une grave erreur. C’était le seul et vrai combat à mener, car en cas de second tour, une entente anti-Kabila sur l’ensemble du territoire pouvait faire très mal », explique un observateur de la vie politique congolaise. Mais, en lieu et place d’une guérilla législative, musclée et véhémente, « les velléités d’union de l’opposition se heurtent, jusqu’à présent, à des luttes de leadership, des dissensions internes et des géographies électorales concurrentes », analyse International Crisis Group (ICG) dans son dernier rapport sur la RDC (« Congo : le dilemme électoral », publié le 5 mai). En fait, on assiste à une course de vitesse menée par trois individualités persuadées d’être en mesure de contrecarrer ce qui s’apparente à la chronique d’une victoire annoncée : Étienne Tshisekedi, Vital Kamerhe et Jean-Pierre Bemba.
Au terme de trois années d’exil médical en Afrique du Sud, puis en Belgique, le premier, âgé de 79 ans, a fait son grand retour au pays, le 8 décembre dernier, après avoir annoncé dans J.A., trois mois plus tôt, sa volonté d’être candidat. « J’irai jusqu’au bout ! » avait-il déclaré. Après avoir opté pour la « chaise vide » en 2006, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), très bien implantée à Kinshasa et dans la région centrale du Kasaï (35 % des inscrits en 2006), a revu sa stratégie. Le Sphinx de Limete estime être le « candidat naturel » de l’opposition. Il est vrai que son meeting géant, le 24 avril à Kinshasa, a confirmé la popularité d’un chef charismatique, champion reconnu de la démocratie et opposant émérite du maréchal Mobutu. « Si l’élection est libre et transparente, Tshisekedi a une bonne carte à jouer. Son âge n’est pas un handicap, car pour beaucoup de Congolais, son parcours plaide en sa faveur », estime un diplomate étranger.
Mal ficelé
« Il nous faut absolument construire une alliance autour des trois forces de l’opposition pour présenter une alternative crédible. Mettons-nous autour de la table et dressons le portrait-robot du meilleur candidat », propose, pour sa part, Vital Kamerhe. Originaire du Sud-Kivu, dans le nord-est du pays, celui qui fut l’un des plus proches alliés du chef de l’État (il a été secrétaire général du PPRD et président de l’Assemblée nationale jusqu’à sa fracassante démission, en mars 2009) a définitivement coupé les ponts avec le régime. En cause, notamment, les accords « mal ficelés » avec la Chine et l’entrée des troupes rwandaises sur le sol congolais, en janvier 2009, à la suite de l’accord Kabila-Kagamé pour chasser les extrémistes hutus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) : « Une goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà plein », résume aujourd’hui Kamerhe. « L’attaquant de base et de pointe de Kabila », en 2006, s’est mis à son compte – il a créé son parti, l’Union pour la nation congolaise (UNC) –, mais se dit prêt à ouvrir le capital à d’autres associés. Il a rencontré, en août dernier, Bemba au parloir de la Cour pénale internationale (CPI), à La Haye (Pays-Bas), et s’est entretenu à plusieurs reprises avec Tshisekedi. Sa feuille de route : convoquer des états généraux de l’opposition. Tout le problème est de savoir qui décidera au final du classement de ce tiercé et quand. À défaut, Kabila pourra sans mal faire le plein de voix pendant que ses adversaires se disputeront un pactole émietté.
« Nous avons un candidat officiel et un programme soutenus par une large plateforme. Tout le reste n’est que spéculation », répond Alexis Mutanda Ngoy, le coordonnateur de campagne à l’UDPS. « Ils sont persuadés d’être les mieux placés, mais, sans nous, ils feront quoi en cas de victoire ? Ils n’ont aucune expérience gouvernementale », réplique, faussement ingénue, une proche de Kamerhe, donnant ainsi du crédit à un ticket Tshisekedi-Kamerhe, accompagné d’un accord de gouvernement, d’une juste répartition des postes ministériels et d’un pacte de non-agression pour les législatives.
Électoralement, un tel accord ferait sens : l’UDPS chassant l’Ouest, et l’UNC l’Est. Problème : autour de Tshisekedi, les barons de l’UDPS savent que les maroquins ne sont pas extensibles à l’infini et que les places seront chères. Faut-il, dans ces conditions, se pacser avec un nouveau venu qui pourrait même, le cas échéant, exiger le poste de Premier ministre ? « Je suis souple et je ne suis pas obsédé par la présidentielle. Si nous échouons sur la candidature unique, nous pouvons nous entendre pour les législatives et obtenir ainsi la majorité à l’Assemblée, forçant Kabila à une cohabitation », répond Kamerhe. C’est assez habile. L’ancien président de l’Assemblée nationale a conservé de nombreux amis dans l’hémicycle. Beaucoup devraient être réélus. Il n’empêche. Son passé pro-Kabila continue de susciter des craintes autour du « vieux », réputé inflexible.
Charisme
Vient enfin l’imbroglio au sein du Mouvement de libération du Congo (MLC), orphelin depuis l’arrestation, en mai 2008, de Jean-Pierre Bemba, poursuivi pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité après des exactions commises par ses troupes en Centrafrique, entre 2002 et 2003. « Le jugement de la CPI doit intervenir avant le 30 septembre. S’il est acquitté, on pourra donc envisager sa candidature. Et même absent, Bemba est en mesure de se lancer dans la bataille : par son charisme, il est le meilleur argument de l’opposition », lance Fidèle Babala, qui, à Kinshasa, défend la « baraque » contre l’offensive lancée par François Muamba, le secrétaire général du parti. Évincé de son poste le 18 avril pour félonie, ce dernier, natif du Kasaï, conteste une décision illégale. « Il faut constater que Bemba n’est plus là. Nous ne pouvons lier le sort du MLC au sien, déclare celui qui promet un congrès de rupture et une mise en ordre de marche pour la présidentielle. » L’affaire est devant les tribunaux.
« Quelle que soit l’issue de cette bataille, le MLC est en perte de vitesse. L’absence de leader charismatique se fait sentir », constate le fonctionnaire d’une organisation internationale qui ne croit pas un seul instant au retour au pays, dans les délais, d’un Bemba innocenté. « Le MLC paraît en déclin, concurrencé par l’émergence de Vital Kamerhe et le retour de l’opposant historique, Étienne Tshisekedi », résume ICG. Une mise hors jeu du MLC au profit de l’UDPS, qui récupère son électorat dans l’ouest du pays ? « On préfère attendre qu’ils règlent leur différend avant d’engager des discussions avec eux », répond Mutanda Ngoy. L’attente pourrait être longue. Comme souvent sur le continent – et de ce point de vue, l’immense Congo ne fait pas exception –, l’union de l’opposition est un impératif arithmétique mais une gageure politique.
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