Kadhafi, Aqmi : comment la Tunisie fait front
Tirs de roquettes et incursions de brigades loyalistes libyennes, infiltration de groupes terroristes via la frontière avec l’Algérie… La population et les forces de sécurité sont sur le qui-vive en Tunisie.
Géographiquement prise en tenaille entre la Libye et l’Algérie, la Tunisie subit de plein fouet les contrecoups de la guerre entre les forces de Mouammar Kadhafi et ses rebelles. D’une part, les populations frontalières vivent, depuis le mois d’avril, au rythme des tirs d’obus libyens et des infiltrations des brigades de Kadhafi cherchant à prendre à revers les rebelles. D’autre part, les incursions de groupes armés – liés ou non à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) – à partir de l’Algérie se multiplient.
Sur le terrain, l’armée tunisienne et les forces de sécurité intérieure sont en alerte maximale, notamment dans le sud. Des hélicoptères et des F-5 de l’armée de l’air patrouillent tout le long de la frontière et des véhicules tout-terrain sillonnent le désert et les montagnes à la recherche de suspects. Des brigades de Kadhafi ont à plusieurs reprises franchi la frontière. On rapporte le cas de 220 soldats, à bord de 70 véhicules, qui ont été désarmés et renvoyés illico presto chez eux, le 14 mai.
"Ne pas jeter d’huile sur le feu"
« Face à la guerre libyenne qui est à nos frontières, a déclaré le Premier ministre du gouvernement provisoire, Béji Caïd Essebsi, nous faisons preuve de sagesse, de circonspection, et nous ne jetons pas d’huile sur le feu. » C’était le 8 mai, au lendemain de la troisième protestation diplomatique auprès de Kadhafi, qui n’a cessé pourtant de promettre qu’il allait mettre fin aux tirs et aux infiltrations. Le gouvernement lui a lancé un nouvel avertissement, affirmant que la Tunisie prendrait « les dispositions nécessaires pour préserver l’intégrité de son territoire national et la sécurité des habitants et des réfugiés… »
Mais Kadhafi n’en a cure et poursuit l’escalade militaire. Un des derniers incidents en date : le 17 mai, une vingtaine de roquettes de type Grad tirées par ses forces sont tombées dans les environs du village de Dehiba, à la suite d’une offensive avortée pour reprendre le contrôle du poste-frontière de Wazzan, tenu par les rebelles adossés à la fortification naturelle du Djebel Nefoussa.
Le gouvernement tunisien hausse aussitôt le ton dans sa quatrième protestation en un mois et exprime sa « vive indignation » aux autorités libyennes. « Bien qu’il se soit engagé, à plusieurs reprises, à empêcher ses troupes de tirer en direction du territoire tunisien, le gouvernement libyen n’a pas respecté ses engagements », déclare Tunis, qui avertit que la poursuite de ces « agressions » aura « des conséquences néfastes et immédiates » sur les relations entre les deux pays. Le gouvernement déclare qu’au cas où ces violations ne cesseraient pas la Tunisie serait amenée à prendre des « mesures fermes » pour défendre l’inviolabilité de son territoire, y compris en portant l’affaire devant l’ONU.
Équilibrisme
Entre-temps, c’est à un exercice d’équilibrisme que se livre le gouvernement tunisien, dont le cœur penche pour les rebelles, et qui entretient de bons rapports avec les représentants de leur gouvernement provisoire, basé à Benghazi, sans toutefois lui accorder, au stade actuel, la reconnaissance diplomatique. Un effort extraordinaire est accompli pour recueillir et soigner les blessés, et accueillir les réfugiés libyens de tous bords. Kadhafi, de son côté, s’il persiste dans cette voie, risque de perdre en Tunisie le seul point de passage qu’il lui reste pour les déplacements de ses hommes à l’étranger et le ravitaillement. Les Tunisiens n’ont en tout cas plus confiance en lui et s’attendent au pire. Ils n’oublient pas que Kadhafi avait pris position en faveur de Ben Ali dès le lendemain de sa chute, un mois avant le déclenchement de la révolte en Libye. Il est vraisemblable que, s’il n’avait pas lui-même été accaparé par la répression de son peuple, il aurait aidé le clan Ben Ali à mener des opérations de déstabilisation de la révolution.
Par ses opérations militaires à la frontière, Kadhafi aura en tout cas amené le gouvernement tunisien à dépêcher le gros de l’armée et de la garde nationale dans l’ouest et le sud pour empêcher les infiltrations tout le long de la frontière avec la Libye (459 km) et l’Algérie (965 km). Un déploiement prioritaire, mais qui dégarnit d’autant les grandes villes, au moment où l’état d’urgence est toujours en vigueur et l’insécurité persistante, du fait des actes de violence sporadiques attribués aux forces contre-révolutionnaires et à la criminalité.
Accrochage meurtrier
Les infiltrations de groupes armés via la frontière avec l’Algérie commencent, quant à elles, à devenir inquiétantes. Les forces de sécurité ont ainsi arrêté, en mai, deux groupes de deux hommes de nationalités algérienne et libyenne, vraisemblablement membres d’Aqmi. Selon des sources sécuritaires, l’interrogatoire de ces commandos accrédite la thèse selon laquelle Aqmi les a entraînés et envoyés en éclaireurs, avec pour mission de mettre en place des caches d’armes – dont certaines ont été découvertes. Les autorités ont appelé les populations dans l’ensemble du pays à leur signaler l’identité des étrangers qu’ils hébergent, que ce soit dans les hôtels ou chez l’habitant, ce qui a contribué à aider les unités chargées de pourchasser les suspects à opérer de nombreuses arrestations.
Dans le centre-ouest du pays, deux hommes, détenteurs de passeports libyens, venus d’Algérie et porteurs de ceintures bourrées d’explosifs, ont ainsi été abattus le 18 mai, près de Rouhia (gouvernorat de Siliana), alors qu’ils prenaient la fuite après avoir été repérés par la population. Pourchassés par des éléments de l’armée et de la garde nationale, ils ont ouvert le feu, tuant un colonel et blessant deux soldats. L’opération s’est poursuivie par un ratissage de la région avec le concours de l’aviation pour retrouver un troisième suspect et d’autres individus qui se seraient récemment infiltrés dans le pays.
Entre les incursions d’éléments libyens et les infiltrations de groupes armés via l’Algérie, la tâche de la Tunisie s’annonce rude. « Nous avons presque la certitude que ce qui se passe en Libye peut avoir des conséquences fâcheuses dans la région, pas seulement en Algérie, mais également dans les pays voisins », déclarait, en avril, Mourad Medelci, ministre algérien des Affaires étrangères. Il ne croyait, hélas, pas si bien dire.
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