Zenawi, seul maître à bord

Le 28 mai, l’ancien rebelle Mélès Zenawi a célébré ses vingt ans à la tête de l’Éthiopie. Vingt ans de réformes, de stabilité. Et de pouvoir sans partage.

Partisans du Premier ministre à la veille des législatives de mai 2010. © Simon Maina/AFP

Partisans du Premier ministre à la veille des législatives de mai 2010. © Simon Maina/AFP

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Publié le 1 juin 2011 Lecture : 6 minutes.

« Mon point de vue personnel, c’est que… j’en ai assez. » Ainsi s’exprimait le Premier ministre éthiopien Mélès Zenawi dans les colonnes du quotidien britannique Financial Times en 2009. Deux ans plus tard, ce court passage à vide a vraisemblablement été surmonté. Après avoir fêté ses 56 ans le 8 mai dernier, l’homme fort de l’Éthiopie a célébré ses vingt ans à la tête du pays le 28 mai.

Zenawi, loué pour ses réussites économiques, tient le pays d’une main de maître. Les voix discordantes sont rares, faibles et étouffées. « L’opposition est complètement invisible, confie une jeune étudiante. Beaucoup n’ont plus d’espoir. » Pour le journaliste étranger qui cherche à en savoir plus, l’ambiance est souvent pesante, plombée par une paranoïa qui proscrit les discussions franches et les idées trop tranchées. Les généralités pleuvent, habiles esquives face à des questions gênantes : « De nombreuses personnes apprécient Mélès Zenawi et le respectent, même si elles ne sont pas d’accord avec lui. Beaucoup pensent que la situation serait pire s’il n’était pas là. » Les reporters éthiopiens, eux, restent sur leurs gardes : « Il faut être très prudent sur ce qu’on écrit… Mais cela fait sens, parfois, car certains racontent n’importe quoi. »

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En mai 2010, le parti de Zenawi a très largement remporté les élections législatives. Avec 99 % des suffrages recueillis, le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF) n’a concédé qu’un seul des 547 sièges parlementaires à un élu de l’opposition, Girma Seifu Maru. Le Premier ministre a donc les mains libres jusqu’en 2015. Après, il en aura peut-être « assez », mais, pour l’heure, il reste fidèle à un poste acquis de haute lutte.

Originaire du Tigré, Legesse Zenawi est né à Adoua, cette ville restée célèbre dans l’histoire éthiopienne parce qu’elle vit les soldats de l’empereur Ménélik II défaire l’armée italienne, en 1896. Issu d’une famille relativement aisée, il est élève de la General Wingate School d’Addis-­Abeba avant d’entamer, en 1972, des études de médecine.

Nom de guerre

Mais le 12 septembre 1974, la junte militaire connue sous le nom de Derg renverse le gouvernement de l’empereur Haïlé Sélassié Ier et prend le pouvoir. Zenawi abandonne ses études pour rejoindre le Front de libération des peuples du Tigré (TPLF). Il fonde la Ligue marxiste-léniniste du Tigré et abandonne son prénom pour prendre un nom de guerre, celui d’un étudiant exécuté par le Derg, Mélès Haïlé. Le TPLF n’est que l’un des nombreux groupes armés qui luttent contre le régime sanglant de celui que l’Occident surnomme « le Négus rouge », Mengistu Haïlé Mariam. Zenawi gravit les échelons du TPLF et prend la tête de l’EPRDF, coalition de mouvements rebelles. Lesquels, bien que marxistes, reçoivent une aide appuyée de l’Occident.

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Mengistu tombe en 1991 et rejoint le Zimbabwe de Robert Mugabe, où il vit toujours aujourd’hui. L’heure de Zenawi est arrivée. Il devient président du gouvernement éthiopien. Peu connu en Europe, il est ainsi décrit dans un article du quotidien français Libération du 29 mai 1991 : « Mélès Zenawi avait montré qu’il pouvait être cassant et efficace. Il montra ensuite qu’il pratique avec facilité la langue de bois (credo : démocratie et unité, liberté de la presse, volonté du peuple et paix), qu’il ne se paie pas de mots, ne dédaigne pas les pointes d’humour et laisse au comité exécutif le soin d’officialiser sa position. » L’homme est là tout entier, avec les traits de caractère que le temps aiguise et les idées que le temps émousse.

En 1993, les séparatistes érythréens remportent le référendum d’autodétermination et l’Éthiopie perd son accès à la mer. Abandonnant les oripeaux du marxisme pour revêtir le costume cravate des adeptes du libre-échange, Zenawi conduit le processus de transition qui, en 1995, permet la mise en œuvre d’une nouvelle Constitution s’appuyant sur le concept de fédéralisme ethnique. Cette même année, il obtient un MBA de l’Open University du Royaume-Uni.

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La période de paix et de stabilité qui s’annonce sera de courte durée : en 1998, l’Érythrée envahit l’Éthiopie. La guerre, coûteuse sur les plans financier et humain, dure deux ans – et se poursuit aujourd’hui sous la forme d’escarmouches frontalières et d’escalades verbales épisodiques.

Père de trois enfants, homme politique habile, Zenawi se présente comme un solide rempart face à l’Érythrée d’Issayas Afewerki, mais aussi face aux rebelles du Front national de libération de l’Ogaden et du Front de libération Oromo. Les attentats terroristes, au Kenya et en Tanzanie, puis sur le sol américain, vont accroître son pouvoir d’attraction auprès des Occidentaux. Il faut dire que l’Éthiopie jouxte une Somalie livrée au chaos et un Soudan aux penchants islamistes…

Apprécié

Intelligent, éloquent, fin, structuré, Zenawi recueille quantité de qualificatifs laudateurs, en Éthiopie comme à l’étranger. Il fait partie de cette « nouvelle génération de dirigeants africains » louée par le président américain Bill Clinton. En 2004, il obtient un Master of Sciences en économie au sein de l’Erasmus University des Pays-Bas et le Premier ministre britannique fait de lui l’un des commissaires de sa Commission for Africa. En 2009, il sera le représentant du continent lors du sommet du G20 à Londres et le président de la délégation de l’Union africaine lors du sommet de Copenhague sur le changement climatique…

Pourtant, quelque chose s’est brisé en 2005. Cette année-là, la coalition pour l’Unité et la démocratie a fait une large percée aux élections législatives (remportant 109 sièges sur 547, contre 327 pour l’EPRDF), notamment dans les villes et en particulier à Addis-Abeba, où le Tigréen qu’est Zenawi n’a jamais vraiment été accepté. Les manifestations qui ont suivi le scrutin contesté ont coûté la vie à quelque 200 personnes. Les soldats avaient reçu un ordre : shoot to kill. Quant aux principaux dirigeants de l’opposition, ils ont été condamnés à la réclusion à perpétuité pour « complot contre la Constitution » et « incitation à une rébellion armée », avant d’être graciés deux ans plus tard. À l’exception de la présidente de l’Union pour la démocratie et la Justice, Birtukan Mideksa, qui, pour avoir osé remettre en cause les termes de sa grâce, restera en prison jusqu’au 6 octobre 2010… jusqu’à ce qu’elle se repente publiquement. Le soutien américain reste malgré tout sans faille.

De plus en plus critiqué pour ses dérives autoritaires, Mélès Zenawi s’appuie sur des chiffres de croissance remarquables pour faire valoir son bilan : 11,2 % en 2008 ; 9,95 % en 2009 ; 8 % en 2010. Qui dit mieux ? Lui s’en gargarise. « Pouvez-vous imaginer un endroit sur terre où un gouvernement qui a permis une croissance à deux chiffres pendant sept ans puisse perdre une élection ? Personne n’a jamais vu pareil événement. »

Des ONG muselées

Quand une voix s’élève, comme celle d’une organisation non gouvernementale (ONG), Zenawi a tôt fait de la faire taire. Par exemple avec cette loi de 2009 qui interdit aux ONG de travailler sur des thèmes en rapport avec les droits humains, la bonne gouvernance et la résolution des conflits si plus de 10 % de leur financement provient de l’étranger. L’aide, oui ! L’argent, oui ! La morale, non !

D’ailleurs, en réponse à un rapport de l’International Crisis Group (ICG) de 2009 critiquant le fédéralisme ethnique et son instrumentalisation, Zenawi lâchait : « Certains ont des milliards de dollars à dépenser et s’imaginent qu’ils tiennent de Dieu le droit de dicter aux pays en développement la manière de gérer leurs affaires. Nous n’éprouvons que mépris pour l’ICG ! » Le moins que l’on puisse dire c’est que, finalement, la langue de bois n’est pas son fort.

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