Cuba : Raùl Castro, l’in-Fidel

Le frère du Líder Máximo est désormais le seul maître à bord. Son ambition ? « Actualiser » le castrisme.

Les frères Castro au VIe Congrès du PCC, le 19 avril 2011 à la Havane. © Enrique de la Osa/Reuters

Les frères Castro au VIe Congrès du PCC, le 19 avril 2011 à la Havane. © Enrique de la Osa/Reuters

Publié le 27 mai 2011 Lecture : 4 minutes.

« On ne peut pas remplacer un éléphant par cent lapins », aurait un jour déclaré Raúl Castro à des banquiers américains. Il faut croire que si. Depuis qu’en août 2006 le frère cadet de Fidel a pris les commandes de Cuba à la faveur des sérieux problèmes de santé auxquels le révolutionnaire en chef a été confronté, on peut même dire qu’un seul lapin suffit apparemment pour renverser les montagnes… auxquelles l’éléphant en question n’avait jamais songé à s’attaquer.

À la mi-avril, lors du VIe Congrès, Raúl a été porté à la tête du Parti communiste cubain (PCC) – il n’en était jusqu’ici, au moins officiellement, que le numéro deux. Et il a aussitôt entrepris de faire évoluer le régime en faisant adopter par les délégués près de trois cents réformes. Les plus spectaculaires ? La (relative) libéralisation de cent soixante-dix-huit activités professionnelles et la limitation de la durée des mandats politiques. « Son idée est de développer une version tropicale du modèle chinois, celui de Deng Xiaoping », expliquait, en 2007, Brian Latell, un ancien analyste de la CIA qui a écrit la première biographie de Raúl – « une énigme, selon lui, plus complexe que Fidel ». Certes, le cadet des Castro ne pouvait faire autrement : de son propre aveu, l’île est au bord du précipice. Mais il n’a jamais caché ses ambitions réformistes.

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Railleries

Hors des Caraïbes, il a longtemps suscité la moquerie. Il était le petit frère condamné à vivre dans l’ombre de son aîné. Aujourd’hui encore, certains médias occidentaux raillent cet homme « sans charisme » appelé à remplacer une légende vivante.

C’est oublier que, dans son île, l’homme, en dépit de son sourire et de son apparente jovialité, fait peur. « Raúl n’a ni l’envergure intellectuelle ni l’habileté politique de Fidel, dont il finit toujours par accepter l’avis. Mais les responsables cubains le craignent, parce qu’il est dur, difficile », expliquait en 2006 Alcibiades Hidalgo, qui fut son directeur de cabinet dans les années 1980 jusqu’à ce qu’il choisisse l’exil, en 2002. C’est oublier surtout que le castrisme n’est pas le fruit du seul Fidel. À en croire Latell, sans Raúl, « le producteur », Fidel, « le metteur en scène », aurait été « incapable de se maintenir au pouvoir ».

« Malgré leurs divergences passagères, les deux frères sont toujours restés soudés. Ils savent qu’une rupture entre eux ouvrirait une crise très grave », analyse Janette Habel, chercheuse à l’Institut des hautes études d’Amérique latine, à Paris.

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L’icône et l’architecte

Bref, le destin des deux frères est indissolublement lié. Raúl est né en juin 1931, cinq ans après Fidel, qu’il a longtemps idolâtré. Officiellement, ils ont le même père, un immigrant espagnol devenu riche propriétaire terrien (mais, selon la rumeur, Raúl serait en réalité un bâtard), et la même mère, une cuisinière créole. Ils sont nés au même endroit, dans le sud de l’île, et ont fait leurs études chez les jésuites. Raúl s’y serait, dit-on, montré moins brillant que son aîné. Mais bien plus précoce en matière de marxisme, auquel il se convertit dès 1953, huit ans avant Fidel. Ensemble, les deux hommes ont tenté de prendre le pouvoir, en 1953. Ensemble, ils ont connu la prison et l’exil, rencontré Ernesto « Che » Guevara, embarqué avec quatre-vingts guérilleros à bord du Granma et fini par entrer triomphalement à La Havane, en 1959.

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Depuis, Fidel est l’icône de la révolution, Raúl son architecte. Le premier envoûte les foules et joue les visionnaires à travers le monde. Le second sécurise et organise, à l’intérieur. Lorsqu’ils abattent le régime du général Fulgencio Batista, c’est Raúl qui dirige l’exécution sommaire de plusieurs dizaines de prisonniers, avant de prendre la tête du ministère de la Défense, qu’il ne quittera qu’en 2006. En quarante-sept ans, il a bâti une armée efficace et un service de renseignements sans faille. « En imposant à l’institution militaire une discipline prussienne et en constituant une police politique d’une redoutable efficacité, il a découragé toute velléité de putsch », estime Latell.

Surnommé par ses compatriotes « le Petit Soldat » ou « le Terrible », il passait chez les premiers révolutionnaires cubains pour un stalinien pur jus. Pourtant, il a toujours su se montrer pragmatique. Un exemple ? Lors de la disparition de l’URSS, Cuba perd son principal soutien financier. S’ensuit une crise sans précédent (la « période spéciale »). Raúl est alors l’un des seuls à prôner le changement. « La principale menace qui pèse sur nous, ce ne sont pas les canons américains, ce sont les haricots. Ceux que les Cubains ne mangent pas », ose-t-il, en 1994. Au milieu des années 1990, c’est lui qui pose les bases de l’évolution actuelle en injectant une dose de libéralisme dans l’économie. Lui aussi qui pousse l’armée à investir dans les secteurs d’avenir pour assurer sa survie : le tourisme, l’immobilier, les banques et, bientôt, le pétrole.

Gorbatchev Cubain ?

Lorsque son frère tombe malade, Raúl, logiquement, le remplace. Le castrisme poursuit sa route, mais on pressent déjà la volonté du nouveau Líder de le faire évoluer. Au fil des années, ce dernier place ses pions. Les fidèles de Fidel sont remplacés par d’anciens officiers que Raúl prend grand soin d’écouter. Décrite par l’hebdomadaire britannique The Economist comme « la pionnière du capitalisme cubain », l’armée accentue son emprise sur l’économie nationale, qu’elle contrôlerait aujourd’hui à 50 %, tandis que les journaux officiels ouvrent leurs pages aux « réformistes ». Fidel ne bronche pas et se contente, chaque semaine à la télévision, de livrer sa vérité sur les questions internationales.

Raúl Castro sera-t-il le Mikhaïl Gorbatchev des Caraïbes ? Pas sûr. On ne l’a jamais entendu évoquer les libertés individuelles. En revanche, on sait qu’il aimait la Russie soviétique, pas celle de Boris Eltsine. En somme, on se dirige plutôt vers une perestroïka sans glasnost. Bref, vers une version « raúlisée » du castrisme.

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